Intervention de Emmanuelle Amar directrice générale du Registre des malformations en Rhône-Alpes

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 16h30
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Emmanuelle Amar directrice générale du Registre des malformations en Rhône-Alpes :

J'ai également été auditrice de l'Institut des hautes études pour la science et la technologie, qui a pour objectif de créer des maillons entre la science et la société. C'est à ce double titre que je vous propose cette présentation, selon quatre axes qui concernent :

– les malformations et leur lien éventuel avec l'environnement ;

– la surveillance/alerte : il n'existe aucune sécurité sanitaire sans données et aucune donnée sans algorithme ;

– le PNSE 4 et ce qu'il apporte à la sécurité sanitaire en rapport avec les risques malformatifs ;

– les suggestions que je vous soumettrai.

Dans les pays développés, les malformations sont responsables d'environ un quart de la mortalité périnatale totale. Elles concernent entre 4 et 4,5 % des naissances. En Rhône-Alpes, elles concernent 4,7 % des naissances. Cela signifie qu'un peu plus de trente mille naissances par an sont porteuses de malformations, qu'elles soient vivantes ou pas.

Si nous considérons que les facteurs environnementaux représentent tout ce qui est indépendant de la mère, ils concernent environ 10 % des malformations. Cela signifie qu'environ trois mille enfants naissent avec des malformations qui auraient pu être évitées. Les malformations constituées sur la base d'une association entre un gène de susceptibilité et un environnement particulier représenteraient environ 25 % des étiologies probables des malformations. Ce constat est significatif. Elles relèvent notamment d'expositions à certains médicaments (Dépakine), à des substances toxiques (cocaïne, alcool, notamment), à des polluants, tels que ceux émis par le trafic routier ou les incinérateurs d'ordures ménagères), à des pesticides, à certains agents infectieux (zika, rubéole, mais apparemment pas la Covid‑19), à des solvants organiques, aux métaux lourds, etc. L'ensemble de ces expositions augmente le risque de survenue de malformations.

Je vous ai exposé les facteurs connus. L'étiologie de plus de 50 % des malformations demeure totalement inconnue. Aucune recherche n'ayant été engagée depuis de nombreuses années, la connaissance des malformations n'a pas évolué. C'est pourquoi il est important de procéder, non seulement à une surveillance épidémiologique qui permet de disposer, à bas coût, de données non biaisées pour la recherche, mais également à la recherche elle-même.

Nous avons également remarqué des disparités territoriales dans le diagnostic anténatal et dans la survenue des malformations. Il existe donc un intérêt manifeste à disposer de données issues de zones géographiques étendues (rurales, montagneuses, urbaines), car cela permet de poser les termes de choix et de décisions à prendre en matière de proximité et de qualité des soins.

La France dispose d'un atout non négligeable par rapport à d'autres pays, à savoir le dépistage en période anténatale de plus de 85 % des malformations majeures et qui conduisent, pour les plus graves, à une interruption médicale de grossesse. Ce constat explique d'ailleurs peut-être la pauvreté de la France en matière de registres des malformations. Autrement dit, la France a mis l'accent sur le dépistage et la prise en charge de l'enfant à naître, ce qui est tout à l'honneur de notre système de santé qui, dès lors, est très peu impacté par le coût financier des malformations.

A contrario, ce dépistage précoce et rapidement solutionné conduit à négliger la prévention primaire. À titre d'exemple, nous avons constaté lors de la pandémie liée à la Covid-19 que nous avions totalement perdu l'habitude de nous laver les mains très régulièrement. En épidémiologie, nous appelons cela les « queues de programme », à savoir que lorsque le dépistage est très efficace et conduit au constat que plus aucun cas vivant n'est infecté, on arrête le financement de la surveillance. Depuis la création des registres, au début des années quatre-vingt, cet arrêt de la surveillance a concerné plus d'une dizaine de départements. Dans le passé, la France du Centre et de l'Est était intégralement surveillée. Le financement de la surveillance a été arrêté puisque plus aucun cas n'étant détecté, il n'y avait plus de raison de poursuivre. C'est alors que d'autres cas surviennent et on n'a plus les moyens de les étudier. S'agissant des malformations, j'ai le sentiment que le coût de l'inaction en matière de prévention primaire a largement prévalu sur celui de l'action de surveillance et de recherche.

Quel que soit leur domaine d'application, les deux fonctions, surveillance et alerte, sont liées. Les raisons pour lesquelles on exerce une surveillance résident dans la capacité consécutive à prendre des décisions et à agir rapidement. Il est très important de connaître le lieu de résidence des mères au premier trimestre de leur grossesse, période pendant laquelle les malformations surviennent. À l'heure actuelle, seul un registre qui dispose de dossiers exhaustifs, documentés et géolocalisés, permet de fournir des informations relatives aux issues malformatives, non seulement quant à la prévalence et à la répartition géographique des malformations, mais également aux expositions médicamenteuses, toxiques et environnementales.

À titre d'exemple, je rappellerai l'affaire dite des « bébés nés sans bras ». Le 31 octobre 2018, le directeur de l'agence Santé publique France était interrogé au micro de RTL quant à l'existence de clusters dans plusieurs régions françaises. Sa réponse fut la suivante : « Nous avons débuté une enquête sur l'ensemble du territoire. Nous avons commencé par le département de l'Ain ; nous finirons le mois prochain la région Rhône-Alpes et nous couvrirons l'ensemble du territoire. Les résultats pour la France entière devraient être disponibles dans trois mois ». Deux ans plus tard, les résultats ne sont toujours pas disponibles et ils ne le seront jamais. Si d'aventure, un excès de cas de malformations était suspecté dans une des régions non surveillées par un registre (Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Corse, Grand Est, Hauts-de-France, Île-de-France, Normandie, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Pays-de-Loire, Provence-Côte-d'Azur), l'alerte resterait lettre morte du fait de l'impossibilité de l'étayer par des données chiffrées. Le signalement récent émis par la région de l'Étang de Berre est demeuré sans suite parce que personne n'a été en mesure de confirmer le nombre de naissances d'enfants nés sans bras autour de cet Étang de Berre.

Pendant que les données numériques explosent, tant en volumes qu'en vélocité d'analyse, notre système de santé est encore incapable de répondre à la question, pourtant élémentaire, relative au nombre d'enfants qui naissent chaque année en France porteurs de malformations majeures, telles que l'agénésie de bras ou de jambes ou encore de rein. Récemment, sur Twitter, une personne interrogeait quant à la distribution professionnelle et socio-économique de la mortalité liée à la Covid-19. Un professeur de sciences lui a répondu que tout était dorénavant informatisé. Un personnel hospitalier a alors précisé : « Attention, ce qui coince sur les data hospitalières, c'est qu'il faut partir des dossiers des patients, ce qui nécessite un énorme travail de collecte, hôpital par hôpital. Les données des patients restant enregistrées au niveau local, faire une requête par établissement reste un job énorme ». Tout est dit. En effet, on ne connaît pas le nombre de malformations parce que la collecte des données « reste un job énorme ». La donnée existe, mais elle est encapsulée à l'intérieur du dossier médical.

La « pensée magique » selon laquelle il suffirait de cliquer quelque part, de taper « agénésie du bras » pour obtenir l'information est un leurre. L'information existe un peu dans le programme de médicalisation du système d'information (PMSI), mais elle n'est pas fiable, ainsi qu'on a pu le constater lors de l'alerte survenue à l'Étang de Berre. Nous avons travaillé sur ces données du PMSI et nous avons mesuré 30 % d'erreurs de codage. Cela signifie que non seulement plus de neuf mille cas de malformations sur plus de trente mille passent à travers les mailles du filet du PMSI, mais encore, lorsque le PMSI les retrouve, les données ne sont pas précises parce qu'elles ne livrent aucune information quant aux expositions potentiellement toxiques, à la résidence maternelle, etc.

Le rôle des registres consiste à collecter et trier ces informations. Un registre tel que celui de REMERA, association abritée par un hôpital, reçoit une subvention annuelle de 275 000 euros qui doit couvrir les dépenses courantes (électricité, chauffage, salaires et charges, masques, etc.) pour une surveillance de soixante mille naissances. Autrement dit, pour une surveillance appliquée à l'ensemble des naissances françaises, le coût, pour repérer les malformations et identifier les expositions, s'élèverait à trois millions d'euros par an, sans compter le fait que, la recherche et développement étant terminés, nous disposons déjà de la base que nous pourrions utiliser. Il est donc erroné de considérer les registres comme onéreux.

Aucune donnée n'est exploitable sans algorithme. La base du registre REMERA contient plus de soixante-quinze mille dossiers et elle offre la possibilité d'une interface avec la plateforme de santé Health data hub ) lorsqu'elle sera mise en œuvre. Connaissant les limites humaines du traitement de données, nous avons élaboré un système d'intelligence artificielle de sorte à repérer les anomalies. Ce système sera mis en place dès que le Health data hub sera opérationnel.

En France, les malformations ne font pas l'objet d'une surveillance suffisante puisque moins de 20 % des grossesses sont surveillées. La charge de la surveillance des grossesses relève de l'agence Santé publique France. Bien qu'environ 20 % des malformations relèvent de l'environnement, il n'a jamais été question de créer une coordination nationale de surveillance des registres à laquelle l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), par exemple, pourrait participer financièrement. Ce constat est étrange, car nous surveillons également des malformations liées à des tératogènes médicamenteux et l'Agence nationale de sécurité du médicament (Ansm) participe au financement des recherches.

L'action 5 de l'axe 1 du plan national santé environnement 4 (PNSE 4) préconise des consultations d'évaluation des expositions environnementales pour les couples ayant un projet de grossesse. Sur la base de quelles données probantes ces couples seront-ils conseillés ? Ils s'inquiéteront de savoir s'ils peuvent repeindre la chambre du bébé, si Madame, horticultrice, pourra poursuivre son travail. Aucune donnée pertinente ne permettra de répondre à des questions très précises. Bien sûr, nous considérons que ces consultations préconceptionnelles sont capitales et nous tenons à ce qu'elles soient mises en place. Encore faut-il les nourrir avec des arguments fiables. À défaut, il leur sera seulement répondu d'éviter toute exposition aux toxiques de l'environnement, ce qui ne constitue pas une réponse acceptable à notre époque.

Un autre axe du PNSE 4 évoque le risque malformatif, à savoir celui qui concerne la structuration de la recherche sur l'exposome et je le salue. Nous avons de nombreux projets en cours sur ce thème. Toutefois, cette recherche nécessite du matériel, car elle consistera à étudier des cas témoins. Or peu de registres sont capables de fournir des données géolocalisées, notamment. J'attire votre attention sur ce point précis.

À plusieurs reprises, ce PNSE 4 fait mention de plateformes de renseignements. Nous retrouvons là le problème précédemment évoqué, à savoir qu'il n'existe pas de données sans algorithme, mais il n'existe pas non plus d'algorithme sans données. La donnée constitue le carburant du système et elle fait défaut.

Afin de progresser, des relais locaux et de la confiance sont indispensables. Pendant l'épidémie de la Covid, REMERA a été le seul registre à poursuivre sa collecte d'informations. Cette démarche était d'autant plus importante qu'on ne savait rien à propos de ce virus et qu'il pouvait avoir des conséquences sur la grossesse. Nous avons pu réaliser notre collecte parce que nous constituons une petite équipe agile et professionnalisée, bien que nous ne disposions d'aucun personnel statutaire. Nous avons donc pu mettre en place un système d'accès direct à l'ensemble des données du dossier médical des patients hospitalisés, dans les établissements publics et privés, encadrés par des conventions signées avec chaque établissement, bien sûr dans le respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD), via une boîte aux lettres électronique (BAL) dédiée, qui pourrait être démultipliée dans les zones ne disposant pas de registre.

Il suffirait d'identifier un collecteur de données dans chaque département qui ne travaillerait pas nécessairement à temps plein. Récemment, des propositions de professions médicales intermédiaires ont généré une levée de boucliers. Ce n'est pas ce que je propose. Néanmoins, nous avons constaté que les meilleurs collecteurs de données étaient rompus à la culture hospitalière, connaissaient ses rouages et ses usages. Nos collecteurs de données ne sont pas des soignants d'origine, mais ils sont compétents en coordination et en manipulation de données. Cependant, le relationnel avec les services leur fait défaut. Nous avons donc besoin de collecteurs de données autonomes tels que ceux que nous avons formés. Cette tâche pourrait également faire l'objet d'une formation en vue de la reconversion d'infirmières et de sages-femmes, épuisées par le rythme hospitalier. L'hôpital n'aurait aucun surcoût à assumer.

Il n'est pas possible de mener à bien une surveillance sans relais local parmi les effectifs de terrain, qui s'appuie sur les compétences locales et en qui on peut avoir confiance. Ce personnel existe. Souvent, lorsque les personnels soignants sont trop épuisés, ils rejoignent les services de consultations. C'est regrettable parce qu'ils sont souvent très impliqués dans un métier qu'ils n'ont plus la force d'exercer. En revanche, ils sont capables de collecter des informations dans les dossiers médicaux. Il serait souhaitable d'intégrer cette proposition au plan santé environnement.

Si la surveillance de routine est correctement réalisée via des relais locaux, il importe qu'en cas d'anomalies de fréquence (bébés nés sans bras), nous puissions disposer d'une analyse fiable du signalement effectué par le registre. Or nous avons constaté des carences des épidémiologistes de Santé publique France dans le domaine de la santé environnementale. En effet, s'ils ne refusaient pas de mener des investigations, ils les arrêtaient sous le prétexte de l'absence de détermination d'une cause unique. Or nous savons que les maladies virales ont une cause unique (virus, microbes), mais ce n'est pas le cas pour les cancers et les malformations qui sont des maladies plurifactorielles. Il serait souhaitable de disposer d'épidémiologistes spécialisés dans les maladies « non transmissibles » – ainsi répertoriées dans la nomenclature en vigueur bien que certaines puissent être transmissibles via l'environnement. Cela conforterait la surveillance et l'alerte pour les malformations, sous réserve que nous ayons collecté des données et que nous puissions nous appuyer sur des équipes de terrain.

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