Intervention de Sébastien Denys

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 14h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Sébastien Denys :

Concernant la question de la causalité, nous travaillons sur la qualité de l'air depuis plus de vingt ans. Nous disposons en la matière d'un historique très important depuis la Loi Laure de 1996, qui a donné naissance au programme de surveillance air et santé qui se poursuit toujours aujourd'hui. Nous travaillons avec l'OMS Europe sur ces questions et avons développé un outil qui aide les collectivités à choisir les bons scénarios d'intervention quant aux problématiques liées à la qualité de l'air. C'est donc grâce à un travail mené depuis plus de vingt ans que nous pouvons aujourd'hui établir ces liens de causalité et produire ces outils. Ces liens sont établis à partir de cohortes constituées par des chercheurs. Nous avons par exemple travaillé avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et la cohorte Gazel. Ces cohortes permettent d'établir des relations d'exposition au risque. Nous nous basons sur un panel d'individus assez large, équivalent à plusieurs dizaines de milliers de personnes exposées à différentes qualités de l'air. Nous essayons ensuite de corréler les événements de santé survenant chez ces personnes, que nous suivons tout au long de leur vie, avec les concentrations atmosphériques auxquelles leur environnement les expose et que nous recueillons par différents moyens (en général des questionnaires).

La recherche s'inscrit donc dans un temps long, temps indispensable à l'élaboration de méthodes permettant, ensuite, d'apporter des réponses en matière de gestion immédiate des situations. Il me semble indispensable que ces liens soient préservés. À ce titre, la directrice générale de Santé publique France, Geneviève Chêne, réfléchit à l'élaboration d'un accord-cadre avec l'INSERM. Celui-ci intégrera des enjeux prioritaires liés aux champs de la santé-environnement et du changement climatique. En effet, nous ne sommes pas une agence de recherche. Notre rôle consiste à observer et alerter ; or, si nous voulons répondre aux alertes, il nous faut être capables de mobiliser la recherche. Dans ce contexte, l'un des axes d'amélioration de l'agence consisterait précisément à parvenir à une meilleure stimulation de la recherche. Aujourd'hui, nous n'avons pas voix au chapitre, qu'il s'agisse des appels à projet de recherche de l'ANSES ou de l'ANR. Une plus grande implication de Santé publique France dans la gouvernance de la recherche serait souhaitable. Le fait de mettre l'agence en capacité de formuler des hypothèses et d'orienter quelques programmes de recherche constituerait, pour nous, une avancée considérable. Malgré tout, nous finançons des actions de recherche. Par exemple, nous travaillons en partenariat avec les chercheurs de l'INSERM de la cohorte de Gazel et avec le registre des cancers pédiatriques en soutenant le programme GEOCAP (Étude Géolocalisée des Cancers Pédiatriques) axé sur différents facteurs de risques environnementaux. En ce moment, nos études portent davantage sur la question des pesticides. Par le passé, nous avons travaillé et financé des études sur les champs électromagnétiques. Nous apportons donc une forme de soutien à la recherche, mais il s'agit de contributions ponctuelles qui mériteraient, à mon avis, d'être amplifiées et pérennisées dans une programmation à dix ans.

L'agence manque également de ressources humaines. Nous parlons beaucoup de financements mais peu, en tout cas dans cette audition, de ressources humaines. Les directions santé-environnement et santé-travail ont pourtant enregistré une diminution de près de 15 % de leur effectif depuis 2016. Cela semble anodin mais cette perte est en réalité énorme. Nous entretenons évidemment beaucoup de liens avec nos cellules régionales, auxquelles nous apportons notre soutien dans leurs investigations locales. De nombreuses urgences doivent être traitées en continu : une centaine de saisines environ – je vous enverrai le nombre exact – entre 2015 et 2019. Cela laisse peu de temps pour les exercices de prospective. Nous parlons des champs électromagnétiques, du changement climatique, mais aujourd'hui nous gérons essentiellement des situations à l'instant T. Que va-t-il se passer dans dix ans, dans vingt ou cinquante ans ? Notre rôle est aussi de prévoir ces évolutions ; or, nous ne disposons pas du temps nécessaire pour le faire. D'une part, nous manquons de ressources internes et, d'autre part, nous sommes déjà accaparés par les sujets d'actualité, qui sont aussi des sujets de préoccupation citoyenne. Face à ce constat, les préconisations visant à renforcer les moyens de l'agence pour des sujets qui ne se résolvent pas du jour au lendemain me semblent essentielles. Il s'agit de sujets qui doivent être traités sur le long terme et pour lesquels nous avons besoin d'études.

Qu'il s'agisse d'appui aux politiques publiques ou d'appui aux gestionnaires pour des questions territoriales, nous disposons d'éléments permettant de gérer des problématiques en situation d'incertitude. Par exemple, concernant la chlordécone, les travaux menés avec l'ANSES et les registres n'ont pas permis de résoudre la question de l'incertitude du lien de causalité entre exposition à la chlordécone et cancer de la prostate. Cependant, un grand nombre d'éléments nous permet d'adresser des préconisations aux gestionnaires et de proposer à la population des mesures de réduction des risques. L'incertitude ne doit pas empêcher la gestion. Il ne faut pas attendre vingt ans d'études épidémiologiques pour gérer les situations auxquelles nous sommes confrontés. De la même manière, l'enquête Esteban a mis en avant une imprégnation importante de la population à un ensemble de substances chimiques. Nous travaillons sur la réduction des expositions à la source et le site d'information « Agir pour bébé » recommande un certain nombre d'actions pour les individus exposés.

Les fake news représentent un véritable fléau pour les agences, mises en difficulté par la propagation de ces informations erronées, qui remettent en cause l'expertise scientifique. L'agence Santé publique France est une agence d'expertise scientifique. Elle répond à un certain nombre de standards en matière de respect de protocoles méthodologiques, d'éthique et d'intégrité scientifique. Nous nous entourons d'experts extérieurs à l'agence pour traiter des problématiques complexes. Par exemple, dans le programme national de biosurveillance, les études relatives aux pesticides s'appuient sur des conseils scientifiques qui font appel à des personnalités extérieures. Ces dernières doivent remplir une déclaration publique d'intérêts (DPI) pour répondre aux critères de la charte de l'expertise. Malgré ces procédures, nous sommes parfois mis en difficulté au cours de réunions, ayant plutôt trait à des affaires locales, parce que nous avons face à nous des parents, des riverains, intimement atteints par une maladie, parfois un décès. Santé publique France est une agence ayant pour mission d'émettre des recommandations en matière de santé publique à destination de la population générale. Mais la confrontation avec des individus qui soulèvent des questions intimes, propres à leur vécu, est parfois très difficile. Face à ces situations individuelles, notre discours peut devenir inaudible dans la mesure où la science ne permet pas toujours de répondre aux questions que se posent les parents ou les personnes. Nous nous trouvons alors en grande difficulté. Un accompagnement, dans cet aspect de communication en temps de crise, pourrait s'avérer utile et aider le positionnement de l'agence. J'ai personnellement vécu une réunion publique difficile à Sainte-Pazanne. Nous arrivons avec notre science et toute la bonne volonté pour essayer de répondre aux interrogations, mais nous nous heurtons évidemment à la peine des gens et aux difficultés qu'ont les parents de vivre les situations qu'ils traversent. Une meilleure sensibilisation de la population sur les sujets de santé environnementale, dont l'importance est croissante, me semble essentielle. L'éducation peut sans doute être renforcée dans certains parcours, à l'école ou dans certaines filières universitaires. Nous essayons de remplir cette mission via des sites, mais je pense que cette démarche pourrait être couplée à d'autres actions.

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