Nous prenons évidemment en compte l'artificialisation des sols, notamment pour la problématique des canicules, car dès lors que l'on construit, on modifie le sol. L'artificialisation des sols modifie la composition du sol, mais aussi le ruissellement des eaux. Nous en avons vu récemment les conséquences. La densification urbaine, qui a été un temps l'alpha et l'oméga pour abaisser la consommation énergétique liée au bâtiment et au transport, pose aujourd'hui problème, car plus une ville est dense, plus les sols sont artificialisés. L'artificialisation est également due aux réseaux de transports, mais la modification des modes de transports, en l'occurrence le passage aux véhicules électriques, peut changer la donne.
Par exemple, Hong Kong, l'une des villes les plus denses du monde, affichait jusqu'à récemment une bonne performance énergétique, grâce à ces immeubles tout en hauteur et ses transports en commun très développés qui remplacent les voitures individuelles. Cependant, si on souhaite installer des panneaux solaires sur les bâtiments, on a besoin de beaucoup de surface pour capter les rayons solaires. Dès lors, Los Angeles, anciennement très mal classée en termes de performance énergétique, devient une des villes les plus performantes, car ses bâtiments plus bas exposent davantage de surface au soleil. En d'autres termes, l'évolution de la technologie entraîne des inversions de stratégie. Les choix pris à certaines époques ont un impact sur l'environnement.
Nous répondons également au problème de l'artificialisation par la mise en place de façades et de toitures végétalisées, qui permettent un effet tampon, la récupération de l'eau de pluie, et l'amélioration de la performance thermique grâce à l'évaporation qui empêche l'échauffement du bâtiment. En contrepartie, il convient de bien choisir les plantes et les matériaux mis en œuvre, et de tenir compte des risques allergisants relatifs à certains pollens. Tous ces éléments font partie d'un système complexe qui dépend de l'optimisation souhaitée. Caractériser un bâtiment suppose donc de bien connaître son environnement proche et à l'échelle de la ville.
Pour répondre à votre question sur les nouveaux matériaux, les rénovations lancées en masse, notamment via le plan de rénovation à 1 euro, impliquent généralement des composés issus de la chimie, tels que le polyuréthane et le polystyrène, et d'autres éléments consommateurs d'énergie comme la laine de roche. De l'autre côté, il existe des écomatériaux comme la fibre de bois, le chanvre, la ouate de cellulose, issue du coton ou de la cellulose du bois. Deux mondes s'opposent, l'un issu de la pétrochimie et l'autre plus écologique, mais une même question se pose, celle de la performance intrinsèque du produit et de sa durabilité. Si les matériaux utilisés pour la rénovation thermique sont ultérieurement infestés par des insectes nuisibles, car ils n'ont pas été protégés par des biocides, la performance énergétique du bâtiment sera réduite et une nouvelle rénovation s'imposera tôt ou tard. C'est toute la question de la performance relative entre l'enjeu écologique, la durabilité et le coût d'investissement qui se pose là.
Le CSTB soutient les deux solutions en les évaluant, en accompagnant les industriels, et en soutenant la recherche, notamment sur la durabilité des matériaux naturels grâce à l'utilisation de biocides compatibles avec les enjeux sanitaires. Nous soutenons la recherche pour que ces innovations arrivent sur le marché.
Cependant, si les professionnels privilégient encore aujourd'hui les matériaux issus de la pétrochimie, la raison tient à un héritage historique dans le secteur. Les industriels qui utilisent des écomatériaux gagnent du terrain depuis une dizaine d'années, après avoir beaucoup investi dans la formation des acteurs et le marketing. Ainsi, nous commençons à voir une pénétration de ces produits dans les innovations globales, car ils entrent dans une logique de concurrence. Dans une approche de déontologie et de gestion saine de la concurrence, la caractérisation de ces produits pour les performances attendues revient évidemment au CSTB en tant que laboratoire, ce qui relève de notre mission de certification.
En ce qui concerne la mise en œuvre, nous savons effectivement que certains produits nouveaux, qu'ils soient issus de la pétrochimie ou naturels, sont susceptibles de mettre en péril la qualité globale du bâtiment. Ce constat nous amène à nous demander pourquoi le secteur du bâtiment n'a pas évolué comme celui de l'automobile. Les véhicules d'aujourd'hui ne tombent quasiment plus en panne, ou alors, en cas de défaut, les rappels sont de grande ampleur, jusqu'à 750 000 véhicules.
À l'inverse, chaque bâtiment est un prototype unique, il n'est pas produit en masse, et chaque acteur intervient dans un contexte particulier avec un niveau de formation qui lui est propre, ce pour quoi la qualité est aléatoire. Par conséquent, il convient de réinterroger la chaîne entre le produit, sa mise en œuvre, la formation des acteurs et la construction finale. Certains outils issus de l'industrie sont de très bonne qualité. Par exemple, une fenêtre double vitrage d'aujourd'hui est de très bonne qualité, qu'elle soit en PVC, en aluminium ou en bois. Cependant, l'industriel ne pense pas à son intégration dans l'ensemble du bâti. Hormis les pattes métalliques qui les assujettissent à l'enveloppe, l'étanchéité à l'eau, l'étanchéité à l'air et l'isolation acoustique dépendent de la solution mise en œuvre par l'artisan. De ce fait, la pose demeure une occasion de non-qualité.
Le CSTB a donc mis en place une formation en la matière, et souhaite que d'autres organismes proposent de telles formations à l'avenir. Nous ne pouvons toutefois pas nous substituer aux centres de formation du secteur, plus techniques que scientifiques. Les différents centres tels que l'Institut technologique FCBA pour le bois, le Centre technique des industries aérauliques et thermiques (CETIAT) pour la ventilation, ou le Centre technique de matériaux naturels de construction (CTMNC) pour les matériaux naturels ont la capacité d'accompagner les entreprises dans la mise en œuvre de leurs produits et leur intégration dans le bâti par l'innovation.
Le CSTB a identifié les problématiques et donné des orientations, mais nous nous heurtons peut-être à une opposition de la part des professionnels à l'approche purement industrielle. Votre exemple du plâtrier est un bon exemple. L'innovation du placoplâtre a été créée dans les années 1950, son industrialisation a commencé dans les années 1970, et aujourd'hui, il ne reste plus que quelques plâtriers intervenant sur les monuments historiques. D'un côté, la profession de plâtrier a disparu. De l'autre, la nouvelle profession des plaquistes est apparue, proposant une meilleure sécurité électrique, de par l'encastrement des fils électriques dans les plaques, et une meilleure isolation par l'intérieur, avec un isolant fibreux entre le mur et la plaque de plâtre. Ainsi, ce transfert de compétences et d'emplois a contribué à une meilleure performance du bâti. Toutefois, les produits de ce type, qui proposent un affermissement de la performance et de la mise en œuvre, sont rares. Une fois les doublages montés, les sinistres sont rares quand les plaques sont bien posées. Reste la question du coût facturé. Néanmoins, la performance de la plaque de plâtre a entraîné une mutation du plâtre, enduit de surface, à une solution globale assurant l'enduit, l'esthétique, l'acoustique, l'énergie, l'électricité et les réseaux. Cet exemple montre que l'industrialisation a apporté des innovations intéressantes.
Malheureusement, notre secteur est très morcelé, avec plus d'un million d'artisans et 350 000 entreprises, en majorité des très petites entreprises (TPE) employant quelques ouvriers et déconnectées des innovations. Par exemple, si une partie du monde de la construction considère que la modélisation des données du bâtiment (BIM) est devenue la référence dans tout le secteur, les petites entreprises provinciales et rurales ne le connaissent même pas. En conséquence, certains acteurs publics mettent en place l'obligation d'établir des BIM pour tous les maîtres d'œuvre, y compris dans les dépôts de dossiers en réponse aux appels d'offres. Nous sommes convaincus que l'innovation finira par gagner tout le secteur, mais cela prendra beaucoup de temps, car notre secteur évolue très lentement.