L'Ineris est relativement récent : il a été créé voici trente ans, en 1990, mais nous sommes porteurs d'une expertise plus ancienne dans le domaine des risques technologiques puisque nous sommes les héritiers du Centre d'étude et de recherche des charbonnages de France (CERCHAR). Son histoire a été très fortement marquée par la catastrophe de Courrières qui a fait plus de mille victimes en 1906. C'est la plus importante catastrophe minière de l'histoire en Europe.
Comme vous l'avez rappelé, madame la présidente, tout en ayant un passé industriel, l'Ineris est aujourd'hui sous la tutelle unique du ministère chargé de l'environnement. Nos missions ont été fixées au moment de notre création en 1990 : contribuer à la prévention des risques que les activités économiques font peser sur la santé, la sécurité des personnes et des biens ainsi que sur l'environnement.
Ce sont ces trois dimensions qui conduisent notre travail d'évaluation des risques dans un contexte où il n'est pas toujours possible de réduire les risques dans chacune de ces trois dimensions. Par exemple, la suppression pour lutter contre le changement climatique des gaz fluorés utilisés en climatisation réduit certes le risque pour l'environnement mais, comme ils sont remplacés par des gaz inflammables, il apparaît un risque pour la sécurité qu'il convient d'évaluer. Inversement, les retardateurs de flamme bromés utilisés dans certains produits améliorent leur résistance face à l'incendie mais peuvent créer un risque pour la santé. Enfin, en imposant comme aujourd'hui très largement le port du masque pour lutter contre l'épidémie, nous pouvons créer un problème pour l'environnement.
De ce point de vue, il n'est pas inutile de revenir sur la formulation « santé-environnement » qui peut être ambiguë sans préciser s'il s'agit « de santé puis d'environnement » ou « de santé ou d'environnement ». La commission d'enquête s'intéresse à la santé environnementale qui est plus clairement définie puisqu'il s'agit de l'impact de l'environnement sur la santé. Toutefois, il faut aussi bien s'assurer que les questions de toxicité aiguë et immédiate pour les populations sont bien prises en compte en cas d'accident, ce qui fait partie des rôles de l'Ineris.
Cette vision globale de la santé, de la sécurité et de l'environnement fait la spécificité de l'Ineris. De notre point de vue, il est important de ne pas créer de frontière entre ces trois domaines. Il y a exactement un an, nous étions très fortement mobilisés autour de l'incendie de Lubrizol. Nous avons été amenés à traiter quasiment en même temps les sujets de sécurité, de risque accidentel dans les premières heures de l'incendie, les sujets sanitaires dans le suivi post-accidentel puis – même si nous aurions pu nous y intéresser plus – les sujets proprement environnementaux.
L'Ineris est un opérateur de recherche et d'expertise. Nous avons développé une importante capacité d'expertise propre, alimentée par nos travaux de recherche parfois très anciens puisque certains ont été initiés en 1906 après la catastrophe de Courrières. Cette capacité d'expertise et de recherche est mise à la disposition des pouvoirs publics, du Gouvernement, mais aussi des agences sanitaires. Nous avons des relations avec l'ANSES et Santé publique France mais aussi avec des organes consultatifs dans le domaine sanitaire, notamment le Haut conseil de santé publique.
Nous avons un passé industriel et notre mission est donc aussi d'appuyer les entreprises pour la gestion de leurs risques. Nos relations avec elles sont évidemment encadrées par des règles déontologiques strictes depuis vingt ans.
Nous sommes très présents au niveau européen, notamment dans le domaine de la recherche. Nous sommes fiers que l'Ineris ait été en 2018 classé troisième organisme financé dans le cadre du programme européen Horizon 2020, après un organisme britannique et un organisme suédois.
Cette forte présence au niveau européen contribue à notre mission de veille sur les risques émergents. Nous avons notamment créé en 2006 en partenariat avec des collègues allemands le réseau Network of reference laboratories, research centers and related organisations for monitoring of emerging environmental substances (NORMAN) qui vise à rendre plus efficace au niveau européen le partage d'informations sur les substances d'intérêt émergent, à faciliter l'harmonisation des nouveaux outils pour surveiller ces substances et améliorer la qualité des données.
Notre rôle est uniquement un rôle d'expertise et de recherche. Nous n'avons pas de rôle de gestion des risques même si nous avons une activité très opérationnelle d'appui aux pouvoirs publics en situation d'urgence. Nous avons un dispositif d'astreinte opérationnel 24 heures sur 24. Nous avons ainsi été sollicités par les services de la préfecture dès les premières heures lors de l'incendie de Lubrizol.
Nous avons également développé une compétence dans le domaine de l'analyse socioéconomique pour ne pas limiter notre expertise à la seule évaluation des risques au sens strict. Nous avons coorganisé en 2017 le congrès de la Société francophone de santé et environnement (SFSE) sur l'évaluation socioéconomique dans le domaine de la santé et de l'environnement.
En termes de budget, nos recettes sont de l'ordre de 65 millions d'euros par an. Une grosse moitié de ces recettes provient de notre activité d'expertise pour le compte des pouvoirs publics, un quart environ de notre activité de conseil aux entreprises et 20 % de notre activité de recherche. 40 % de notre budget est consacré à ce que nous appelons le risque chronique, c'est-à-dire aux risques à long terme pour la santé et l'environnement.
Nous sommes en phase active de préparation de notre prochain contrat d'objectifs et de performance avec notre tutelle pour la période 2021-2025, dans un contexte assez contraint au moins en ce qui concerne les effectifs. Comme la plupart des opérateurs du ministère de la transition écologique, nos effectifs diminuent de 2 % par an environ depuis 2013. Nous focalisons donc nos activités sur les sujets que nous identifions comme prioritaires. Nous avons regroupé ces sujets autour de trois grandes thématiques.
La première est la maîtrise des risques liés à la transition énergétique et au développement de l'économie circulaire. Il s'agit essentiellement d'actions liées à la sécurité, par exemple aux risques d'explosion de l'hydrogène ou aux batteries. Deux sujets méritent d'être notés en ce qui concerne le volet sanitaire :
– les questions d'après-mine, c'est-à-dire les risques pour la santé liés aux anciennes exploitations minières alors qu'initialement, nous ne nous étions guère intéressés qu'aux risques d'effondrement ;
– la dangerosité des substances présentes dans les produits, en particulier lors de leur réutilisation ou leur recyclage.
La deuxième grande thématique concerne la maîtrise des risques au niveau territorial, qu'il s'agisse d'un site industriel ou d'un territoire. Les différents volets de notre action sont la métrologie des pollutions, l'expertise sur les droits de transfert et d'exposition des produits chimiques ainsi que l'évaluation des risques en s'appuyant sur des valeurs de référence, notamment celles définies par l'ANSES.
C'est bien sûr à l'ANSES qu'il appartient d'établir les valeurs toxicologiques de référence au niveau national et nous nous occupons de leur application sur le terrain, du développement de méthodologies et de recommandations pour procéder à l'évaluation des risques sur la base de ces valeurs de référence. Nous développons des boîtes à outils mises à la disposition de tous et, le cas échéant, nous intervenons sur certains sujets spécifiques. Toutefois, l'Ineris n'a pas d'implantation dans les territoires et notre action est donc limitée à une action de formation des intervenants et à une intervention sur quelques dossiers particulièrement sensibles ou emblématiques.
La troisième thématique est la connaissance des dangers des substances chimiques et de leur impact sur la santé et la biodiversité. Nous avons des partenariats forts, notamment en ce qui concerne la qualité des milieux, puisque nous animons le laboratoire central de la qualité de l'air et le laboratoire national de référence pour la surveillance des milieux aquatiques, AQUAREF.
Nous avons des installations d'essais, uniques en France et pour certaines en Europe, qui nous permettent de conduire des recherches en matière d'écotoxicologie et de toxicologie, ainsi que des partenariats de recherche avec deux unités mixtes de recherche.
Je précise pour être tout à fait complet que nous ne travaillons pas sur le risque biologique. S'agissant des agents physiques, nous ne travaillons que sur les champs électromagnétiques, avec également des installations d'essais uniques en France et en Europe pour évaluer l'impact des ondes sur l'homme et sur les animaux.
Enfin, même si le paysage des données environnementales reste aujourd'hui encore morcelé, nous jouons un rôle assez important en la matière. Nous gérons la base nationale sur la qualité de l'air, GEOD'AIR ainsi que la base consacrée aux émissions industrielles, IREP. Nous utilisons bien sûr les données produites par les autres opérateurs ou nos travaux d'évaluation des risques. Nous avons, à ce titre, produit pour les besoins du PNSE4 l'inventaire des bases de données environnementales et spatialisées qui existent aujourd'hui.
Il est clair que des progrès restent à faire, ne serait-ce que pour l'interopérabilité de ces bases. Nous l'avons vécu très concrètement sur un sujet assez ponctuel mais qui illustre bien le problème, lors de l'incendie de Lubrizol : Santé publique France nous a demandé de rassembler l'ensemble des données produites dans une même base pour pouvoir l'utiliser et la cartographier. Le travail vient d'être terminé mais nous avons bien vu qu'il reste des progrès à faire pour utiliser toutes ces données, surtout si nous souhaitons le faire en temps réel.