Intervention de Sylviane Oberlé

Réunion du vendredi 30 octobre 2020 à 9h30
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Sylviane Oberlé :

Je vous prie de bien vouloir excuser M. Jean-Louis Denoit, maire de Viviez, qui aurait dû être présent. La mise en place du confinement et l'ouverture des écoles posent en effet quelques problèmes pratiques, et requièrent sa participation aux réunions organisées sur son territoire.

La préoccupation de la santé de leurs concitoyens et de l'impact des nuisances environnementales ne quitte pas les maires. Ils ont en effet le souci du bien-être de leurs concitoyens. De manière plus triviale, des contentieux lourds peuvent rapidement survenir, et pourraient engager leur responsabilité pénale. C'est donc une question qu'ils ne prennent absolument pas à la légère.

Néanmoins, les choses peuvent s'avérer parfois un peu plus difficiles en matière de moyens, notamment d'un point de vue technique. Les maires sont des citoyens comme les autres. Ils n'ont pas forcément de compétence particulière en matière de santé, de chimie, ou de pollution. Ils disposent de moyens pour les acquérir et pour s'informer, mais peuvent se trouver parfois un peu démunis face à des questions extrêmement « pointues » sur le plan scientifique.

J'illustrerai mon propos par un certain nombre d'exemples, où les maires ont dû gérer ces problèmes, parfois avec difficulté, mais toujours avec bonne volonté. La première catégorie de problèmes que je voudrais évoquer est celle des risques de pollution des eaux et de l'air. Les maires sont comptables vis-à-vis de leurs administrés et de l'administration de la qualité des eaux de baignade et de consommation, ainsi que de celles rejetées dans les milieux naturels. Ces questions sont parfois très techniques, bien qu'ils parviennent à les traiter grâce à l'aide de leurs services ou de leurs prestataires. Il n'en demeure pas moins qu'ils font parfois face à des inquiétudes de la population.

Récemment, nous avons connu quelques cas compliqués, entre, d'une part, le souhait de la population de réduire sa consommation d'eau en bouteille et de privilégier l'eau du robinet, et, d'autre part, une certaine inquiétude quant à la qualité de cette dernière. Cela a parfois donné lieu à des débats délicats au sein de la collectivité.

En matière de pollution de l'air, le dossier le plus complexe est certainement celui relatif à la pollution de l'air atmosphérique, car il touche aux politiques extrêmement lourdes que sont l'urbanisme et la politique des transports. Les maires ont été beaucoup plus à la manœuvre sur les dossiers de pollution de l'air intérieur, notamment dans les crèches et les établissements d'enseignement. Avec plus ou moins de rapidité, pour des raisons budgétaires et d'accès aux techniques, cette réglementation a été mise en œuvre.

Nous nous sommes néanmoins heurtés à un écueil, qui vous paraîtra peut-être dérisoire, mais qui dans la vie locale, s'avère relativement important. Les résultats de pollution de l'air intérieur doivent être affichés à l'entrée de l'établissement. Cela n'est pas mauvais en soi, mais les maires se rendent parfois compte que leurs administrés ignorent ce qu'est une valeur cible, une valeur seuil, ou une concentration. Ils sont alors obligés de le leur expliquer. Cela permet certes de susciter le débat et d'accroître le niveau de connaissance au sein de la commune, mais peut néanmoins s'avérer compliqué. Aussi, l'AMF souhaiterait avoir accès à une information grand public banalisée, qui existe dans les services de l'État, mais sous une forme parfois un peu trop technocratique. Cela permettrait aux élus, aux maires et aux présidents d'intercommunalité d'expliquer ces notions de manière plus rationnelle à la population.

Nous avons également eu un long débat sur l'exposition aux produits phytopharmaceutiques, qui a commencé bien avant l'actualité des dernières années. Dès la mise en œuvre de la loi Labbé est apparu un certain nombre de difficultés quotidiennes et pratiques. Avec une certaine réticence, compte tenu de la résistance du personnel des services des espaces verts, les collectivités ont mis en œuvre cette loi, mais cela a suscité un débat au sein de la population. Celle-ci se demandait en effet pourquoi les pesticides étaient jugés dangereux à tel endroit, et non à tel autre. Les maires ont ainsi dû faire face à un vent de polémiques. Certains ont anticipé l'évolution de la réglementation, et se sont de ce fait placés dans une situation d'illégalité, en prenant des arrêtés d'interdiction qu'ils n'étaient pas compétents à prendre. Néanmoins, c'était une manière de répondre à l'inquiétude de la population.

La pollution des sols constitue un autre dossier particulièrement lourd pour les maires. Dans un certain nombre de zones en France, nous payons encore un héritage industriel, qui a pu être glorieux, mais qui a laissé des traces extrêmement négatives sous diverses formes, notamment en ce qui concerne la pollution des sols.

M. Jean-Louis Denoit aurait pu vous expliquer cela de manière beaucoup plus détaillée que moi, car son territoire comprend plusieurs anciennes mines et industries lourdes de laminage et de traitement des métaux. Il a entrepris en particulier un vaste programme de mesure des taux de pollution dans les sols de différents types, notamment dans les jardins de ses administrés. À cette occasion, même si nous n'arrivons pas totalement à l'expliquer, nous avons constaté que les taux de plomb et de cadmium dans ces jardins étaient parfois supérieurs à ceux mesurés dans les enceintes même des anciennes usines. Nous nous sommes rendu compte qu'un certain nombre de matériaux étaient récupérés par les habitants dans divers lieux, et rapportés dans leur propre jardin.

Cela témoigne d'une méconnaissance de ce qu'est la pollution des sols. Il est facile de faire des bêtises, mais réparer leurs conséquences est beaucoup plus compliqué. M. Jean-Louis Denoit a ainsi dû expliquer à ses concitoyens ce qu'il en était, sans pour autant déclencher un vent de panique, qui aurait pu entraîner des comportements irrationnels, et préjudiciables à l'objectif poursuivi.

Avant de conclure, j'évoquerai l'affaire Lubrizol. Il est peut-être cynique de présenter les choses ainsi, mais nous n'avions jamais eu une expérimentation grandeur nature mettant en lumière de manière aussi évidente les failles que pouvait présenter le dispositif, qui est pourtant assez complet. L'une de ces failles réside dans le fait que les services de l'État sont occupés à gérer les conséquences immédiates de la catastrophe. C'est normal, c'est leur rôle.

Néanmoins, face à ce qui était tout de même assez visible – un nuage de pollution de cette ampleur peut difficilement être ignoré – ils n'ont pas eu l'idée d'informer les maires, qui étaient pourtant leurs premiers relais aux yeux de la population. Lors des premières retombées d'une espèce de suie noire sur les habitations et les véhicules, la tentation naturelle des habitants a été de les nettoyer au jet d'eau. Cela apparaissait en effet plus facile, et donnait le sentiment d'être moins dangereux. C'était pourtant la pire des bêtises, car cela a consisté à solubiliser les polluants et à les entraîner dans les réseaux d'eau pluviale. Il a fallu du temps pour alerter les maires, pour que ceux-ci puissent prévenir les habitants qu'il fallait mieux essuyer cette suie au chiffon.

Je ne vous soumets cette anecdote que pour illustrer un certain nombre de difficultés des maires. Ils n'ont pas toujours une connaissance précise du phénomène et des mesures à prendre pour y faire face. Or il faut qu'ils puissent informer leurs habitants. Il serait possible d'améliorer l'information des maires quant à la nature des phénomènes et aux risques qu'ils présentent avant la catastrophe, dans un langage simple, qui ne les oblige pas à lire des publications scientifiques. Celles-ci sont souvent extrêmement intéressantes, mais ils n'ont pas toujours le bagage ou le temps nécessaire pour le faire.

En résumé, face à ces questions, le problème des maires, sous des formes diverses et variées, est double. Ils doivent gérer l'inquiétude de la population, en lui donnant une information exacte, mais non anxiogène. D'un autre côté, ils doivent gérer leurs relations avec les services, notamment de l'État, soit parce que ce sont eux qui ont en charge une politique nationale en la matière, comme c'est le cas en ce qui concerne les pesticides, soit parce que ces services disposent des informations, comme c'est le cas des pompiers et des cellules de crise en cas d'accident industriel.

Pour finir sur une note un peu plus optimiste, mais qui dépasse l'environnement, je dirai ceci : il est fréquent de dire que les maires n'ont pas de moyens. C'est vrai sans être vrai. Ils disposent d'une ressource fantastique dans le savoir-faire et la bonne volonté de leurs administrés. Tout le monde n'a certes pas l'administré compétent sur tous les sujets. Ces ressources sont réparties de façon inégale, mais un certain nombre de maires s'appuie sur les compétences de leurs administrés pour mettre en place des dispositifs bénéfiques en termes de réparation des dommages ou de prévention et de bien-être.

Ainsi, des circuits courts pour alimenter les cantines scolaires ont été mis en place depuis plus de dix ans dans certaines collectivités, c'est-à-dire bien avant que cela ne fasse l'objet de dispositions législatives. L'intérêt de ces dernières a été d'étendre à l'ensemble du pays des mesures qui n'avaient pu être mises en place que dans un nombre limité de territoires, parce qu'elles étaient uniquement dues à la créativité et aux ressources locales dont disposaient certains maires et présidents d'intercommunalité.

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