Intervention de Michèle Rousseau

Réunion du mardi 18 juin 2019 à 17h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Michèle Rousseau, présidente-directrice générale du Bureau de recherches géologiques et minières :

. Je vous remercie, Madame la Présidente. Le BRGM est le service géologique national qui dispose de plus de 1 000 salariés. Il est implanté dans toutes les directions régionales, dans la plupart des anciennes régions françaises et dans l'ensemble des territoires d'outre-mer. Nous sommes bien compétents sur les deux sujets examinés aujourd'hui : les ressources minérales et la transition énergétique. Nous sommes spécialisés en sous-sol, avec tout ce que le sous-sol peut apporter à ces problématiques.

J'en arrive à commencer mon exposé par la géothermie. Nous parlons de géothermie, mais devrions dire « les géothermies ». Vous avez à l'écran une représentation de tout ce que recouvre le terme de géothermie. Il existe une géothermie sur doublet, celle, Madame la Présidente, où l'Île-de-France est extrêmement avancée. Elle est très certainement la première région en Europe pour cette géothermie. Une profondeur d'environ 1 000 mètres, avec une température de l'eau à 80 degrés. On prélève de l'eau à 80 degrés et on rejette ensuite, à un endroit légèrement différent, de l'eau plus fraîche. Cette géothermie sur doublet est une géothermie profonde. Il existe ensuite une géothermie très superficielle, où de 10 à 100 mètres ou 150 mètres de profondeur, soit des échangeurs horizontaux, soit des pompes à chaleur, des sondes à descente verticale sont associés à des pompes à chaleur géothermiques. Le but est de desservir de l'habitat individuel ou du petit collectif. L'Alsace a une particularité en termes de chaleur, avec une géothermie beaucoup plus profonde qui peut atteindre des profondeurs de l'ordre de 5 000 mètres, et qui permet une production d'électricité et de la cogénération. Il existe des projets de recherche pour essayer de récupérer du lithium à partir des fluides géothermiques. L'extrême droite de cette diapositive présente le cas particulier des territoires d'outre-mer, notamment de la Guadeloupe, territoire volcanique, à des profondeurs plus faibles, de l'ordre de 1 000 mètres, des températures permettent de faire de la production d'électricité d'une façon rentable par rapport aux autres productions possibles d'électricité dans ces territoires.

Quels sont les atouts des géothermies ? Quelles que soient les filières, cette énergie est locale, elle est en base, modulable, disponible 24 heures sur 24 et stable. L'impact environnemental est très réduit, avec aucune émission de CO2, aucune émission de particules fines et une très faible emprise foncière. Par ailleurs, lorsqu'elle est prélevée, l'eau est restituée au réservoir d'origine. Les technologies sont matures, sauf pour la stimulation qui est testée en Alsace et il y a des professionnels formés et certifiés. Comme l'énergie est modulable, il n'est pas nécessaire de stocker. La géothermie s'hybride avec d'autres énergies renouvelables et elle est disponible dans 85 % du territoire français, pour la géothermie dite de surface, et sur 25 % du territoire métropolitain, pour la géothermie profonde. Les coûts d'exploitation sont faibles et l'expertise française est bonne. En revanche, les coûts d'investissement sont plus élevés.

Le schéma de droite présente la façon dont on qualifie la géothermie : la géothermie de surface, la géothermie profonde à partir de 200 mètres de profondeur. La géothermie profonde peut être utilisée pour de la chaleur, pour de la cogénération. L'électricité concerne plutôt les DOM. Il existe des projets de recherche pour le lithium. Pour ce qui est de la géothermie chaleur, la chaleur peut être produite, soit par une géothermie profonde, pour des réseaux de chaleur, par exemple, soit par une géothermique de surface.

Après ces atouts qui visent toutes les filières, certains atouts sont plus spécifiques, selon la géothermie chaleur ou la géothermie de surface. La géothermie de chaleur – des pompes à chaleur, des échangeurs horizontaux, des sondes verticales, des réseaux de chaleur –est discrète. Il n'y a quasiment pas d'impact visuel en exploitation. Elle est distribuée à proximité immédiate des usagers. Et comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est l'énergie renouvelable la moins coûteuse sur le long terme, avec une stabilité des prix. Pour la géothermie de surface, le rapport entre énergie fournie et énergie consommée va de 4 à plus de 30. À 30, c'est remarquablement rentable ; à 4, c'est plus discutable. Le sol étant très précis en termes de températures, les performances annoncées sont garanties et ne sont pas fluctuantes. Une pompe à chaleur géothermique est beaucoup plus stable qu'une pompe à chaleur aérothermique. Cette énergie permet également une assez bonne richesse en termes d'emplois locaux, pour le forage, l'installation et la maintenance. Enfin, elle peut permettre de limiter les effets de chaleur en milieu urbain.

Les principaux risques identifiés, pour la géothermie de surface, concernent un sous-sol qui pourrait être assez défavorable, par exemple si les roches sont sensibles à la dissolution ou au gonflement. Ce problème s'est présenté à Lochwiller en Alsace où il y a eu un gonflement du sol. La géothermie profonde peut présenter des risques de mise en communication de différents aquifères, ainsi qu'une légère sismicité induite, mais à des magnitudes inférieures à deux sur l'échelle de Richter, soit de tous petits séismes qui sont en principe à peine perceptibles en surface. Il faut savoir que ce risque existe. Ce sera le cas pour un forage en matière d'eau, pour des installations minières ou pour des STEP en hydroélectricité.

En termes réglementaires, je présente la réglementation d'une façon plus simplifiée qu'elle ne l'est en réalité. Sommairement, d'une profondeur inférieure à 10 mètres, rien n'est précisé dans le code minier. De 10 à 200 mètres, nous essayons de promouvoir, avec l'État, des cartes qui exigent, en zone verte, une déclaration. En zone orange, il faut consulter un expert pour savoir si une déclaration ou une autorisation est nécessaire. En zone rouge, il faut une autorisation. À une profondeur supérieure à 200 mètres, il s'agit soit d'une autorisation, soit d'une concession, suivant la température, le débit de la puissance. La réglementation devient alors plus compliquée.

En termes de données économiques, 8 à 11 millions d'euros sont nécessaires pour un doublet pour un réseau de chaleur. La géothermie demande des coûts d'investissement qui sont parfois plus élevés que d'autres énergies renouvelables. En revanche, en coûts complets, sur la durée de vie de l'installation, la rentabilité se vérifie. Tout dépend des études, mais Amorce indiquait, en 2016, un prix de vente au client final entre 65 à 68 euros hors taxes par mégawattheure, une fois les subventions accordées.

Quels sont les outils financiers existant actuellement ? Il existe un fonds de garantie pour la géothermie profonde qui couvre 90 % du risque en Île-de-France. Il est payé pour partie par la SAF qui est une filiale de la Caisse des Dépôts et pour l'autre, par le Conseil régional. Il existe également une garantie AQUAPAC pour la géothermie de surface sur nappe. Il existe un fonds chaleur qui aide aux décisions et aux investissements. Est en cours de montage, à l'heure actuelle, un fonds de garantie GeoDip pour la géothermie profonde pour de la cogénération en métropole.

Nous avons souhaité vous présenter quelques comparaisons économiques entre la géothermie et les autres énergies renouvelables. En production primaire, la géothermie représente 1,3 % des énergies renouvelables. Pour la production de chaleur, ce taux atteint 2,1 %. 2,5 des dépenses de recherche en matière d'énergies renouvelables ont porté sur la géothermie contre 43 % sur le solaire et 41 % sur la biomasse. En tant que dirigeante d'un établissement de recherche, je porte le message que si nous faisions davantage de recherches, nous arriverions à améliorer les performances. En termes d'emplois, la géothermie représente 5,4 % des emplois liés aux ENR. Ce ratio est en proportion meilleur que pour les autres énergies renouvelables.

Quel est l'état de développement de la géothermie ? Dans le diagramme qui vous est présenté, le chiffre 100, l'horizontal qui est tracé, représente les objectifs 2020 par filière. Vous constatez qu'ils ont été dépassés par le photovoltaïque pour la production d'électricité et par les pompes à chaleur, très majoritairement aérothermiques, pour la chaleur. La géothermie est en dessous des objectifs qui lui avaient été assignés, que ce soit en électricité ou en chaleur.

Enfin, en conclusion de cet exposé introductif, un rappel des objectifs de la PPE 2019-2023. Ils sont, pour l'électricité, de 24 mégawatts électriques et nous sommes actuellement à 1,5. Vous voyez donc l'effort nécessaire. Il faut atteindre, à l'horizon 2023, 60 mégawattheures thermiques de production de chaleur par an. Nous sommes actuellement à trois fois moins. Pour arriver à tenir ses objectifs, nous pensons qu'il faut déjà lancer une campagne d'exploration des ressources profondes qui sont peu connues. En Aquitaine par exemple, dont la configuration géologique est assez proche de celle de l'Île-de-France, nous pourrions reconnaître le bassin aquitain et les nombreux forages pétroliers qui ont été réalisés pourraient aider à faire cette reconnaissance. Il faudrait étendre le fonds de garantie existant en Île-de-France en Aquitaine ou dans les autres bassins sédimentaires où nous voudrions développer la géothermie sur doublet. Pour la géothermie stimulée, il faudrait également mettre en place un fonds de garantie, puisque les profondeurs sont d'environ cinq kilomètres. Tous les professionnels de la géothermie demandent le développement du fonds chaleur. Enfin, il faut des animateurs dédiés pour plaider les géothermies en région.

Je termine avec un tableau qui compare, pour la géothermie profonde, le réalisé 2016, qui est de 145 ktep délivrés, aux objectifs 2023 de la PPE, qui sont entre 400 et 550 ktep. Nous constatons le facteur 3 que j'ai indiqué tout à l'heure Voilà rapidement l'exposé introductif pour la partie géothermie.

Concernant la partie métaux, des points couleur apparaissent sur la table de Mendeleïev à chaque fois qu'un métal est utilisé dans la transition énergétique. Leur nombre important montre que la transition énergétique demande une très grande variété de métaux. La quantité de métaux est beaucoup plus importante qu'avec de l'énergie fossile. Le code couleur vous précise tout ce qui est nécessaire pour la transition énergétique (stockage, connectique, économies d'énergie, photovoltaïque).

Le slide suivant présente le constat d'une très forte dépendance européenne et française aux métaux et matériaux. Le diagramme de gauche présente le niveau de dépendance, sachant que nous sommes déjà à 100 % de dépendance pour de nombreux métaux. Dans le meilleur des cas de figure, le niveau de dépendance est de 55 % pour le cuivre au niveau européen. L'Europe est donc très dépendante. La Chine est le premier producteur minier et métallurgique mondial de plus d'une trentaine de matières premières minérales. Le diagramme du bas montre ce que représente la production minière chinoise par rapport à la production mondiale. Pour les terres rares, le niveau de dépendance est proche de 100 %. Il se réduit pour l'or, aux alentours de 10 %, mais l'or n'est pas fondamental pour la transition énergétique. Le poids de la Chine est considérable. La Chine est bien installée, non seulement sur la production minière, mais également sur toute la chaîne de valeur des métaux. Il est important de retenir que la chaîne de valeur est l'élément essentiel. Il suffit qu'un pays ait un quasi-monopole sur l'un des chaînons de cette chaîne de valeur pour qu'il puisse faire tomber les industries en aval, ce que nous redoutons avec la Chine. Suivant les industries, nous avons noté une compétition inter-filières qui n'est pas facile à anticiper entre les différentes industries. Elle vise le monde de l'énergie, mais également l'aéronautique ou la défense qui n'ont pas forcément besoin des mêmes méthodes.

Dans le slide suivant, nous abordons la notion de criticité. Un métal est critique quand son absence peut entraîner des impacts industriels et économiques négatifs importants. Il est stratégique s'il est important pour la politique d'un État, pour sa défense. Les notions de criticité et de stratégie ne sont pas forcément les mêmes. Un métal peut être rare au plan géologique ou géochimique. Soit il a une abondance moyenne, soit on n'arrive pas à l'extraire ou difficilement. Il peut être rare au niveau industriel, parce que le métal est peu usité ou a des propriétés très particulières. À chaque fois, il faut donc que vous vous fassiez préciser la définition. Le diagramme de gauche, présente les métaux qui d'après le COMES, le Comité pour les métaux stratégiques du Ministère de l'Industrie, sont plus ou moins critiques pour l'approvisionnement de la France. Cette figure est toutefois très synthétique. En prenant en compte l'industrie automobile, la représentation graphique serait différente. Pour la défense, elle serait encore différente. Il n'est pas facile de dire où sont vraiment les priorités.

Le slide suivant présente la notion de recyclabilité. En rouge, moins de 1 % du métal est recyclé ; en bleu, plus de 50 % sont recyclés. Sur la table de Mendeleïev, les couleurs sont extrêmement variées. Les situations sont très différentes, mais beaucoup de métaux sont classés dans le rouge et l'orange. Nous pouvons faire du recyclage des métaux dans les produits en fin de vie. Nous pouvons essayer également de recycler le long de la chaîne de valeur, mais le potentiel de recyclage est moins bien connu. Je souhaite insister sur le fait qu'il n'est pas possible en général de vivre simplement avec des métaux qui ont été recyclés. Pourquoi ? Parce que pour la transition énergétique, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, nous avons besoin de quantités de métaux qui sont beaucoup plus importantes et de métaux beaucoup plus variés. Dans un contexte de consommation croissante de métaux, le recyclage ne suffit pas pour faire face à l'approvisionnement. Il faut forcément avoir recours à la mine. Les mines se trouvent majoritairement à l'étranger. Être absent du secteur minier revient nécessairement à s'exposer à un risque de coupure d'approvisionnement.

Le dernier slide porte sur le projet Surfer que vous avez évoqué tout à l'heure. Le but de ce projet, soutenu par l'ADEME et le CNRS, est de savoir si les énergies renouvelables sont plus consommatrices en matières premières minérales et métalliques que les technologies du mix énergétique actuel. Nous le savons déjà, mais il faut le quantifier de façon précise. Il faut également quantifier les impacts environnementaux et sociétaux associés au développement de ces énergies, en remontant toute la chaîne de valeur. Le slide vous présente quelques estimations des quantités d'énergie. Par rapport à des énergies fossiles, il faut, pour une même quantité d'énergie produite par de l'éolien et du photovoltaïque, 15 fois plus de béton, 90 fois plus d'aluminium, 50 fois plus de cuivre. La quantité de métaux nécessaire de métaux est beaucoup plus importante. Nous avons vu, en début d'exposé qu'en termes de variétés de métaux, 70 % des métaux de la table de Mendeleïev sont nécessaires à la transition énergétique. Je termine ainsi mon exposé introductif. Je vous remercie.

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