Intervention de Jonathan Lumbroso

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 9h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Jonathan Lumbroso, directeur de la société LSF Énergie :

. Je ne doute pas que vous soyez familiarisés avec le dispositif des CEE, mais permettez-moi quelques rappels afin d'étayer notre réflexion.

La maîtrise de la consommation énergétique a été érigée en priorité de nos politiques publiques. Dans un premier temps, la rénovation énergétique des bâtiments, premier maillon de la chaîne, représente un enjeu environnemental et social. La plus grande partie des énergies consommées actuellement est produite à partir de ressources non renouvelables – pétrole, gaz naturel, charbon, combustible nucléaire – dont l'usage génère des émissions de gaz à effet de serre et des polluants atmosphériques qui participent au changement climatique. En France, le secteur du bâtiment est le premier poste de consommation d'énergie devant les secteurs du transport et de l'industrie. Or le chauffage représente les deux tiers de la consommation d'énergie du logement. Nous pouvons nous féliciter de la part importante prise par la rénovation énergétique des bâtiments dans les priorités, parce qu'elle participe largement à la transition écologique et à la protection de l'environnement en limitant le gaspillage énergétique.

Le besoin de rénovation énergétique repose non seulement sur une nécessité environnementale mais aussi sur une réalité sociétale : 3,3 millions de ménages représentent 6,7 millions d'individus qui sont en situation de précarité. Il s'agit principalement de ménages en situation de précarité économique et sociale. En 2015, 10 % des ménages les plus modestes consacraient 11 % de leurs revenus aux dépenses d'énergie, contre 4 % en moyenne. En somme, moins on a de moyens et plus on doit dépenser pour se chauffer.

Les ménages en situation de précarité énergétique font moins souvent de travaux que les autres. Aux contraintes de financement s'ajoutent des difficultés d'accès à l'information, freinant la rénovation énergétique des logements des ménages modestes. Face à ces défis, la France s'est saisie du problème et mène une politique nationale volontariste visant à réduire fortement et rapidement les consommations énergétiques et les émissions associées en direction de l'ensemble des acteurs économiques, notamment ceux du bâtiment.

Des fiches techniques par matériau ont été développées par le Gouvernement, montrant des qualités thermiques minimales attendues qui génèrent autant de certificats d'économies d'énergie. C'est dans ce contexte qu'a été mis en place le dispositif des certificats, dont la quatrième période a débuté en janvier 2018, avec des objectifs quasiment doublés, comme vous l'avez dit, par rapport au rythme antérieur, ce qui relance la mobilisation.

Cette quatrième période suscite de nombreuses attentes, dans la mesure où des progrès restent à fournir. Près d'un logement sur deux est en situation de surconsommation énergétique, et 7 millions de logements sont considérés comme des passoires thermiques.

En résumé, la lutte pour la rénovation énergétique des logements constitue un outil majeur du changement climatique. Une mauvaise performance énergétique dans les logements constitue une double peine pour les ménages qui sont déjà en situation de précarité sociale et économique. L'ensemble des acteurs doivent se saisir du sujet pour contribuer à renforcer la lutte contre la précarité énergétique. C'est l'objet de notre venue aujourd'hui et nous vous remercions de nous permettre de nous exprimer à ce sujet et d'avoir une approche collaborative.

Pour répondre au besoin d'équilibre entre la transition écologique et la lutte contre la précarité, a été mis en place le dispositif des certificats dont je rappellerai brièvement le fonctionnement. Les fiches d'opérations standardisées définies par arrêté sont élaborées pour faciliter le montage d'actions d'économies d'énergie. Elles sont classées par secteur –résidentiel, tertiaire, industriel, transports – et définissent pour les opérations les plus fréquentes les montants forfaitaires d'économies d'énergie en kilowattheures (KWh) cumulés actualisés (CUMAC). Les CEE sont attribués sous certaines conditions par les services du ministère chargé de l'énergie aux acteurs éligibles réalisant des opérations d'économies d'énergie.

En bref, pour l'équilibre, le dispositif des CEE constitue l'un des principaux instruments de la politique publique.

Toutefois, le potentiel du dispositif des certificats d'économies d'énergie ne nous paraît pas optimisé, à l'heure actuelle. L'information relative au dispositif est particulièrement technique. En résulte une connaissance partielle des consommateurs qui ne savent pas réellement quelles aides financières sont à leur disposition pour mener leurs travaux de rénovation énergétique. Un sondage réalisé en novembre 2018 montre que seuls 5 % des Français connaissent les certificats d'économie d'énergie. Le ministère de la Transition écologique et solidaire, mais également les plateformes territoriales de la rénovation énergétique pourraient offrir aux consommateurs une information et un accompagnement supplémentaires dans leurs démarches.

Enfin, dans la conclusion des contrats, il apparaît que la plupart des dossiers et formulaires sont remplis sous format papier aux différentes étapes du dispositif : offre de prime, accord de rôle actif et incitatif, signature des devis. Nous avons fait le choix de la digitalisation de l'ensemble de la procédure. Les résultats de la digitalisation sont jusqu'à présent très positifs. La digitalisation permet d'augmenter la traçabilité, de limiter autant que possible les erreurs humaines et d'avoir une gestion continue et centralisée des dossiers, c'est-à-dire de travailler en flux tendu.

Nous disposons aujourd'hui de matériaux plus écologiques et en amélioration constante, permettant une consommation énergétique toujours plus vertueuse. Or les fiches d'opérations standardisées actuelles qui visent à proposer aux particuliers et aux collectivités des travaux à coût réduit ne tiennent pas compte de ces matériaux de meilleure qualité. De ce fait, pour offrir le même dispositif dans les mêmes conditions, avec des matériaux de meilleure qualité, il serait pertinent de valoriser les fiches d'opérations en fonction de la qualité des matériaux. Cela permettrait d'élever la qualité des travaux tout en contribuant à l'atteinte de l'objectif d'équité d'accès aux travaux de rénovation énergétique.

Soucieux de proposer un accompagnement accru aux consommateurs et devant le succès du premier dispositif « Coup de pouce économie d'énergie », terminé en mars 2018, le Gouvernement a décidé de prolonger cette aide. Ce nouveau dispositif prévoit la bonification de certaines opérations engagées du 1er avril 2019 au 31 décembre 2020, pour lesquelles l'énergéticien, et l'énergéticien uniquement, s'engage à respecter les engagements « coup de pouce chauffage » et « coup de pouce isolation ». Deux types de travaux sont éligibles : le « coup de pouce » chauffage concerne les remplacements de chaudières et le « coup de pouce isolation » vient clôturer une grande phase d'isolation nationale. Tous les ménages peuvent bénéficier de cette offre. Les montants des primes attribuées seront cependant différenciés en fonction de leur niveau de ressources. Bien entendu, les plus modestes bénéficieront des primes les plus importantes.

Nous avons constaté que la mise en œuvre du programme « Coup de pouce économie d'énergie » s'accompagnait d'un contrôle renforcé, ce qui a entraîné un retour terrain extrêmement positif à la fois sur les techniques de mise en œuvre et la qualité des travaux réalisés. Plus de contrôles systématiques sont imposés et plus la qualité de mise en œuvre de la massification du programme a des effets bénéfiques et rapides.

L'état des lieux que nous avons réalisé sur la mise en œuvre du dispositif nous a permis d'identifier des pistes d'amélioration afin d'optimiser le potentiel des CEE pour les prochaines périodes. Ces propositions sont articulées autour de trois axes : la mise en œuvre du dispositif, le financement et la digitalisation.

S'agissant de la mise en œuvre, il faut : développer l'information sur le dispositif des CEE de manière à ce que davantage de ménages puissent en bénéficier et offrir une meilleure compréhension de ce qui est proposé ; adapter les fiches d'opérations standardisées au niveau des matériaux de meilleure qualité, afin de démocratiser l'accès à une rénovation de qualité et durable. Concrètement, cela veut dire calculer le montant forfaitaire des KWh « CUMAC » attaché à chaque fiche d'opération standardisée selon la qualité des matériaux, ce qui permettrait de favoriser l'utilisation de matériaux plus efficaces sur le plan énergétique et de stimuler la recherche et le développement dans ce domaine.

Concernant le financement, il convient de poursuivre la massification initiée pour soutenir les particuliers dans leurs travaux de rénovation énergétiques et d'identifier de nouveaux mécanismes de financement de la rénovation énergétique sans passer par le crédit, même à taux zéro, pour les ménages en précarité. Il ne faut pas supprimer le crédit à taux zéro pour tout le monde mais, dans le contexte d'une massification des propositions de CEE, inciter les acteurs à éviter de passer par un crédit, même à taux zéro.

Enfin, nous souhaiterions une généralisation du recours à la numérisation pour les procédés de contractualisation afin d'augmenter la traçabilité, de limiter les risques d'antidatages des documents et d'assurer le respect des délais de rétractation auxquels ont droit les consommateurs. Cela permettrait aussi de faciliter et de fluidifier le contrôle du pôle national des certificats d'économie d'énergie (PNCEE), en réponse notamment à ses moyens relativement limités, comme vous l'avez si bien évoqué, Monsieur le président.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.