Intervention de Gaëtan Thoraval

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 10h40
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Gaëtan Thoraval, directeur général d'ENR'CERT :

. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, merci de nous permettre de nous exprimer sur ce sujet qui nous tient à cœur.

Notre ambition au sein de cette commission est de pouvoir échanger sur la meilleure manière de faire progresser l'efficacité énergétique en France. ENR'CERT est un groupe familial fondé en 2011 et bâti sur l'idée qu'il existe une place en France pour des spécialistes indépendants de l'efficacité énergétique. Nous employons une cinquantaine de personnes.

L'efficacité énergétique est une politique publique particulière. Elle implique directement chacun des acteurs : nos concitoyens, dans leur consommation de tous les jours, les industriels, pour qui l'énergie est un facteur de compétitivité, nos collectivités locales, dans la gestion de leurs services publics, ainsi que les entreprises de la rénovation énergétique.

La France, dans la droite ligne des traités européens et des Accords de Paris, s'est fixé plusieurs objectifs ambitieux, notamment celui d'accroître de 20 %, d'ici à la fin de l'année prochaine, l'efficacité énergétique par rapport à 2005. C'est une nécessité pour réduire notre impact carbone et opérer une transition vers un modèle plus durable dans un monde aux ressources limitées.

Notre pays a fait d'énormes progrès en la matière. L'intensité énergétique finale, c'est-à-dire la quantité d'énergie nécessaire pour un point de PIB, s'est améliorée de 30 % entre 1990 et 2017. La France possède ainsi aujourd'hui une des intensités énergétiques finales les plus faibles de l'Union européenne et est l'un des pays les plus volontaristes en la matière.

Le certificat d'économies d'énergie (CEE) en a été le meilleur instrument. Dans son plan national d'action en matière d'efficacité énergétique 2017, la France estime que les CEE seront à l'origine de 65 % des économies d'énergie annuelles en 2020, en faisant son principal outil de l'efficacité énergétique. C'est un des rares outils qui suit le principe « pollueur-payeur ». Il oblige les distributeurs d'énergie à financer des travaux d'économie d'énergie proportionnellement aux types et aux volumes d'énergie qu'ils distribuent, via l'achat des CEE générés par leurs travaux. Il importe de comprendre que le CEE a un rôle incitatif.

L'objectif est de faire financer aux énergéticiens le surcoût d'opérations d'économie d'énergie qui ne sont pas obligatoires et qui sont particulièrement performantes par rapport à une norme de parc ou de marché. Le CEE a uniquement pour but de financer des travaux permettant des économies d'énergie finales, et non pas la substitution à des énergies propres ni la réduction d'émissions de CO2.

Par ailleurs, les certificats d'économies d'énergie ont un objectif plus implicite, celui d'impliquer les énergéticiens dans la transition énergétique et de faire évoluer leur métier depuis fournisseur d'énergie à fournisseur de solutions énergétiques.

En outre, ils permettent de créer des opérateurs d'efficacité énergétique qui sont directement intéressés à l'économie d'énergie qu'ils font réaliser à leurs clients.

Il convient toutefois de séparer la collecte des certificats d'économies d'énergie et leur utilisation. Il existe trois moyens pour les énergéticiens de collecter des CEE : financer des travaux d'économie d'énergie en propre auprès de leurs clients ; acheter des certificats d'économies d'énergie sur le registre Emmy, alimenté par deux types d'acteurs, des acteurs éligibles – collectivités publiques – et des acteurs délégataires ; déléguer tout ou partie de son obligation d'acheter des certificats d'économies d'énergie à des acteurs délégataires. C'est d'ailleurs le propre des délégataires.

Au moins 20 % de leur obligation de financement de travaux d'économie d'énergie doivent être réalisés auprès de ménages modestes. Par ce biais, le certificat d'économies d'énergie a également une visée sociale. Le coût des CEE est ensuite reporté sur la facture énergétique des ménages par les énergéticiens à hauteur d'environ 2 % de la facture énergétique des ménages.

Après avoir compris comment sont collectés ces budgets, voyons comment sont-ils utilisés ?

Le CEE finance des types de travaux définis par un catalogue d'actions, lequel a été défini par le ministère, qui en a validé les économies d'énergie standardisées ainsi que les conditions d'éligibilité. À ce titre, le ministère peut orienter sa politique énergétique vers des vecteurs de réduction de la consommation énergétique souhaitée. Le ministère est aussi le garant de la délivrance de ces certificats d'économies d'énergie. Il peut à ce titre contrôler la production des certificats d'économies d'énergie.

Nous avons dit que le coût du CEE représentait environ 2 % de la facture énergétique des ménages. Selon leur facture, il peut représenter 100 à 150 euros par ménage.

Il rapporte également aux ménages. Quel est l'effet de levier des certificats d'économie d'énergie ? Je prendrai un exemple. L'isolation de 100 mètres carrés de combles peut rapporter 2 160 euros à un ménage en situation de précarité énergétique et 1 080 euros pour un ménage plus aisé. On voit bien l'effet de levier qui existe entre un coût compris entre 100 et 150 euros par an et un gain de 2 000 euros sur le coût des travaux. Je ne mesure pas ici le gain opéré par les économies d'énergie obtenues par les actions réalisées.

Le dispositif est équilibré. Il est « seulement » nécessaire de rendre accessible ces travaux à tous nos concitoyens ? Pour ce faire, il convient de les en informer, d'avoir la capacité de réaliser des travaux et que nos concitoyens aient la capacité de réaliser des travaux d'économies d'énergie sans souffrir d'un investissement trop élevé, pour les moins aisés d'entre eux.

À l'échelle macroscopique, ce dispositif aujourd'hui plébiscité par de nombreux acteurs de l'efficacité énergétique reste encore trop méconnu. Il est important de rappeler quelques chiffres, notamment sur son efficacité. Il nécessite 1 million d'euros de fonds publics par an pour 2 milliards d'euros de travaux d'économies d'énergie financés chaque année, réalisant une économie d'énergie de 2 milliards d'euros par an. On voit bien l'effet de levier qui existe entre un investissement public, des travaux réalisés et des économies d'énergie réalisées. Pour répondre à une question sur la performance du dispositif, on arrive ici à mesurer qu'entre 2006 et 2014, il aurait permis d'économiser 612 térawattheures (TWh). Plus précisément, 1,4 million de logements en ont bénéficié, et l'on a remplacé pour 1,2 gigawatt (GW) de moteurs électriques dans l'industrie, soit l'équivalent de la production d'un réacteur nucléaire, 3 millions de mètres carrés de serres ont été équipés de systèmes de chauffage performants dans l'agriculture. Il a touché tous les domaines d'activité, tous les types de ménages et a permis de faire réaliser des économies d'énergie.

Enfin, il joue un rôle moteur dans le développement d'une filière de la rénovation énergétique, puisqu'il implique l'ensemble des parties prenantes : fabricants, distributeurs, artisans, délégataires, bureaux d'études, énergéticiens. Il a créé beaucoup d'emplois dans ces domaines.

En cela, il nous paraît être le meilleur outil pour accélérer la transition énergétique. Il n'a pas d'équivalent. Cela ne veut pas dire qu'il est parfait. Des critiques sont régulièrement adressées au dispositif, certaines à tort, d'autres à raison. Ces critiques, nous les entendons d'autant plus qu'elles concernent des ménages en précarité énergétique qui, plus que quiconque, doivent être convaincus et mobilisés autour de l'efficacité énergétique. Ces faiblesses sont inhérentes à un dispositif qui s'est déployé très rapidement, avec un objectif qui a été multiplié par trente depuis sa création, il y a treize ans.

Nous sommes d'ailleurs dans une période particulière du dispositif. Le prix du CEE est très élevé, peut-être trop élevé, 9 euros le mégawattheure (MWh), lié à une production lente. Depuis le début du dispositif, il y a treize ans, le prix moyen pondéré des échanges est de 3,36 euros le MWh.

Il est nécessaire de comprendre le mécanisme des CEE, puisqu'il permet de rendre compte de la juste réalité du coût de la transition énergétique. Il est en cela beaucoup plus juste qu'un impôt ou une taxe. En effet, si le prix du CEE est trop faible, le CEE est trop peu incitatif, en sorte que trop peu de travaux vont être réalisés, donc son prix va augmenter. À l'inverse, avec un prix très élevé, le CEE aura un rôle très incitatif et permettra de réaliser beaucoup de travaux d'économies d'énergie. Mécaniquement, le jeu de l'offre et de la demande conduira à une baisse du prix.

Ce prix de 9 euros ne veut pas dire que le dispositif soit trop ambitieux. On n'est jamais trop ambitieux pour répondre au changement climatique. En revanche, il a besoin d'être optimisé, mieux calibré pour proposer une meilleure justice sociale, une performance accrue, une simplification pour en faire un projet collectif simple et désirable.

Des améliorations peuvent et doivent être apportées sur les points suivants : définir des règles incontestables et plus claires, notamment prévoir la possibilité d'un rescrit de l'administration sur les questions posées quant à l'interprétation des actions éligibles ; créer un observatoire pour analyser l'adéquation entre une production d'économies d'énergie et un objectif. C'est peut-être une des erreurs qui a été commise lors du passage de la troisième à la quatrième période. Doubler les effectifs produit une inertie, nécessite un temps pour que toutes les parties prenantes puissent s'adapter aux objectifs fixés. Autre amélioration possible : continuer de renforcer les exigences en termes de performances, aussi bien sur une vision par action que sur une vision globale de l'ordre dans lequel ces actions doivent être menées ou intégrer la rénovation globale comme une action du dispositif.

Les délégataires et ENR'CERT sont prêts à travailler dans ce but. Pour répondre à une de vos questions, les délégataires ne sont pas de simples intermédiaires mais des acteurs centraux au sein d'un système où chacun a son rôle à jouer. De manière générale, ils jouent un rôle d'experts en efficacité énergétique. Pour la plupart, ils sont la porte d'entrée d'un parcours de rénovation énergétique auprès d'un particulier. Dans le cadre des CEE, ils sont aussi bien le garant de la conformité des dossiers auprès de l'administration que le garant des consommateurs auprès desquels ils travaillent de la distribution d'une prime.

Le délégataire doit être considéré comme un partenaire de l'efficacité énergétique pour l'ensemble des parties prenantes : consommateurs, collectivités, artisans, énergéticiens.

Tenir un discours critique est nécessaire et ne doit pas éroder notre volonté d'agir en matière d'efficacité énergétique. Le CEE est un atout considérable. Il a besoin d'être soutenu et porté par tous. Nous avons beaucoup de propositions pour améliorer le dispositif. Nous sommes pour ce faire à la disposition du Parlement et de cette commission d'enquête pour apporter des éléments de nature à massifier la rénovation énergétique sans compromettre la performance.

Je rebondirai sur une de vos interrogations au sujet de notre production d'énergie renouvelable. C'est une activité historique que nous ne réalisons plus aujourd'hui et dont nous avons cédé les actifs. Nous ne sommes plus producteurs d'énergie renouvelable. Cela dit, nous considérons qu'il est tout à fait possible d'être à la fois producteur et opérateur d'efficacité énergétique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.