Le bâtiment est déterminant dans la santé car il est notre environnement le plus proche. En effet, l'environnement intérieur représente 80 % de l'exposome humain, sans compter l'alimentation. La quasi-totalité de la population est exposée aux produits chimiques issus des matériaux de construction. Cependant, cet enjeu de santé publique était peu connu jusque dans les années 1990. À court terme, l'exposition peut provoquer des céphalées, des nausées, des irritations, voire des intoxications sévères comme celle au monoxyde de carbone ou le syndrome des bâtiments malsains, d'origine multifactorielle. Sur le long terme, la pollution de l'air intérieur peut engendrer des pathologies respiratoires, cardio-vasculaires, neurologiques, et des cancers, ce qui représente un coût élevé pour l'État. La lutte contre les nuisances sonores représente en Europe un budget de 57 milliards d'euros par an. Dans le cadre d'un travail mené par l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), nous avons estimé le coût lié à la pollution intérieure à 19 milliards d'euros par an, pour seulement six substances, avec 28 000 cas de pathologie déclarés chaque année.
Cependant, le bâtiment et son environnement évoluent sans cesse. Certaines substances sont mesurées car nous savons le faire, mais d'autres non. Certaines substances de substitution ne sont pas optimales et méritent d'être suivies, tandis que des substances anciennes, telles que l'amiante, reviennent en tête des préoccupations sociétales. Il est donc nécessaire d'effectuer une veille sur les évolutions du secteur.
La perception des risques par la population est une autre problématique importante : à l'intérieur, on se sent à l'abri. C'est la fonction première d'un bâtiment, qui nous protège des intempéries, nous permet de soulager nos besoins physiologiques, et donc préserve théoriquement notre santé. Cependant, il existe dans la population un fossé entre la perception de l'importance d'un facteur de risque et la connaissance de ses impacts. Par exemple, le radon, un gaz radioactif naturel qui provient du sol, peut provoquer le cancer du poumon. Ce risque est connu et nous savons le gérer, mais les usagers ne le connaissent pas et ne le perçoivent pas comme dangereux. À l'inverse, les radiofréquences inquiètent davantage la population alors que leur impact sur la santé n'est pas avéré, ou du moins minime. En outre, les risques évoluent dans le temps, à l'exemple des virus respiratoires qui reviennent aujourd'hui sur le devant de la scène.
Nous avons participé en 2001 à la création de l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur, alors que l'enjeu de la santé environnementale avait une importance croissante en France, après la crise de l'amiante et l'affaire du sang contaminé. Les citoyens avaient alors perdu confiance dans les pouvoirs publics. À cette époque, la question de la pollution de l'air intérieur était peu connue en France, mais plus présente en Europe du Nord et aux États-Unis où les bâtiments étaient mieux isolés.
Cet observatoire a été créé avec les ministères chargés de la santé, du logement et de l'environnement, et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Le CSTB en est devenu l'opérateur, et sa présidente depuis sa création est Mme Andrée Buchmann. Les financements sont uniquement publics, pour éviter tout conflit d'intérêts.
L'observatoire avait pour mission initiale d'améliorer la connaissance sur la qualité de l'air intérieur, car nous sommes partis du constat que nous n'avions aucune connaissance de ce milieu dans lequel nous passons 80 % de notre temps. Nous n'avions aucune donnée sur l'état du parc urbain, et nous ne connaissions pas les risques d'exposition ni les leviers d'action de prévention. L'objectif était donc de déterminer les risques auxquels sont exposées les populations dans les différents bâtiments – logements, écoles, bureaux, lieux de loisirs, établissements sociaux et médico-sociaux – et d'identifier la source des risques, que ce soient les matériaux, l'environnement extérieur ou l'activité humaine. En effet, les habitants sont à la fois acteurs et victimes de leur environnement.
Cet observatoire a mis en avant le sujet de la pollution intérieure en France, en montrant qu'il y avait une pollution multiple (physique, chimique et microbiologique) dans presque tous les bâtiments, même si nous constatons de fortes inégalités entre les bâtiments. Néanmoins, la pollution intérieure est souvent multiple et spécifique, plus concentrée qu'à l'extérieur. Nous pouvons y trouver des traces de moisissures, de perturbateurs endocriniens, ou encore de pesticides. Techniquement, les débits de ventilation ne sont pas toujours respectés. Nous constatons à cet égard des taux de confinement très élevés dans les écoles.
Aujourd'hui, la base de données de l'observatoire est largement utilisée, notamment par les agences de sécurité sanitaire. L'observatoire mobilise également un large réseau d'experts scientifiques et techniques, afin de confronter les données, d'identifier les leviers d'actions et de faire avancer la connaissance sur ces sujets. Par exemple, l'observatoire étudie la question du renouvellement de l'air dans les écoles, qui disposent de peu de systèmes de ventilation, ou encore les facteurs en cause dans la pollution des logements. Nous avions notamment étudié les effets de la rénovation thermique des bâtiments sur la qualité de l'air intérieur. S'il existe des effets positifs, comme la baisse du taux de monoxyde de carbone et du taux de particules, et l'amélioration du confort thermique en hiver, nous remarquons à l'inverse une hausse du taux de radon, un développement des moisissures et une dégradation du confort thermique d'été. Ce dernier sujet devient prépondérant alors que la fréquence des canicules s'accélère. Il convient alors de rendre le bâtiment plus résilient et plus résistant aux variations de climat.
En conclusion, le sujet est vaste et le bâtiment évolue sans cesse. Nous devons donc être toujours en veille de nouvelles solutions, qui sont souvent des compromis entre l'efficacité énergétique, le réemploi des matériaux, la frugalité des ressources et l'accompagnement de la population vieillissante. Toutes ces dimensions doivent être prises en compte pour construire des bâtiments accueillants et favorables à la santé.