Intervention de Max Dauchet

Réunion du jeudi 16 novembre 2017 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Max Dauchet, président de la Commission de réflexion sur l'éthique de la recherche en sciences et technologies du numérique (CERNA) de l'Alliance des sciences et technologies du numérique (ALLISTENE) :

Je vais, en effet, vous faire part de quelques considérations transverses, dans le prolongement des propos de M. Victor Demiaux, et de M. Simon Chignard. Lorsque l'on considère tous les débats qui ont cours, partout sur la planète, au sujet des algorithmes, les bases de données et les systèmes informatiques, quels sont les mots magiques qui reviennent de façon récurrente, soit explicitement, soit en filigrane ? On entend toujours dire que l'on veut des algorithmes sûrs, loyaux, transparents, explicables, compréhensibles, évaluables, équitables, non discriminants, et respectant la diversité. Qu'attend-on par ailleurs d'un État, d'une administration, et au-delà d'une collectivité, territoriale ou autre ? Qu'ils soient sûrs, loyaux, transparents, explicables, compréhensibles, évaluables, équitables, non discriminants, et qu'ils respectent la diversité. Finalement, on attend des objets que l'on crée les mêmes propriétés que l'on se prête à soi-même. Ces éléments sont très importants, car ils constituent les ingrédients de la confiance, pilier de tout système social.

Pour relever ce défi, il faut de la recherche. Tout le monde est convaincu de cette nécessité. Il faut également une bonne articulation entre l'humain et la machine. En effet, le numérique, les algorithmes, représentent une formidable opportunité pour la planète, mais à la condition que cette articulation existe au service de l'humain. Lors de la table ronde précédente sur APB, j'ai été quelque peu glacé par les propos de mes deux collègues économistes, qui indiquaient schématiquement que l'on disposait, de façon mathématiquement prouvée, d'une solution épatante, optimale en un certain sens, équitable, etc, moyennant certaines hypothèses, comme le fait de ne pas tenir compte de la territorialité ou des situations de handicap, qu'il est difficile de faire traiter par l'algorithme, et qui ne permettent plus d'obtenir de jolis résultats théoriques d'optimalité. Ceci illustre parfaitement les problèmes éthiques sous-jacents à tout algorithmie qui se met en place. Ceci montre qu'un choix d'algorithme est un choix de société. Pour parvenir à armer le pays vis-à-vis de cela, il faut de la formation, et encore de la formation : à l'école, dans les collectivités, et dans l'administration centrale.

Il faut savoir qu'APB est un algorithme très simple. Ce qui est compliqué, c'est bel et bien l'orientation des étudiants. Mais l'évolution des Big data va se poursuivre, de façon exponentielle. Le chantier de réflexion concernant la révision de la loi de bioéthique est en cours. M. Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, considère, par exemple, et il n'est pas le seul dans ce cas, que le big data va représenter une véritable révolution. On entend parler de « mobilité intelligente » dans les métropoles, de smartgrids pour gérer l'énergie de façon intelligente, deux sujets renvoyant à des questions d'affectation, ou de surveillance de l'environnement. Tous ces problèmes doivent être instruits.

On se retrouve dans la situation de devoir gérer deux impératifs, dont on peut considérer qu'ils relèvent vraiment du rôle de l'État. Pour être en mesure de se réunir ici utilement, autrement que pour bavarder, c'est-à-dire pour faire en sorte que vous, les élus, preniez des orientations, des décisions, encore faut-il que nous ayons la maîtrise de notre destin, que nous gardions notre souveraineté. Or le numérique pose des questions de souveraineté des États et des individus. Conserver notre souveraineté suppose de faire face à deux impératifs. Le premier est d'être compétitif, au sens économique et industriel, en termes de recherche et d'innovation. C'est le temps de la technologie, de la compétition, qui s'accélère. Nous devons aussi, pour être souverains, réfléchir à la société à laquelle nous aspirons. Or, peut-on réfléchir aujourd'hui à un modèle de société, sans se poser la question sous-jacente d'un modèle de société numérique ? C'est le temps de l'humain, le temps long. La Nation doit gérer ces deux temps. Je me félicite, en ce sens, de l'intervention de M. Bruno Lemaire en conclusion, avant-hier, de la matinée que parrainait M. Cédric Villani, dans laquelle il a évoqué deux sujets principaux : investir pour être compétitifs, en France et en Europe, et mener une réflexion de fond, éthique. Cette réflexion doit être permanente, dans la mesure où les choses évoluent sans cesse.

J'ajouterai, pour terminer, qu'il ne faut pas agir en réaction contre les géants du Web (GAFA : Google, Apple, Facebook et Amazon), contre Alibaba, etc., mais être en action, construire un futur. Par exemple, nous critiquons souvent Google, qui utilise nos données. Or, il existe un excellent moteur de recherche français, Qwant, qui fonctionne aussi bien que Google, et garantit l'absence de transmission de nos données de navigation à des fins commerciales. Les pouvoirs publics pourraient donc, notamment dans l'Éducation nationale, étudier la possibilité de promouvoir ce dispositif.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.