Intervention de Hervé Charrue

Réunion du jeudi 22 octobre 2020 à 10h30
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Hervé Charrue, directeur général adjoint du Centre scientifique et technique du bâtiment :

Le secteur de la construction est connu pour ses enjeux énergétiques, représentant plus de 40 % de la consommation énergétique et plus de 25 % des émissions de gaz à effet de serre en France. Le taux de renouvellement du bâtiment est relativement faible, avec 1 % de constructions neuves par an, et la rénovation du parc existant soulève plusieurs problématiques en termes d'usages, de sécurité et de bien-être des habitants. Le bâtiment est donc au cœur des problématiques énergétiques et sanitaires. Il a été dès le XIXe siècle un objet de problématiques sanitaires, le bâtiment ayant une vocation de sécurité, de protection et de confort.

Le CSTB a été créé afin de développer la recherche pour accompagner la construction au sens large, au-delà des enjeux environnementaux. Il a été structuré en 1948, à l'occasion de la reconstruction du pays, dans une logique économique et sociale visant à loger le plus grand nombre, mais aussi dans une logique de sécurité et de stabilité des bâtiments. Dans les années 1950 sont apparues les problématiques hygiéniques, après les dérives observées à la sortie de la guerre. Ensuite, le choc pétrolier a porté sur le devant de la scène les problématiques énergétiques et environnementales. Enfin, les enjeux numériques, que ce soit la modélisation ou l'analyse de données, ont gagné le secteur de la construction depuis les années 2000, lui apportant un regain d'activité. Ces cinq sujets structurent l'action du CSTB autour des risques, de l'usage économique, de la santé et du confort, de l'énergie et de l'environnement, et du numérique.

La santé est une composante de toutes les problématiques que nous traitons, mais le plus important est l'interopération de ces problématiques, qui n'est pas toujours évidente. Par exemple, nous savons désormais qu'il existe un lien entre la nature du matériau de construction et la santé humaine, comme l'a montré la question de l'amiante. De même, la localisation de certains bâtiments sur des zones riches en radon a un impact sur la santé des habitants. De même aussi, les choix qui sont réalisés en faveur des économies d'énergie sont parfois faits au détriment de la santé et du confort.

La force du CSTB est d'apporter une réponse globale afin d'éclairer chaque problématique auprès des acteurs publics ou des acteurs socio-économiques, avec une analyse des solutions pouvant être mises en œuvre. En effet, il est possible de mettre en place des solutions performantes en termes énergétiques et environnementaux, mais les impacts sanitaires doivent également être maîtrisés, voire être considérés au premier chef. Par exemple, l'isolation thermique d'un bâtiment ancien par l'extérieur fait réémerger la nuisance sonore intérieure ou les bruits de voisinage, qui jouent sur la santé. Or la nuisance sonore est considérée comme la principale nuisance par les Français, bien avant la pollution de l'air intérieur que nous respirons.

L'approche du CSTB est donc anthropocentrée, focalisée sur l'humain, car nous passons la majeure partie de notre temps dans un bâtiment. Elle est aussi globale, afin d'étudier les interactions entre les différentes problématiques, et surtout adaptative, car elle prend en compte les évolutions de la société. Aujourd'hui, les habitants veulent un grand confort et de la nature en ville. Le vieillissement de la population, et on s'en rend compte de plus en plus depuis le début des années 2000, a aussi une incidence sur la construction, comme en a attesté la canicule meurtrière de 2003. La multiplication des épisodes caniculaires remet en cause l'isolation thermique des bâtiments anciens.

Nous devons donc maintenant apporter des réponses en matière de performance énergétique, de confort, et de santé, cela dans une logique qui prend en compte tout le cycle de vie du bâtiment, de sa construction à sa fin de vie. Le bâtiment connaît des évolutions au cours de sa vie, à travers des rénovations et des réaménagements, des changements d'affectations entre le tertiaire et le logement. La logique du CSTB est d'accompagner le bâtiment dans son évolution, au fil des événements de sa vie, mais aussi au fil de l'évolution de la réglementation. En effet, la réglementation évolue au gré de l'avancée de nos connaissances, qui ont nettement avancé sur les impacts sanitaires de certains composants et procédés chimiques.

Ainsi, le CSTB approche le bâtiment dans une vision systémique complexe, allant du matériau au bâtiment final, et en tenant compte de ses interactions avec ses usagers en matière d'exposition atmosphérique, de nuisance sonore, d'éclairage et de confort. Ensuite, il convient d'intégrer le bâtiment dans son environnement proche – son quartier – et plus lointain, à l'échelle urbaine. Ainsi, nous tenons compte des questions météorologiques et des champs électromagnétiques. Par exemple, la présence d'une antenne électromagnétique à 200 mètres émet un rayonnement sur le bâtiment qui traverse les parois et atteint plus ou moins les usagers selon la nature des composants. Ces derniers ont beaucoup évolué depuis les années 1950, notamment du fait des outils numériques dont les logements sont aujourd'hui équipés, voire suréquipés.

Notre logique est donc multi-échelle, et va du composant au bâtiment. Le bâtiment est lui-même un composant d'un système plus complexe, la structure urbaine, essentielle pour comprendre ce qui se passe sur et dans le bâtiment, que ce soit en aéraulique, en physique-chimie de l'air, en acoustique, ou en rayonnement électromagnétique. Tous ces sujets ont un impact sur les perceptions conscientes de l'usager, celles du confort, mais aussi sur les perceptions qui, bien que non conscientes, peuvent conduire à des pathologies chroniques.

De ce fait, l'approche du CSTB est multidisciplinaire, puisque nous parlons de matériau, de composants chimiques des matériaux, d'équipements tels que la ventilation, des émissions des matériaux dans l'air, sans compter la pollution extérieure qui entre à l'intérieur, et des ondes électromagnétiques. La problématique de l'air est à la fois physique, chimique, aéraulique, thermique, électromagnétique et lumineuse. Par conséquent, nous sommes dans l'obligation de faire interopérer tous ces éléments pour évaluer le niveau d'exposition des habitants. Par exemple, des matériaux en bois aggloméré avec de la résine phénolique ou formo-phénolique, qui rejettent des composés actifs, affectent la qualité de l'air et donc la santé des habitants. Cette pollution au phénol ou au formol peut ensuite être accélérée par l'exposition au rayonnement solaire ou le manque de ventilation, ce qui engendre une réaction cyclonique.

Je vous donne un exemple qui illustre bien les problématiques du secteur. Imaginons une barre d'immeubles proche du périphérique, une construction ancienne à partir de matériaux contenant potentiellement de l'amiante et du plomb. Elle est soumise à l'extérieur à des émissions acoustiques et polluantes, et elle se trouve dans une configuration urbaine aéraulique qui organise la circulation de l'air autour d'elle. Pour la rénover, il faudra d'abord qualifier les expositions auxquelles est soumis le bâtiment, telle qu'une antenne électromagnétique à 500 mètres. Il faudra pour cela se référer à la méthode de caractérisation de la performance énergétique des bâtiments telle qu'elle est appliquée aujourd'hui. Le but est de rénover les passoires thermiques de façon à assurer le confort et la santé des occupants. Dès lors, nous sommes amenés à reconsidérer tous les composants du bâtiment et à en caractériser les nuisances, chimiques, thermiques et acoustiques. Par exemple, les éclairages LED basse consommation présentent un intérêt énergétique, mais leur forte concentration lumineuse suscite de la fatigue visuelle. Le rayonnement bleu peut même avoir un impact sur la rétine sur le long terme.

Par conséquent, il est nécessaire d'objectiver tous les choix de composants quant à leur impact sur les usagers. L'approche systémique, tout en répondant à la commande concernant la performance énergétique du bâtiment, nous aide à trouver le meilleur compromis pour garantir la sécurité sanitaire. Or la principale difficulté est de relier l'ensemble des décisions. Il suffit par exemple de changer les ouvertures pour effectuer la rénovation acoustique d'un bâtiment, la masse des murs étant suffisante pour filtrer le bruit, mais si les ouvertures sont d'ancienne génération, le bâtiment sera une passoire thermique. De fait, une rénovation thermique du bâtiment doit être effectuée pour l'optimiser dans son ensemble : en même temps son acoustique, sa performance énergétique et son confort.

Cet exemple montre bien l'interdépendance des problématiques et des disciplines scientifiques, ce pour quoi nous concluons des partenariats de haut niveau avec les acteurs scientifiques de la microbiologie, comme l'Institut Pasteur et le Centre national de la recherche scientifique, et des sciences sociales. Ces partenariats nous aident à caractériser les expositions physiques et chimiques, mais aussi la perception des usagers, qui remarquent davantage le bruit que la mauvaise qualité de l'air intérieur. Mme Kirchner vous présentera ultérieurement l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI), que nous avons créé en 2001, après un long chemin de recherche démarré en 1995.

En effet, jusqu'aux années 1990, la pollution intérieure n'était pas un sujet perçu par les usagers, ni par les pouvoirs publics. Aujourd'hui, nous savons qu'il s'agit d'un sujet majeur, puisque l'air concentre tous les rejets chimiques des composants du bâtiment, ainsi que ceux qui sont issus de la vie extérieure. Le CSTB intègre ce sujet à une vision systémique qui permet d'accompagner les décisions publiques sur la pollution de l'air et de l'eau et sur le rayonnement électromagnétique, de contribuer sur ces sujets à l'élaboration des réglementations, et d'objectiver l'interdépendance des problématiques dans le but de préserver la santé.

En France, comme du reste dans le reste de l'Europe, les sujets de santé ont longtemps fait l'objet d'une approche plus curative que préventive. Or cette approche coûte énormément à notre pays, environ 19 milliards d'euros chaque année. Certes, les investissements de prévention sont chers, mais ils s'avèrent plus efficaces et moins coûteux sur le long terme.

En ce qui concerne les problématiques sanitaires actuelles, nous avions travaillé dans les années 2010, à la suite de l'épidémie de SRAS et de la grippe H1N1, sur la transmissibilité des viroses au sein des bâtiments, par les particules élémentaires ou par l'organisation spatiale du bâtiment. Nous avions alors découvert qu'il était possible d'abaisser la charge virale contenue dans l'air grâce au recyclage hygrothermique, qui augmente l'humidité et la température pendant un certain temps. Cette découverte est intéressante pour la gestion des bâtiments tertiaires et scolaires, et nous a particulièrement servi dans la période actuelle. Dans les situations précédentes, puisque la létalité du virus n'était pas avérée et que l'impact économique était faible, nous n'avions pas considéré ce sujet comme une priorité de recherche. Cependant, la pandémie actuelle nous oblige à nous réinterroger sur la prévention et la caractérisation des problématiques virales.

Toutefois, de nombreux acteurs de la communauté scientifique ont encore une vision hésitante de la situation sanitaire. Nous en apprenons tous les jours et il reste beaucoup à faire. Nous devons toutefois commencer à prévoir des actions de prévention pour ne pas revivre la même situation en cas de nouvelle pandémie dans les dix prochaines années. Nous devons tirer les leçons de cette pandémie, alors que le SRAS et le H1N1 n'avaient pas modifié nos comportements ni les systèmes de prévention. Par exemple, les dispositifs actuels de ventilation des bâtiments ne comprennent pas de système spécifique de filtration des expositions virales. Ce sujet est à la fois complexe et énergivore, et implique de nombreux choix à faire pour l'optimiser.

Un autre sujet d'actualité est celui des canicules, qui révèlent une problématique d'exposition des personnes âgées, ou même de personnes en bonne santé mais pouvant développer des pathologies dans des conditions critiques d'exposition. Il convient par conséquent d'apporter des réponses pour la gestion de l'air et de l'humidité au sein des bâtiments. Le continuum du confort à une température de 18° C entre les différents lieux de vie, de travail et de transport, pratiqué depuis longtemps aux États-Unis, est une erreur qui pourtant se trouve de plus en plus en France. Or l'objectif doit être de rénover le parc en visant le confort thermique en hiver comme en été, tout en réduisant la consommation énergétique et sans recourir à la climatisation.

Il est relativement facile de gérer le bâtiment dès lors que l'on sait comment le faire. Par exemple, la ventilation nocturne est une action efficace mais souvent inconnue des occupants, alors qu'elle permet d'évacuer les calories accumulées durant la journée et ainsi de baisser la température. La différence entre la température intérieure et extérieure importe plus que la température intérieure elle-même. Ainsi, une température intérieure de 25° C est confortable quand il fait 35° C dehors, même si, dans la durée, elle entraîne des modifications physiologiques inconfortables. En d'autres termes, l'éducation joue un rôle majeur dans la politique sanitaire, comme c'est déjà le cas en matière d'environnement.

Par ailleurs, la connaissance des problématiques sanitaires s'appuie évidemment sur un panel de données diversifiées, qui ont cependant un niveau insatisfaisant de traçabilité. Actuellement, il n'existe pas de base de référence sur l'état du parc des bâtiments, contrairement à l'état des voitures recensé lors du contrôle technique. Or, puisque les matériaux et les équipements en ventilation, en eau froide et en eau chaude, ont une incidence évidente sur la santé, la collecte des données est nécessaire à la communauté scientifique pour qualifier les composants et orienter les décisions des pouvoirs publics, en se fondant uniquement sur une approche scientifique et non empirique. Cette problématique ne concerne pas seulement le bâtiment et la santé. Elle nécessite de développer une vision centrée autour d'une logique de valeur ajoutée, partagée par les communautés scientifiques. Sinon, nous aurons des expressions d'experts isolés qui conduisent parfois à des errements.

Enfin, à propos du changement climatique, au-delà des phénomènes de canicule, nous devons considérer l'évolution des systèmes et des échanges. Le changement climatique a, entre autres, conduit à la progression de vecteurs invasifs des régions tropicales vers l'Europe, jusqu'en région parisienne, de la même façon que les échanges économiques mondialisés ont conduit à des déplacements de biotopes et parasites qui affectent notre santé. La visibilité sur ces risques est encore faible pour le moment. Les modélisations du réchauffement climatique essaient de prédire quels biotopes seront les plus invasifs à l'avenir. Ces vecteurs auront un impact évident sur la renaturation de la ville, de par les parasites qu'ils transportent, et pourront provoquer de nouvelles problématiques comme des moisissures sur le bois dans les bâtiments neufs ou de nouvelles maladies.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.