Intervention de Mickaël Derangeon

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 14h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Mickaël Derangeon, membre du Collectif stop aux cancers de nos enfants :

Pour visualiser ces chiffres avec un exemple, mes deux filles de 10 et 13 ans ont chacune un camarade atteint d'un cancer. Elles connaissent trois enfants avec un cancer et ont appris les obsèques d'une petite camarade victime d'un cancer. Cela permet de mieux voir la réalité des chiffres dans cette commune. Si vous avez des enfants, vous pouvez vous demander combien de camarades atteints d'un cancer connaissent vos enfants.

Le Collectif Stop aux cancers de nos enfants a demandé plusieurs actions. Il a demandé que l'enquête épidémiologique ne se limite pas à l'interrogation de bases de données, mais que les données biologiques soient étudiées. Lorsque les enfants ont un cancer, des prélèvements sont en général effectués et même conservés dans des tumorothèques. L'une des demandes du Collectif est d'effectuer une analyse moléculaire sur ces prélèvements. Nous sommes en 2020, nous parlons de médecine personnalisée et nous sommes capables de connaître tous les ARN exprimés dans les cellules d'une personne et toutes les agressions de l'environnement sur l'appareil génétique.

Nous avons demandé des analyses dites de RNA-seq et méthylome et nous nous sommes heurtés à un refus catégorique. Je pense, sans vouloir être méchant, que ces agences ne connaissent pas forcément ces méthodes modernes. Pour eux, ce n'était absolument pas faisable. Le docteur Caroline Thomas, cheffe de cancérologie, nous disait elle aussi que ce n'était pas réalisable ce qui est dommage puisque l'Institut des Cordeliers a récemment déposé un projet pour faire justement ce que nous demandions. Cela valide le fait que ce soit réalisable. Malheureusement, nous avons attendu dix-huit mois du fait de tous ces freins. Nous pourrions avoir déjà ces résultats et avoir peut-être une autre approche, des hypothèses et même des méthodes de prévention.

Aucune étude environnementale n'a été réalisée, seules des études de levée de doute ont été faites pour voir si nous étions dans les règles sanitaires. Nous avions demandé à ce que soient recherchés les métaux lourds et les pesticides, dans tous les compartiments : eau, sol, air. En effet, l'étude épidémiologique a trouvé un seul point commun à tous ces cancers : les parents sont proches de champs de culture puisqu'ils habitent à la campagne. Nous avions remarqué que les boues de station d'épuration étaient répandues sur ces champs. En général, elles contiennent beaucoup de métaux lourds et des perturbateurs endocriniens.

Par ailleurs, des analyses faites sur les cheveux des enfants ont trouvé énormément de terres rares, de métaux lourds et de pesticides. Nous demandions donc que ces investigations soient réalisées pour savoir s'il existait des facteurs de risques dans ces différents compartiments. Nous demandions également des prélèvements d'urine ou de sang chez les enfants, d'abord, pour valider la plombémie, puisque beaucoup de plomb a été trouvé chez certains enfants, ensuite, pour valider les autres sources d'exposition.

L'ARS nous a opposé un refus catégorique et nous a même expliqué ne pas savoir où se faisaient les épandages. Le Collectif a recherché tous les arrêtés préfectoraux et a donné à l'ARS les arrêtés d'épandage avec les numéros de parcelles qui permettent de savoir exactement où les boues sont épandues pour faire ces mesures. C'est donc réalisable.

L'ARS a finalement accepté et des prélèvements ont été effectués en janvier 2020 chez les familles pour rechercher ces métaux lourds. Le comité de restitution aurait dû se tenir en mars 2020, mais a été repoussé à cause du covid, l'ARS expliquant qu'il n'apparaissait aucune inquiétude et que nous pouvions remettre à plus tard. Les familles étaient rassurées.

Fin juin 2020, sous la pression des familles, l'ARS a organisé en quelques jours une réunion de restitution au tout début juillet. Ils se sont finalement aperçus deux jours auparavant que dans de l'eau prélevée chez une des familles se trouvait du plomb, à la dose de deux fois la norme de potabilité. Ils avaient donc ces données depuis janvier et avaient laissé cette famille boire de l'eau contaminée au plomb sans se préoccuper de l'effet que cela pouvait avoir, sachant que cette famille a déjà un enfant atteint d'un cancer.

Chez d'autres familles, du plomb a également été retrouvé à des doses limites de la normale, qui la dépassent même parfois avec des teneurs à 170 et 200 milligrammes par kilogramme. Ces doses peuvent être extrêmement dangereuses pour la santé. Il faudrait donc savoir si ce plomb est d'origine naturelle ou anthropique. Nous avons demandé à ce que l'ARS ne se limite pas aux familles puisque, si du plomb est trouvé à un endroit, il y en a peut-être aussi chez les voisins. Les gens sont peut-être exposés à du plomb également par leurs jardins. À ma connaissance, aucune plombémie n'a été réalisée ce qui pose un problème de sécurité sanitaire.

Les mesures dans les cheveux n'ont pas été prises très au sérieux par les autorités qui ont expliqué que cela ne se faisait pas, que nous n'étions pas capables de savoir. Concrètement, des cheveux ont été prélevés sur des enfants dans toute la France ainsi que sur des enfants malades ou non dans le secteur de Sainte-Pazanne. Nous avons envoyé au laboratoire des échantillons totalement anonymisés : le laboratoire ignorait quels échantillons correspondaient à des garçons, à des filles, à des enfants malades ou non. Cela donne du poids statistiquement à l'étude et le résultat est clairement très fort, très fiable.

Une nette augmentation de la quantité de terres rares a été constatée dans les cheveux de tous les enfants du secteur de Sainte-Pazanne par rapport aux enfants du groupe témoin. Nous ne savons pas si cela a une signification physiologique. Nous avons aussi retrouvé trois fois plus d'uranium dans les cheveux des garçons malades.

Nous avons voulu envoyer ces informations à l'ARS, mais nous n'avons jamais eu de retour. Pourtant, elles nous semblent très préoccupantes. De plus, ces données peuvent ne pas être une cause, mais une conséquence du cancer. La présence de trois fois plus d'uranium est inquiétante, car, selon Santé publique France, l'uranium peut avoir un impact sur la santé, notamment sur le développement. Or nous savons que le cancer pédiatrique est très probablement une maladie du développement.

Nous voulions partager ces données sur l'uranium avec les autorités, ne pas les donner aux médias, car nous ne voulons pas inquiéter la population de façon non responsable. Le problème est que nous n'avons finalement pas d'autorité à laquelle nous puissions transmettre ces données.

Nous avons aussi étudié l'hypothèse des pesticides. Nous avions demandé une étude qui nous a été refusée parce que, selon Santé publique France, la même problématique se posant partout en France, cela n'avait pas d'intérêt. Notre secteur a la particularité de comporter beaucoup de vignes. Or, la vigne représente 3 % des surfaces agricoles utiles en France et 20 % de la consommation de pesticides. Ces chiffres proviennent de rapports sénatoriaux.

Nous avons mesuré dans quelques bouteilles de vin les teneurs en pesticides pour voir si ces teneurs sont identiques. Nous avons analysé des bouteilles provenant du vignoble nantais et des bouteilles provenant du secteur du cluster de Sainte-Pazanne. Nous avons constaté que les teneurs en pesticides dans les bouteilles sont très faibles, sauf dans le secteur de Saint-Julien-de-Concelles. Le réseau Air Pays de la Loire a mis une station de mesures dans un lycée au milieu des vignes et détecte tous les jours une dizaine de molécules cancérigènes, liées aux épandages de la viticulture. Étonnamment donc, nous retrouvons très peu de pesticides dans les bouteilles alors qu'ils sont présents dans l'air. Notre grande surprise a été de retrouver des quantités extrêmement importantes de pesticides dans notre secteur, notamment sur la commune de Saint-Mars-de-Coutais et c'est la commune dans laquelle nous constatons le plus de cancers pédiatriques, en termes de fréquence ramenée à la population. Évidemment, les enfants ne boivent pas de vin, mais ils respirent l'air par lequel ils peuvent être contaminés par ces pesticides.

Cette étude ne veut rien dire, il faut aller beaucoup plus loin et refaire des prélèvements. L'étude a été faite sur une année qui n'est peut-être pas représentative, mais les résultats correspondent assez bien à ce que nous observons.

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