Intervention de Julien Grenet

Réunion du jeudi 16 novembre 2017 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Julien Grenet, chargé de recherche au CNRS, Professeur associé à l'École d'économie de Paris, directeur adjoint de l'Institut des politiques publiques :

Il s'est agi, pendant longtemps, d'une question de volonté politique. Toutes les demandes émanant des chercheurs étaient refusées. Cette situation relève également, pour partie, d'éléments d'ordre technique, puisqu'il n'y a pas assez de personnel, dans les services statistiques du ministère, pour permettre aujourd'hui cette mise à disposition.

Cette situation contraste assez fortement avec ce que l'on observe dans d'autres pays, comme les États-Unis, où les chercheurs sont fortement impliqués dans les réformes en cours des procédures d'affectation des élèves aux écoles. Des équipes de Stanford et du MIT travaillent étroitement avec les administrations sur ces questions. Je remercie donc l'OPECST d'offrir cet espace de dialogue, qui existe assez peu aujourd'hui en France. Je pense, pourtant, que les recherches sur les algorithmes d'affectation peuvent vraiment contribuer à clarifier certains enjeux, et à éclairer la décision publique.

Le principal point sur lequel je souhaiterais insister est que les dysfonctionnements d'APB ne doivent pas faire conclure hâtivement que l'on pourrait se passer d'un algorithme d'affectation pour réguler les inscriptions dans les universités, et plus généralement dans l'enseignement supérieur. En réalité, les difficultés rencontrées par APB n'ont pas vraiment à voir avec l'utilisation de l'algorithme. Elles sont liées à deux phénomènes : l'opacité des critères utilisés pour classer les candidats dans les licences en tension, et la nature même de ces critères, qui a, d'une certaine manière, détruit les bonnes propriétés de l'algorithme. Il est donc regrettable que les polémiques suscitées autour d'APB aient créé un climat de défiance généralisé à l'encontre des algorithmes. En France, les algorithmes sont associés à l'idée de boîtes noires, de loterie, de jeux de dupes, alors qu'à l'origine ils ont été conçus pour améliorer l'efficacité des procédures d'inscription, les rendre plus simples, transparentes et favoriser une équité de traitement entre les candidats. Une grande partie des confusions existant dans le débat sur APB est due, en fait, à une méconnaissance de ce qu'est un algorithme d'affectation. On confond en effet bien souvent l'algorithme d'affectation lui-même avec un autre algorithme, clairement distinct du premier, utilisé pour classer les candidats.

La France n'est absolument pas un cas isolé. De nombreux pays utilisent des procédures centralisées, automatisées, s'appuyant sur un algorithme, pour affecter les étudiants dans l'enseignement supérieur. C'est le cas dans des pays aussi différents que la Suède, la Norvège, l'Allemagne, le Chili, la Tunisie, Taïwan ou l'Australie. L'une des raisons majeures poussant à adopter ces procédures centralisées automatisées est qu'elles présentent de nombreux avantages par rapport aux procédures dites décentralisées. Or, je partage, avec d'autres chercheurs, une inquiétude sur le fait que l'on est train de s'orienter vers le retour aux procédures décentralisées, à la fois inefficaces, inéquitables et très lentes, qui conduisaient à des files d'attente interminables, plaçaient les formations dans l'incertitude quant au nombre effectif d'étudiants qu'elles auraient à la rentrée, et créaient des problèmes stratégiques considérables, du point de vue des candidats et des formations, qui avaient une incitation à faire des offres très rapidement aux élèves. Le fonctionnement du marché était donc extrêmement inefficace.

Les procédures d'affectation centralisées permettent de résoudre en grande partie ces difficultés, en s'appuyant sur un algorithme qui accélère le processus, et présente plusieurs bonnes propriétés. On délègue les décisions d'affectation à l'algorithme, qui n'a besoin pour fonctionner que de trois paramètres : les capacités d'accueil, les voeux des candidats, et le classement des candidats par les formations. Muni de ces trois données, l'algorithme affecte.

Il existe plusieurs algorithmes. Tous n'ont pas de bonnes propriétés, et la recherche a précisément identifié les algorithmes qui présentaient les meilleures propriétés. Celui qui a aujourd'hui la faveur des chercheurs est l'algorithme dit d'acceptation différé, conçu en 1962 par deux mathématiciens américains, David Gale et Lloyd Shapley, et dont l'algorithme d'APB est l'une des versions. Cet algorithme permet deux choses très importantes relativement aux procédures d'inscription. Il présente tout d'abord l'avantage, dans une version améliorée qui n'est pas celle d'APB, de ne pas être manipulable. Autrement dit, la meilleure stratégie pour les étudiants consiste à classer sincèrement leurs voeux. Cette propriété est fondamentale, puisqu'elle permet de libérer les candidats de considérations stratégiques, pour se concentrer uniquement sur la question qui vaut : « quelle est la bonne formation pour moi ? » et non pas « ai-je intérêt à classer en premier un voeu pour lequel j'ai des chances d'être admis, par rapport à un voeu que je préfère ? ». La seconde propriété de cet algorithme est de respecter les priorités. Ceci signifie qu'il sera possible d'expliquer simplement et précisément à un candidat n'ayant pas obtenu une formation que ce refus est dû au fait que tous les candidats admis étaient mieux classés que lui. Il pourra le vérifier. Ceci constitue une condition très importante d'acceptabilité de la procédure. Au Chili, quand la procédure APB a été mise en place, cet algorithme a été choisi précisément pour permettre de publier, dans les journaux, la liste intégrale de tous les admis, dans toutes les universités, avec leurs points, afin que chacun puisse vérifier qu'il n'existait pas de corruption. Il s'agit d'une propriété puissante.

Ces composantes – voeux, classement, capacités d'accueil et algorithme – étaient toutes présentes dans APB. Pourquoi cela a-t-il toutefois dysfonctionné ?

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