Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les députés, le revêtement photovoltaïque Wattway, qui fait l'objet de cette audition, s'inscrit à la fois dans la tradition et la stratégie d'innovation de Colas et dans son ambition de leader mondial d'imaginer, de concevoir et de proposer des solutions d'infrastructures responsables, qui répondent aux enjeux environnementaux et sociétaux du monde contemporain.
Avant d'exposer en détail les fondements de cette innovation de rupture et les différentes étapes qui jalonnent son développement, permettez-moi de revenir quelques instants sur Colas, puisque celle-ci est portée par cette société.
Colas est présent dans plus de cinquante pays sur les cinq continents. L'international représente plus de la moitié de son chiffre d'affaires de 13,2 milliards d'euros en 2018, avec 58 000 collaborateurs qui réalisent environ 85 000 chantiers par an, pour la plupart de taille modeste. Ce sont, pour plus de 90 %, des travaux d'entretien ou d'aménagement de surfaces déjà artificialisées concernant des routes, des voies urbaines, des voies à haut niveau de service, des pistes cyclables, mais aussi des plateformes aéroportuaires, des infrastructures ferroviaires – trains, lignes à grande vitesse, tramway, métro.
Sur chacun de ces projets, lorsque cela est possible, nous nous efforçons de promouvoir, auprès de nos clients publics et privés, des techniques innovantes, contribuant à une mobilité responsable.
L'innovation, qui est le cœur du sujet Wattway pour nous, réside aussi au cœur des activités et du développement de Colas depuis sa création. Colas est née en 1929 – nous fêtons les 90 ans cette année – pour exploiter un brevet d'émulsion de bitume, Cold Asphalt, le nom de Colas venant de la contraction de ces deux mots.
Depuis, Colas est à l'origine de nombreux brevets, une dizaine par an, ce qui est unique parmi les entreprises routières et prouve bien que l'innovation fait partie de notre ADN.
La force d'innovation de Colas se trouve dans notre campus scientifique et technique installé sur le plateau de Saclay. C'est le premier central mondial privé de recherche sur les techniques routières.
Agir en faveur de la mobilité responsable, car Wattway s'inscrit dans cette logique, signifie pour Colas, d'une part, limiter l'impact et les nuisances liées à notre activité, c'est-à-dire réduire notre empreinte carbone, et, d'autre part, concevoir et réaliser des solutions d'infrastructures sûres, durables, connectées, partagées et innovantes.
Je concentrerai mon propos sur la partie énergie et transition énergétique, thème de votre commission d'enquête. Colas s'attache à réduire ses propres consommations, par exemple, en privilégiant les circuits courts, le transport de matériaux par rail ou par voie fluviale et en proposant, lorsque cela est possible, des techniques de recyclage de chaussées en place. À cet égard, vous ne savez peut-être pas que Colas figure parmi les cinq plus grands recycleurs mondiaux de matériaux, tous secteurs confondus.
Concernant l'innovation, un des axes majeurs que nous avons portés pendant de nombreuses années est la chimie verte. L'objectif est de remplacer des composants pétroliers par certains produits issus de matières végétales. C'est le cas de notre liant Végécol, qui a été breveté en 2004, ou encore de la peinture routière Végémark.
Enfin, les équipes du campus scientifique et technique de Colas ont imaginé l'innovation majeure que vous avez présentée, qui lie, pour la première fois, énergie et route. Wattway est le premier revêtement routier photovoltaïque au monde, circulable en sécurité par tous les véhicules, y compris les poids lourds.
Wattway s'inscrit dans le cadre plus global de la réflexion des acteurs publics et privés sur ce que l'on a appelé la route de cinquième génération. La première génération, c'est le chemin. La deuxième, c'est la voie romaine, avec le pavé. La troisième, c'est la route revêtue, celle de Colas en 1929. La quatrième, c'est l'autoroute. Sur cette route de cinquième génération, Colas a structuré sa réflexion en vue d'élargir le plus possible les usages de la route. Nous avons lancé en 2011 un projet de recherche et développement pour la conception et la mise au point d'un revêtement routier photovoltaïque qui produirait de l'énergie propre et renouvelable à partir de la chaussée. Ce revêtement présenterait en particulier l'avantage d'utiliser des surfaces déjà artificialisées, les routes, donc de ne pas empiéter sur l'usage naturel, paysager et agricole des sols.
Après cinq années de R & D, Colas annonce, en octobre 2015, la mise au point en laboratoire de Wattway et, en décembre 2015, à l'occasion de la Cop 21, réunie à Paris, Wattway est récompensé par un trophée « Solution Climat ». S'ensuivront trois années d'expérimentation, toujours en cours.
À ce stade de l'exposé, je me permets d'appeler votre attention sur le fait que le développement de Wattway, technologie de rupture, est strictement calqué sur le déroulé classique de tout développement technologique, à savoir : d'abord, une phase initiale de recherche et développement pour trouver des solutions techniques aux défis lancés par l'idée étudiée ; ensuite, une phase d'expérimentation, dans laquelle nous nous trouvons encore, pour confronter les résultats de R & D au terrain, en grandeur nature ; enfin, la commercialisation, qui ne peut être envisagée qu'après avoir réussi à résoudre la plupart des questions soulevées en phase d'expérimentation.
Concernant la phase initiale de recherche et développement, après les premiers travaux réalisés en interne en 2011, nous avons choisi rapidement de créer un laboratoire commun de recherche et développement réunissant deux expertises, celle de Colas, dans le domaine de la technique routière, et celle du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA), que vous avez cité, au travers de l'Institut national de l'énergie solaire (INES). L'intérêt pour nous était d'avoir une expertise de rang mondial dans le domaine photovoltaïque. Ce laboratoire créé en 2012 est toujours actif en 2019. Sur la période 2012-2019, Colas a financé pour plus de 4 millions d'euros ce laboratoire commun, sans compter les millions d'euros de financement de nos propres équipes. En plus de la production de brevets, en copropriété entre les deux structures, Colas et le CEA, cette collaboration a défini les grands principes de Wattway.
Nous avons conçu l'encapsulation de cellules photovoltaïques standards, des cellules cristallines, par essence fragiles comme une feuille de verre, dans un sandwich de matériaux à même de les rendre résistantes au trafic routier. Il a fallu en outre imaginer de poser sur ce sandwich un revêtement qui confère les propriétés attendues d'une route en termes d'adhérence, tout en restant transparent à la lumière du soleil afin que les cellules puissent fonctionner. J'ai apporté un échantillon que je vous invite à faire circuler.
Après que les premiers essais en grandeur réelle réalisés sur le site du CEA se sont révélés positifs en 2015, nous sommes passés à la phase d'expérimentation, avec deux objectifs.
Le premier, d'ordre technique, était de faire progresser la maturité technique en appliquant Wattway dans des environnements variés, liés la nature du trafic – vélos, voitures, camions -, à la vitesse, aux conditions météorologiques – climat tempéré, froid, tropical, désertique -, aux types de lieux – parking, rue, route –, en allant jusqu'aux limites techniques. Pour certains sites, nous avons fait des tests avec de fortes girations et du trafic autoroutier.
Le second avait trait à l'usage. Il s'agissait de vérifier la pertinence de la solution par rapport à des marchés donnés. L'expérimentation s'est faite avec des partenaires. Chaque expérimentation a donné lieu à un contrat prévoyant un montant forfaitaire de 2 000 à 2 500 euros selon la taille de la surface des sites d'expérimentation, quelle que soit la nature des partenaires, publics ou privés, en France ou à l'international, avec quelques coûts supplémentaires dus à l'éloignement et au transport.
Finalement, Wattway, cela sert à quoi ? Nous avions imaginé trois usages.
Premièrement, l'alimentation d'équipements en site isolé, qui correspond à notre première expérimentation réalisée en mai 2016. Il s'agissait d'alimenter une borne de recharge de véhicules électriques sur le parking d'une salle de spectacle, en Vendée.
Le deuxième usage, c'est l'autoconsommation, pour alimenter en énergie renouvelable des équipements ou un bâtiment généralement raccordés au réseau. Nous l'avons fait à La Réunion, sur le site de notre filiale GTOI (Grands travaux de l'océan Indien) et à Saint-Jean-d'Alcapiès, dans l'Aveyron, pour alimenter les gîtes municipaux.
Le troisième usage, c'est la production d'énergie pure avec une logique de réinjection dans le réseau. Nous l'avons fait à Châlons-en-Champagne et sur un pont, à Breukelen, aux Pays-Bas.
À ce jour, Wattway est expérimenté sur trois familles d'usages, sur 45 sites, dont 13 sites à l'étranger, aux États-Unis, au Canada, au Japon, au Royaume-Uni, au Luxembourg et aux Pays-Bas.
Notre volonté dès 2016 était de réaliser des chantiers de petite taille, de dix à cent mètres carrés. C'est ce que nous avons fait dans la très grande majorité des cas, à l'exception du site de Tourouvre, dans l'Orne, que vous avez cité, d'une superficie de 2 800 mètres carrés et d'une longueur d'un kilomètre. Il convient de situer ce cas spécifique dans le contexte de vif intérêt, voire d'enthousiasme soulevé par l'annonce de cette innovation de rupture qu'est Wattway. Pour Colas, la réalisation de ce site constituait un défi et un laboratoire à ciel ouvert très intéressant pour notre maturité technique.
Quel bilan faire de Wattway, à ce jour ?
Tout d'abord, et c'est très rassurant pour nous, cela fonctionne. Les expérimentations nous ont permis de connaître précisément la capacité de production pour chaque environnement, comme les rues d'un centre-ville, un parking, des voies départementales. Nous avons aussi identifié des usages. Avec ces 45 expérimentations, nous avons réussi à tester de nombreuses situations et à comprendre ce qui était pertinent. D'un point de vue technique, les limites rencontrées pendant ces trois ans d'expérimentations, telles que l'apparition de fissures, le vieillissement prématuré des dalles dans certaines conditions, la maîtrise insuffisante de certaines étapes de pose, nous ont conduits à faire évoluer notre solution. Nous avons testé dix versions de dalles et quatre versions d'architecture électrique. Nous en sommes à la vingt-quatrième version de notre processus de pose. Il y a donc eu beaucoup d'apprentissage durant cette période.
S'agissant de la propriété intellectuelle, vous avez rappelé notre coopération avec le CEA. Le revêtement photovoltaïque est protégé par six familles de brevets en copropriété de Colas et du CEA. Chaque famille concerne un aspect innovant de la solution : la structure photovoltaïque elle-même, l'ingénierie électrique, l'intégration à un support circulable. Ces six familles de brevets assurent la protection des différentes caractéristiques en France, en Europe, aux États-Unis, au Canada, en Australie et au Japon.
Wattway est aujourd'hui une solution proche de la commercialisation. Nous avons identifié un usage pertinent : l'alimentation d'équipements en site isolé à proximité de la voirie. Cela présente un intérêt dans les zones où le réseau est absent ou dans celles où les contraintes techniques ou financières sont trop fortes pour se raccorder au réseau existant. Par exemple, cet automne, nous avons équipé une petite surface de douze mètres carrés de dalles Wattway afin d'alimenter une caméra de vidéosurveillance en site isolé. Dans le contournement nord de Montpellier, en un lieu éloigné du réseau, Montpellier Méditerranée Métropole souhaitait installer une caméra à un rond-point dont le trafic n'était pas supervisé. C'est sur ce type d'offre que nous prévoyons un lancement commercial.
Pour conclure, Wattway est le premier pas vers l'ajout de nouvelles fonctionnalités à la route, grâce à la capacité à y intégrer de l'électronique. Pour nous, la route solaire n'est pas le seul sujet. Avec la même technique d'encapsulation, mais avec des diodes luminescentes, des LED, et non des cellules photovoltaïques, nous avons conçu, avec le CEA, Flowell, une solution de signalisation lumineuse dynamique, visant à renforcer la visibilité des marquages, par exemple, sur les passages piétons par temps de pluie ou la nuit. Elle offre aussi la capacité de faire apparaître ou disparaître dynamiquement le marquage, donc de rendre la voirie modulable, afin de favoriser un meilleur partage entre les différents modes de déplacement. C'est vraiment une rupture dans la conception de la route.
Finalement, ces solutions changent le regard sur la route. D'un support passif, la route devient un terrain d'innovation pour de nombreux acteurs à l'échelle mondiale, parmi lesquels des acteurs chinois pour la route solaire. De nombreuses start-up s'intéressent à la route ou à la rue dynamique et modulable. Fidèle à sa culture d'innovation, Colas joue un rôle précurseur dans ce nouveau champ technologique. Cela n'aurait pas été possible sans l'excellence académique française, en l'occurrence, du CEA, ni sans le soutien des acteurs publics et privés engagés avec nous dans ces 45 expérimentations que nous avons réalisées avec plaisir avec les acteurs qui nous ont sollicités.