Intervention de le docteur Daniel Habold

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 16h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

le docteur Daniel Habold, directeur de la santé publique à l'Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine :

La quatrième approche concerne le parcours de vie, les expositions, les co-expositions, les constituants de l'exposome et les expositions connues ou nouvelles qui doivent nous alerter. L'étude Esteban de Santé publique France sur les perturbateurs endocriniens nous a largement alertés et fait réagir pour monter en charge et mener des actions assez rapides.

L'action de l'ARS en santé environnementale ne peut s'inscrire que dans un contexte partenarial d'intelligence collective alliant les piliers du savoir, du savoir-faire, du savoir-être et du faire savoir.

La recherche fondamentale est pour nous essentielle. Elle est très riche en France avec une multitude d'agences, d'instituts très compétents rattachés à de nombreux ministères. Nous poussons la recherche clinique, que je considère comme un parent pauvre actuellement, pour avoir des remontées de terrain. Nous devons compléter la recherche par les savoir-faire de la pédagogie avec l'Éducation nationale, de l'expertise de la santé ainsi que du marketing social et politique.

La conscience écologique augmente, l'aspiration sociale est plus orientée vers l'environnement. Nous avons dans la région quatre villes-santé du programme de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Les conseils régionaux sont proactifs. Cet ensemble de facteurs fait que la conscience collective se constitue des savoir-être assez forts.

Enfin, il ne faut pas oublier le faire savoir : sans formation, sans transfert de connaissances aux acteurs, nous ne sommes rien. Faire passer tous ces savoirs auprès des collectivités, des parents, des citoyens fait partie de nos ambitions.

Les ARS disposent d'outils : le plan régional de santé et le plan régional de santé-environnement. En Nouvelle-Aquitaine, ce plan engage 6 millions d'euros dont l'ARS prend à sa charge 56 %. Pour la période 2017-2021, il décline 21 actions et 55 mesures : l'ARS Nouvelle-Aquitaine en pilote 33, la DREAL une quinzaine et la région une douzaine.

Nous n'avons pas élaboré ce plan seuls. Nous travaillons en coopération avec une très importante communauté de 568 acteurs, regroupés en groupement régional santé-environnement (GRSE). Parmi ces acteurs se trouvent 160 représentants des collectivités, 107 associations, 100 représentants de l'ARS et des opérateurs directs, 70 professionnels de santé, 54 entreprises, 43 représentants des services de l'État et 34 représentants d'universités, d'instituts ou établissements publics. Le panorama est donc assez large.

Les axes du PRSE sont déterminés en concertation à partir d'un diagnostic partagé et d'un baromètre en santé environnementale. Ce dernier nous a été très utile pour reprendre dans la région des actions complémentaires contenues dans plusieurs plans environnementaux sectoriels déclinés sur les territoires de tout ou partie des douze départements, en fonction des analyses de risque. Le principe est celui d'un panier dans lequel chacun vient se servir.

Pour garantir la complémentarité au niveau régional, le PRSE n'a pas abordé des sujets portés par ailleurs tels que l'amiante, la sensibilisation de travailleurs aux nanomatériaux et produits phytosanitaires qui sont portés par le plan régional santé travail (PRST), la réduction et la sortie des pesticides qui est un sujet important en Nouvelle-Aquitaine, porté par la région, le bruit des transports terrestres porté par la DREAL et la direction départementale des territoires (DDT), les eaux de loisir qui sont gérées par l'ARS. Le PNSE3 et sa déclinaison en Nouvelle-Aquitaine ont tenu compte de ces articulations complexes.

L'arrivée du PNSE4 n'améliore pas la lisibilité puisqu'il renvoie aux plans sectoriels avec une importante juxtaposition de plans. Le PNSE4 n'est pas un plan chapeau. Il a l'avantage de décliner les sujets orphelins non pris en compte par ailleurs tels que la réduction de l'exposition aux agents physiques, la qualité de l'air intérieur qui devient fondamentale avec le télétravail et la covid, l'exposition aux produits chimiques dans les objets du quotidien. Malgré tout, la clarification de l'ensemble des stratégies et la coordination des politiques publiques ne sont pas faciles.

Nous notons que certaines dynamiques n'apparaissent plus dans les plans alors qu'elles gardent tout leur sens dans notre région, notamment la promotion et l'accompagnement des plans de gestion de la sécurité sanitaire de l'eau, la démocratie sanitaire en santé environnementale, les centres de référence en recherche clinique.

L'action conjointe des acteurs offre un traitement collectif qui nous semble opérationnel. Par exemple, la lutte contre l'habitat indigne associe dans un pôle départemental de lutte contre l'habitat indigne (PDLHI) les actions :

– des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) qui s'occupent de l'hébergement et du relogement à partir d'un signalement de veille sanitaire ;

– de la DDT qui améliore le parc immobilier et fait les injonctions de travaux d'office ;

– de l'ARS qui donne un avis sanitaire ;

– des conseils départementaux et de leurs travailleurs sociaux ;

– des caisses d'allocation familiale (CAF) et de la Mutualité sociale agricole (MSA) qui accompagnent financièrement les associations départementales d'information sur le logement (ADIL) et accompagnent juridiquement ;

– des maires et des conseils communaux d'hygiène et de santé.

La multiplicité des acteurs peut donc être performante dans certains domaines.

En Nouvelle-Aquitaine, nous privilégions la déclinaison locale par le biais des contrats locaux de santé (CLS). Ils couvrent actuellement plus de 85 % de la population de Nouvelle-Aquitaine. Nous incluons systématiquement dans le cahier des charges de ces contrats un volet santé-environnement. Nous l'appuyons par un cofinancement de coordinateurs pour assurer au niveau territorial la coordination des actions menées par le CLS.

Ces CLS permettent d'identifier et de faire émerger l'impact en santé de toutes les politiques menées sur le territoire : les politiques d'aménagement du territoire, de transport, de l'habitat, d'assainissement, de gestion des déchets. La richesse de ces plans se voit à travers la formalisation d'un schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET), d'un projet partenarial d'aménagement (PPA), des schémas de cohérence territoriale (SCoT), des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi).

Je vous engage à prendre plusieurs CLS de la région et à les étudier. Ainsi, le calendrier 2020 du plan du parc naturel du Médoc est exemplaire. Il a été travaillé avec l'Instance régionale d'éducation et de promotion de la santé (IREPS), l'ARS et la collectivité de façon à concevoir un calendrier amenant les bonnes pratiques auprès des personnes.

Cet ensemble est encadré par une comitologie essentiellement constituée, au-delà du comité de pilotage du PRSE, par :

– le comité d'administration régional (CAR) comprenant le préfet de région, les préfets des départements, les services régionaux de l'État et le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) ;

– une commission de coordination des politiques publiques (CCPP) comprenant des représentants de l'État, des collectivités territoriales et des organismes d'assurance maladie.

Il ne me semble pourtant pas que le pilotage à travers ces deux instances soit la meilleure méthode. Nous leur rapportons les éléments, mais l'interaction avec ces commissions ne nous amène pas à développer des actions, en tout cas moins que ce que j'ai décrit à travers les CLS. Je pense qu'aucune institution ou collectivité ne peut prétendre piloter et fédérer seule les actions, au regard de ses moyens humains d'une part et de la diversité des décideurs d'autre part. Tous n'ont pas autorité ou légitimité à décider des financements ou des décisions et cette coordination pose question.

Enfin, je souhaite présenter une initiative de notre ARS qui a été partagée avec d'autres ARS. Je laisse de côté le champ régalien pour aborder plutôt notre stratégie de prévention et de promotion de la santé dès la petite enfance. Nous avons mis en place cette stratégie depuis six ans avec l'objectif de réduire la quantité de substances toxiques dans l'environnement intérieur des femmes enceintes et des jeunes enfants. Nous avons pris comme principe de développer les aptitudes et la littératie en santé environnementale auprès de ce public.

Nous avons agi dans le cadre d'une action « Hôpitaux promoteurs de santé » avec des ateliers pédagogiques dans l'ensemble des maternités de la région Nouvelle-Aquitaine. Nous avons créé un label « Prévenir pour bien grandir » pour que les maternités et les centres de périnatalogie s'inscrivent dans une dynamique d'amélioration en santé environnementale. Cette action va de pair avec des achats responsables pour une hygiène écologique et économique à l'intérieur des établissements de santé, en commençant par les maternités pour étendre ensuite l'action aux autres services.

Pour aller au-delà du monde hospitalier, ces actions font l'objet de guides de recommandations avec en particulier le guide Reco-crèche, d'un spectacle vivant « Les Parents Thèses » qui a été primé par le ministère de l'environnement ainsi que de conférences métiers auprès des collectivités locales, des protections maternelles et infantiles (PMI) et des CLS. Après évaluation, cette action innovante a été jugée probante.

Nous souhaitons maintenant élargir les tranches d'âges concernées pour aller sur la tranche 0-25 ans au lieu de la petite enfance et inventer un carnet de santé environnementale, en lien avec les professionnels de santé de premier recours. Nos unions régionales des professionnels de santé (URPS) sont très dynamiques et font le bilan exposomal des personnes à travers un outil nommé MedPrev' que nous finançons. Nous devons encore encourager cette action, l'élargir aux thématiques des déterminants de santé au sens large. Ceci constitue une action très forte qui ramène un nombreux public vers la santé environnementale.

Nous souhaitons aussi promouvoir les plans de gestion et de sécurité sanitaire de l'eau (PGSSE). L'objectif est de transférer des compétences en prévention des risques auprès des personnes responsables de la production et de la distribution de l'eau (PRPDE) et de sensibiliser aux agents qui ne sont pas habituellement recherchés dans l'eau. Nous en faisons actuellement l'expérience avec le covid, mais c'est également valable pour les résidus hormonaux et les perturbateurs endocriniens.

Nous mettons des moyens à travers des ambassadeurs chargés de former les opérateurs avec le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et l'office de l'eau. Il s'agit de transférer ces compétences et de faire faire parce que nous ne pouvons pas tout faire nous-mêmes. Nous évaluerons les résultats par rapport à des cibles prédéterminées, la première de ces cibles étant que chacun de nos départementaux ait au moins un PGSSE. Nous en avons actuellement 34.

Les études d'impact en santé (EIS) sont le troisième élément à promouvoir. C'est un outil fondamental pour déployer une action et l'objectif 8 du PRSE est d'introduire dans chaque planification d'aménagement un outil d'étude d'impact en santé identifiant toute modification environnementale, physique ou psychosociale. Il s'agit aussi de développer les compétences et la littératie en santé des services de l'État pour que les collectivités locales et les métiers s'approprient bien la problématique de la santé environnementale. La formation initiale ou continue dans ce domaine est souvent insuffisante.

Nous utilisons pour développer ces EIS le programme « Collectivités mobilisées pour le développement des évaluations d'impact sur la santé » (COMODEIS). Une partie de l'IREPS Nouvelle-Aquitaine est missionnée et financée par l'ARS pour ce faire et la mission sera ensuite évaluée.

Nous développons également l'observatoire régional en santé environnementale (ORSE) qui est une extrapolation de notre ORS et qui existait déjà dans le Limousin depuis 2014. C'est un projet de démocratie sanitaire qui répond à une demande populationnelle confortée par le rapport du PNSE3. Il s'agit de proposer un espace participatif de concertation et de médiation à partir du partage des savoirs : vérifier les données valides pour transposer la problématique sur un territoire et évaluer les moyens que nous pourrions y consacrer ensemble.

Cet ORSE est organisé en séances régionales ou locales puisqu'il existe une déclinaison locale de l'observatoire régional. Les thématiques de cette année étaient :

– le réchauffement climatique et la santé en Nouvelle-Aquitaine, ce qui inclut évidemment la prévention des maladies vectorielles et le problème du moustique tigre ;

– l'environnement intérieur en santé ;

– les pesticides en santé.

Nous faisons le point sur ces thématiques dans le cadre de l'ORSE pour pouvoir échanger et faire de la médiation avec la population.

Nous portons également à bout de bras le projet ARTEMIS que j'aimerais voir avancer alors que nous butons dessus depuis trois ans au plan national. Il s'agit d'un centre expert référent régional en prévention et reproduction. C'est un projet de recherche clinique avec un cofinancement initial par l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), Santé publique France (SPF) et l'ARS. Il nous a permis de disposer d'une équipe de professionnels de santé et de recherche clinique en santé environnementale au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux. Elle est adossée à une plateforme faisant rapport des connaissances, à un entrepôt de données et à un diplôme universitaire (DU) en santé environnementale porté par les universités de Poitiers, Bordeaux et l'Institut de santé publique, d'épidémiologie et de développement (ISPED). Nous avons en effet la chance d'avoir un tissu universitaire particulièrement riche en Nouvelle-Aquitaine, notamment à Bordeaux.

Ces consultations de médecine du travail ou sur les reprotoxiques permettent de disposer d'un centre expert référent et d'identifier, à chaque fois qu'une anomalie survient, le lieu où nous pouvons l'analyser et acquérir les données. Ces centres experts référents pourraient être au nombre de quatre ou cinq en France, mais seul le nôtre tient encore sous perfusion financière du fonds d'intervention régional (FIR) et de l'ARS. Il me semble qu'il a toute sa place dans cette recherche en santé environnementale.

Le service sanitaire qu'effectuent les étudiants durant le cursus des études médicales d'infirmière, sage-femme, médecin, pharmacien, kinésithérapeute, dentiste permet la tenue d'une action de prévention primaire ou secondaire auprès d'établissements scolaires ou autres. Nous avons pris sur nous d'étendre les sujets de prévention primaire à la santé environnementale et nous sommes la seule ARS à l'avoir fait. Nous nous adossons à la stratégie petite enfance et à des données probantes non discutables pour ne pas mettre en difficulté les étudiants en santé. Ils apprennent à être des préventeurs et font en même temps passer des messages.

Nous venons aussi de mettre en place un groupe d'analyse des conséquences environnementales de la crise covid. L'objectif est d'identifier rapidement la dégradation de certains déterminants de santé, des expositions anormales à travers les emballages plastiques, les désinfectants, les masques, le télétravail inadapté dans le bruit. L'idée est également de définir des priorités avec l'aide des sciences sociales et de la philosophie. Je crois que nous avons besoin d'élargir notre champ à la vie. Nous avons un groupe de travail réunissant l'université, l'ISPED, l'ARS et des conseillers en environnement intérieur.

J'identifie un premier lot de points forts en santé environnementale constituant autant de points faibles : le grand nombre d'acteurs, le grand nombre de plans nationaux, régionaux et infrarégionaux. Cette foison d'acteurs et de plans en fait la richesse et la faiblesse par les coordinations et les articulations acrobatiques qu'elle nécessite. Le rapport sur le PNSE3 en faisait largement état.

Côté points faibles, l'absence de référentiel partagé des connaissances en santé environnementale reste un frein. Ce référentiel est actuellement morcelé et il devra apparaître beaucoup plus clairement.

Nous n'avons pas un appui suffisamment fort de Santé publique France qui a la mission de prioriser les expositions et les actions. Certaines actions sont plus importantes à traiter que d'autres et les priorisations ne sont pas assez lisibles. Nous n'avons pas assez de recherches cliniques et peu d'études prospectives.

Le portail de mise en commun des bonnes pratiques n'existe pas. Les informations passent actuellement d'ARS en ARS lors de discussions entre les responsables sur leurs actions respectives. Ces mises en commun de bonnes pratiques, pas seulement entre les ARS, mais entre tous les acteurs, n'existent pas et les formations initiales et continues sont insuffisantes.

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