Intervention de Pr Olivier Bastien

Réunion du jeudi 16 novembre 2017 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Pr Olivier Bastien, directeur adjoint prélèvements greffe organes-tissus, Agence de la biomédecine :

La loi encadre de façon très stricte l'attribution des organes. Il s'agit d'ailleurs de l'une des missions régaliennes de l'Agence de la biomédecine. Nous allons tenter de vous montrer comment ces étapes ont été construites, et comment nous sommes parvenus à avancer sur ce sujet.

La loi régissant ce domaine est réexaminée périodiquement, dans le cadre de la révision des lois de bioéthique, dont la prochaine doit intervenir en 2018. Elle avait précisé initialement, ce qui correspondait à la construction du modèle historique de France Transplant, à l'époque pionnière, voici vingt-cinq ans, que les organes étaient attribués de façon locale, régionale et nationale. Or, vous n'êtes pas sans savoir que la notion de région elle-même a considérablement évolué depuis lors.

Comment une décision d'attribution d'un greffon se construit-elle ? On tient compte tout d'abord de la compatibilité entre donneur et receveur, du groupe sanguin, mais aussi de l'immuno-histocompatibilité, avec un système dit HLA (human leukocyte antigen) très complexe. Lorsque l'on entre dans la granulosité de ce système, on ne se situe plus dans des probabilités de un pour quatre, comme avec les groupes sanguins, mais de un sur un million. Une aide à la décision s'avère donc nécessaire.

Le deuxième élément de la décision est l'ischémie : lorsque l'organe est prélevé, il n'est plus vascularisé, ni oxygéné. Le temps est donc contraint. Se posent alors des problèmes de transport, de logistique. La loi n'a pas prévu que le transport soit de la compétence de l'Agence de la biomédecine, alors qu'elle y est très clairement impliquée. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur cette problématique du transport des organes se trouve d'ailleurs actuellement au ministère. Se pose également la question de la conservation, voire des modalités de banking futures.

Par ailleurs, il existe, dans ce domaine, une problématique assez particulière liée à l'âge. On peut en effet comprendre qu'un receveur jeune veuille bénéficier d'un greffon jeune, à la durée de vie plus longue, afin d'éviter la nécessité d'une retransplantation rapide. Se posent aussi des problèmes de spécificités d'organe, en termes de taille, d'anatomie.

Il existe surtout des problèmes de bénéfice risque. On est ainsi capable, avec la médecine prédictive, de calculer un risque pour le donneur et pour le receveur. Dans le cadre d'une réflexion éthique, la notion d'utilitarisme n'entre pas en jeu, mais le but est bien, dans une situation de ressources limitées, d'attribuer chaque greffon au receveur le mieux adapté, afin d'obtenir les meilleurs résultats possibles.

En médecine, il existe toujours la possibilité d'être confronté à un cas exceptionnel, pour lequel il sera possible de demander une dérogation à un expert. Une réflexion éthique est menée à chaque étape, en termes de disparités entre la métropole, les différents départements et l'outremer, et d'accès à la greffe, ainsi que sur les problèmes de société.

S'agissant de la construction d'une décision, la particularité du domaine de la transplantation réside, par rapport à un sujet comme celui de l'Admission Post Bac, dans le nombre relativement faible de candidats, soit seulement 24 000 patients, en regard des 850 000 élèves évoqués précédemment. Ce nombre est toutefois déjà énorme, sachant notamment que les personnes concernées peuvent être dans une situation de risque vital. Le sujet est donc particulièrement sensible.

Une autre spécificité tient au fait que le choix de l'attribution des greffons se fait souvent de nuit. Il est en outre demandé aux équipes de donner une réponse à l'Agence de la biomédecine en vingt minutes maximum, en raison de l'ischémie.

Dans un tel contexte, faisant intervenir autant de paramètres, une aide à la décision est clairement essentielle pour effectuer le meilleur choix.

Le dispositif a évolué en plusieurs étapes. Au départ, il s'agissait essentiellement d'attribuer un greffon à un centre de greffe, au sein duquel les médecins faisaient leur choix comme ils le pouvaient. On a très rapidement compris les limites de ce système. Ceci a donc conduit à déterminer un certain nombre de priorités, définies dans des arrêtés successifs, indiquant par exemple qu'un patient en attente d'une double greffe était prioritaire sur un patient attendant une greffe unique, ou encore qu'un malade présentant un risque vital à court terme était prioritaire sur un patient présentant un risque moindre, etc.

Nous sommes à présent entrés dans une troisième phase, celle de l'optimisation de l'allocation, avec un certain nombre de scores, en tenant compte d'un contexte de pénurie dynamique. L'illustration la plus claire en est certainement la transplantation chez l'enfant. En France, certains mois, on peut compter une vingtaine ou une trentaine d'enfants en attente de greffe en urgence, et disposer, ou pas, des greffons nécessaires, et, à d'autres moments, avoir plusieurs greffons disponibles, sans receveur. Ceci a conduit à envisager la possibilité d'un élargissement des échanges au niveau européen, en partie réalisé.

Lorsque nous avons mis en place la méthodologie avec l'Agence de la biomédecine, nous avons fait des spécifications, élaboré le score, puis effectué des simulations de son impact sur nos cohortes, puisque nous disposons d'un registre de tous les patients greffés les années précédentes. Nous avons ensuite mis le système en oeuvre, avant d'en évaluer les résultats. Chaque étape est validée à la fois par des groupes techniques et par un conseil médical et scientifique, puis présentée aux associations de patients, auxquelles nous expliquons ensuite l'impact et les résultats. Aucun score n'est mis en oeuvre avant d'avoir reçu un avis formel favorable du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, qui est un mixte entre un conseil éthique, avec des représentants de la Ligue des droits de l'Homme ou du Conseil consultatif national d'éthique, et un conseil sociétal, avec des magistrats de la Cour de cassation, trois députés et trois sénateurs. Le score est donc parfaitement transparent et mis en oeuvre après avis de l'ensemble de la société.

L'une des particularités de notre domaine tient également à la nécessité de devoir gérer des transports importants, ce qui constitue une limite en termes d'ischémie. Le pôle « simulation » de l'Agence a donc mis en place un score intégrant un modèle gravitaire, supportant l'interaction entre les contraintes géographiques et l'urgence à greffer un malade. Ainsi, un receveur extrêmement compatible avec un donneur va pouvoir l'attirer de très loin, en tenant compte bien entendu des temps de trajet et non des seules distances euclidiennes.

Nous allons à présent vous donner quelques résultats des différents scores progressivement mis en place. Par exemple, pour la greffe cardiaque, l'ancien système, qui ne comportait que des « super urgences », laissait apparaître une sur-priorisation, les patients classés en « super urgence » accédant plus rapidement à la greffe. Ainsi, les autres malades en attente avaient finalement davantage de chances de décéder que les patients les plus gravement atteints. Ceci a été corrigé avec le score. S'il existe toujours une priorisation, il n'y a plus de différence de mortalité entre patients plus ou moins gravement atteints.

Concernant la greffe hépatique, une différence avait également été constatée et, en modifiant le score, une évolution de baisse de la mortalité en liste d'attente a pu être recherchée. Les résultats observés après plusieurs mois ont effectivement confirmé les simulations.

En matière de greffe rénale, l'une des problématiques majeures était l'accès à la greffe pour les adultes les plus jeunes. Les enfants de moins de 18 ans étaient en effet toujours priorisés, mais les adultes les plus jeunes, qui ont pourtant besoin de reprendre une vie active, une profession, de se réinsérer dans la société, avaient finalement un peu moins de chances d'accéder à la greffe que des patients plus âgés, dans la mesure où les donneurs étaient aussi souvent plus âgés. Cette priorisation pouvait parfaitement être inscrite dans un algorithme. Après la modification effectuée en février 2015, on a constaté, dans les six à douze mois suivant, que l'accès à la greffe avait été amélioré pour les adultes jeunes.

La même démarche a été effectuée concernant l'amélioration de l'appariement HLA. C'est important pour l'avenir, puisque l'on a pu, avec ce score, augmenter le taux de patients parfaitement compatibles, présentant zéro incompatibilité ou mismatch HLA, c'est-à-dire ayant la meilleure espérance de vie de leur greffon, et pour lesquels on espère, à terme, entrer dans un cercle vertueux, consistant en une diminution des retransplantations par rejet chronique.

En conclusion, j'insisterai sur deux éléments majeurs. Le premier est l'importance de disposer d'une base de données de qualité. On ne peut effectuer de simulation, ni d'appariement, sans cela. C'est parfois délicat vis-à-vis de la CNIL, puisque l'on touche le HLA, donc des données sensibles sur le plan éthique, qu'il convient, bien entendu, d'anonymiser, tout en assurant cet appariement. Par ailleurs, il faut tenir compte de l'évolution des techniques de simulation et de médecine prédictive. Nous serions partants, mais nous sommes une petite agence disposant de peu de moyens, pour mettre en oeuvre, plutôt que des évolutions annuelles d'algorithmes – nous en sommes, pour certains scores, à la 26e version), un système d'apprentissage automatique (machine-learning), qui nous permettrait d'améliorer le dispositif en continu, et de répondre réellement aux objectifs fixés.

Nous sommes enfin toujours très préoccupés par les notions éthiques. C'est la raison pour laquelle nous avons complètement intégré les associations de patients dans les prises de décisions.

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