Nous avons suivi les travaux de la commission d'enquête – qui sont publics – et nous avons pris connaissance des échanges que vous avez eus avec des collègues – qui sont pour beaucoup des experts de l'Anses – et avec les directions d'administrations centrales. Nous les avons fortement appréciés et ils touchent au cœur du sujet : la gouvernance et l'organisation de la santé environnementale en France.
Concernant le processus des autorisations de mise sur le marché (AMM), je vous renvoie au rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT) de mai 2019 sur le glyphosate. Il traite, plus largement, de l'organisation de l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux relative aux produits réglementés. Il analyse les processus sur lesquels elle repose et ce qui distingue les avis des agences sanitaires dans le domaine réglementaire. Pour les produits phytosanitaires, il s'agit tout d'abord de l'évaluation de la substance active au niveau européen, puis des AMM délivrées dans les États membres (à partir de l'homologation européenne de la substance active). L'ensemble des mécanismes, tant sur le plan réglementaire que sur le plan scientifique, a été détaillé dans ce rapport que j'avais alors salué. Il est extrêmement précis sur le fonctionnement des agences sanitaires et relève des points méritants d'être renforcés.
L'Anses a beaucoup contribué à la réflexion pour le compte de la France, ce qui a permis de soutenir l'élaboration des positions françaises dans la réforme de la Food Law, qui a été votée début 2020 au Parlement européen. Elle pose des bases de réformes assez profondes de l'évaluation des produits, portant notamment sur le rôle de l'Autorité européenne de sécurité des aliments ( European Food Safety Authority – EFSA), les principes de transparence des études fournies à l'EFSA (pour fonder son évaluation des substances actives), la communication auprès des citoyens européens vis-à-vis des risques et la gouvernance de l'EFSA. Cette dernière sera refondue en 2023, pour laisser une plus grande place aux États membres. Par ailleurs, les règles déontologiques dirigeant l'EFSA ont fortement évolué.
Les évaluations pour la délivrance des AMM sur le territoire national sont régies par le règlement no 2001-18, dont le dispositif est zonal. Cela signifie que les produits sont évalués pour l'ensemble d'une zone – sachant que la France fait partie de la zone sud. Les évaluations sont croisées avec les États membres de la même zone. Le pétitionnaire choisit l'autorité nationale évaluant son produit. Cette évaluation est réalisée sur la base d'une homologation de la substance active – qui est un dispositif européen. La France peut agir en tant qu'État membre rapporteur, sachant que le document proposé par l'État membre rapporteur est révisé, ce qui aboutit à l'homologation de la substance au niveau européen.
Concrètement, la substance active du glyphosate fait aujourd'hui l'objet d'une ré-homologation au niveau européen. Elle avait été autorisée en 2017 pour une durée de cinq ans. Son processus est un peu particulier, compte tenu de la sensibilité de ce sujet au niveau international et des critiques qui ont été émises vis-à-vis de l'évaluation. En conséquence, il y a, non pas un, mais quatre États membres rapporteurs, qui forment un consortium : les Pays-Bas (évaluation de la toxicologie), la France (évaluation de l'écotoxicologie par l'Anses), la Suède et la Hongrie (relecteurs). Le rapport du consortium sera envoyé à l'EFSA, qui organisera une évaluation par les pairs (peer review). Ainsi, les agences et autorités de chaque État membre amenderont ce document. L'EFSA corrigera ensuite les remarques et établira le document final, qu'elle soumettra au Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (CPCASA) – situé à Bruxelles et composé de représentants de chacun des États membres. Le Comité prendra une décision politique pour l'homologation ou non de la substance active, pour une durée déterminée.
Par la suite, le règlement d'homologation de la substance active issu de ce processus sert aux États membres, d'une part, pour évaluer les produits la contenant et, d'autre part, pour délivrer des autorisations de mise sur le marché pour chaque usage, c'est-à-dire pour une culture ou pour un ravageur. Ce travail relève des sciences réglementaires, souvent opposées à la science académique. À mon avis, cette opposition est particulièrement simpliste, car les sciences réglementaires sont nourries par les connaissances nouvelles acquises par la recherche académique et par les données fournies par les industriels. Il faut que les règles du jeu soient connues de tous pour matérialiser un processus de mise sur le marché. Les sciences réglementaires figent, à un instant donné, une batterie d'éléments scientifiques nécessaires à l'évaluation. Ce standard évoluera progressivement, en s'enrichissant des données et connaissances nouvelles fournies par la recherche académique. Néanmoins, ces règles du jeu seront figées pendant un certain temps, afin que le travail puisse être mené, entre les évaluateurs et les évalués, sur une base commune. C'est ce qui explique ce décalage constant entre les connaissances scientifiques les plus nouvelles et leur intégration dans les sciences réglementaires. Cette codification est nécessaire pour que les règles du jeu soient claires entre les évaluateurs et les évalués. Le laps de temps de révision de ces règles doit à la fois être le plus court possible et suffisamment long pour qu'elles n'évoluent pas tous les six mois – les industriels devant fournir les données.
Concernant la composition et le fonctionnement de l'Anses et des comités d'experts, les mécanismes d'expertise de l'Anses reposent sur les principes fondamentaux de l'expertise collective. Ils sont repris dans des documents totalement publics et accessibles sur notre site Internet. Ces principes fondamentaux de l'expertise collective figent des processus internes. Il en est de même du guide d'analyse des liens d'intérêts, qui a été élaboré conjointement avec notre comité de déontologie et est révisé régulièrement. Il est accessible, lui aussi, sur notre site Internet. Ces documents-cadres ont été élaborés dans le total respect des dispositions du décret no 2013-413 du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l'expertise sanitaire (codifiée dans la loi). Les textes de l'Anses respectent les principes de la charte et les procédures internes permettent de codifier, en toute transparence, le déroulement de l'expertise, les règles déontologiques qui sont rappelées à chaque réunion des comités d'experts et leur composition. Ces éléments sont accrédités par la norme ISO 9001. D'ailleurs, l'ensemble du fonctionnement de l'Anses fait l'objet d'une accréditation qualité par l'Association française de normalisation (AFNOR), révisée quasiment annuellement. Nous venons d'être ré-accrédités sur ce périmètre ISO 9001, tant sur la délivrance des AMM que sur le fonctionnement des comités d'experts.
Les règles que l'Anses s'applique reposent sur la transparence et sur l'indépendance des experts. L'Agence dépend de cinq ministères de tutelle, car elle n'est pas une haute autorité indépendante en tant que telle. Elle est rattachée à chacun de ces ministères. C'est normal, car nous ne pouvons pas nous substituer aux ministres, qui sont responsables de la politique publique – celle-ci fixant le cadre dans lequel nous intervenons. L'Agence garantit l'indépendance de son expertise, de ses experts et du processus d'expertise scientifique qui s'y déroule.
L'article 9 du code de déontologie de l'agence précise – comme Mme Delphine Batho l'a rappelé récemment dans une de ses questions parlementaires – qu'en vertu de l'obligation de désintéressement et du principe de neutralité du service public, les agents et collaborateurs de l'Anses ne doivent pas prendre part à l'analyse de dossiers dans lesquels leur intérêt personnel est impliqué – même s'il n'est qu'indirect et apparent. Ces règles se traduisent par une grille d'analyse des liens d'intérêts.
J'ai constaté que ces sujets ont été beaucoup abordés dans les débats que vous avez conduits tout au long de ces semaines, dans la mesure où plus de 900 experts travaillent dans nos comités d'experts (dont environ 800 Français). Ces chercheurs sont fortement impliqués dans des recherches partenariales – c'est-à-dire dans des contrats de recherche avec l'industrie. Ils ne perçoivent pas de financements à titre personnel, mais leur laboratoire peut bénéficier de financements au travers de conventions de recherche. Nous avons donc cherché à être de plus en plus précis dans l'analyse de ces liens (mineurs, majeurs) et des conflits d'intérêts. Ces liens s'apprécient dans le domaine de l'expertise. J'ai entendu et vu des chercheurs regretter que leur déclaration d'intérêt ne puisse pas être réutilisée dans différentes instances. Même si la déclaration publique d'intérêts est la plus précise possible, il faut comprendre que nous demandons des liens d'intérêts dans les domaines dans lesquels nos experts sont amenés à intervenir. S'ils interviennent dans d'autres domaines, leur déclaration sera peut-être différente. Nous demandons donc très régulièrement des révisions de ces déclarations publiques d'intérêts.
Depuis la loi de modernisation du système de santé, ces déclarations publiques d'intérêt sont publiques – contrairement à ce qu'a affirmé un expert de l'Institut national de la recherche agronomique er environnemental (INRAE). Elles sont accessibles et chacun peut y accéder sur le site du ministère de la Santé. Seules quelques mentions ne sont pas apparentes pour le public, telles que celles relatives aux ascendants ou aux descendants. Toutes les autres mentions sont accessibles et publiques. Ces déclarations sont remises à jour au moins une fois par an. Nous demandons à nos experts et personnels de mettre à jour une déclaration publique d'intérêts chaque fois qu'un élément significatif la modifie – soit des obligations similaires à celles auxquelles vous êtes soumis, en tant que parlementaires, vis-à-vis de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Elles sont analysées chaque année, pour le personnel de l'agence et pour les comités d'experts, respectivement par les services de la direction des ressources humaines et de la direction d'évaluation des risques et des produits réglementés. Cette évaluation est menée selon la grille d'analyse des liens d'intérêts. Il y a une traçabilité de la cotation de ces liens et conflits et de la raison pour laquelle tel expert est retenu ou non par rapport à tel groupe de travail ou tel comité d'experts. Cela a lieu de façon systématique. La décision est prise par la direction générale dans des réunions ad hoc pour les vingt-cinq comités d'experts spécialisés de l'Agence – dont la création est entérinée par le conseil d'administration.
Nous appliquons un principe de collégialité car nous cherchons à disposer d'une expertise pluridisciplinaire, afin d'avoir une réflexion contradictoire portée par des arguments issus de disciplines différentes.
Il y a aussi un principe de neutralité des experts. Ainsi, un expert demandant à participer à un comité d'experts contrevient au principe de neutralité s'il annonce qu'il ne changera pas d'avis. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous ne retenons pas certains experts, car cela démontre qu'ils n'ont pas correctement compris le principe de neutralité que nous attendons dans nos groupes. Nous attendons d'eux une absence de préjugés et de thèses à défendre, car ils doivent examiner les sujets avec un regard aussi neutre que possible, tout en étant compétent. Évidemment, cela peut être compliqué.
Par ailleurs, un expert ayant des liens majeurs ou ne répondant pas à cette définition peut être auditionné et entendu s'il a une compétence très précieuse dans un domaine. Toutefois, il ne peut pas faire partie du comité délibérant. Nous pouvons auditionner des professionnels des industriels et des centres techniques, mais ils ne feront pas partie du comité d'experts s'ils sont impliqués dans la politique à mener – y compris dans une politique publique. Ainsi, les médecins impliqués dans la politique de lutte anti-tabagisme au niveau national n'ont pas été retenus dans le comité relatif aux risques liés au tabac et au vapotage, car ils avaient un point de vue défini – même si l'on peut l'estimer louable. Nous souhaitons des experts les plus neutres possible et n'affichant pas un parti-pris au début de l'expertise.
En outre, la composition des comités d'experts n'est publique que lorsque nous publions notre avis. C'est l'avis de l'Anses qui précise la composition du comité d'experts, afin de garantir tout risque d'influence ou de pression sur ses membres – de toutes parts – pendant la phase d'expertise.
Concernant les attributions d'appel d'offres, je rappelle qu'un appel d'offres est un marché public. Dans ce cas, les règles s'imposant à l'Agence sont celles des marchés publics (transparence, mise en concurrence, etc.). Cependant, certains appels d'offres ne concernent pas des marchés, mais des recherches – tel que le Programme national de recherche en environnement-santé-travail (PNR-EST) –, dont les règles sont issues de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Dans ce cas, nous lançons un appel à candidatures, auquel les équipes de recherche répondent par l'envoi de lettres d'intention. Les comités d'experts de l'Agence dédiés à cet appel d'offres national les analysent ensuite et les classent (selon la typologie suivante : A+, A, B et C). Enfin, un comité de pilotage sélectionne les projets. Il s'agit d'une règle d'appel d'offres public sur des projets de recherche, extrêmement différente des marchés publics. Une troisième possibilité est ouverte à l'Agence depuis la loi de 2007 sur la recherche : la convention de recherche et développement (CRD). Elle peut être mobilisée lorsqu'une prestation de recherche comporte une coopération entre le financeur et le financé. Elle se caractérise par « du gré à gré ». Ce n'est ni un appel d'offres ouvert, ni un marché public, mais une convention entre des parties. D'une part, nous ne finançons pas 100 % des recherches et, d'autre part, cela ne correspond pas à une prestation. L'équipe sélectionnée doit avoir une compétence particulière et il doit y avoir une phase de développement. Ce n'est ni une prestation intellectuelle ni une prestation d'analyse – qui s'inscriraient dans le cadre d'un marché public.
Pendant les dix dernières années, nous avons financé une quarantaine de projets de recherche sur trois ans dans le domaine de l'environnement phytosanitaire, une vingtaine sur le fondement du PNR-EST et le reste au titre du Plan Écophyto et de l'Itmo Cancer Aviesan – qui participe à notre appel d'offres.
Les CDR ont été très nombreuses. Nous en avons financé quarante-sept pendant les cinq dernières années. Elles ont été financées par un budget de 1,5 million d'euros annuels provenant de la taxe sur la phytopharmacovigilance et d'environ 1 million d'euros annuels dédié par l'Anses aux CRD (pour financer des études nécessaires par rapport à nos domaines d'expertise).
Les études que nous avons engagées cet été sur le glyphosate, au titre d'un dispositif de convention de recherche et développement (gré à gré), ont soulevé des critiques. Compte tenu de la sensibilité du sujet, nous avons lancé un appel à candidatures international – pour ne pas nous limiter aux équipes que nous connaissions et obtenir plus de réponses. Malheureusement, seuls deux consortiums y ont répondu.