Intervention de Philippe Rocher

Réunion du mardi 18 juin 2019 à 17h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Philippe Rocher, Bureau de recherches géologiques et minières :

Tout à fait. Dans le sous-sol, l'influence du climat atteint dix mètres de profondeur. Au-delà de dix mètres, les conditions sont donc très stables en toute saison et peuvent être valorisées à la fois pour le chaud et le froid. On peut faire une recharge par forage. Le chaud prélevé et stocké peut être réutilisé l'hiver suivant. La géothermie permet donc un stockage inter-saisonnier très intéressant. Avec une simple circulation d'eau fraîche, jusqu'à 200 mètres de profondeur, on peut rafraîchir, avec des coefficients de performance. Le rapport est très important entre l'énergie restituée et l'énergie consommée. Il est de plusieurs dizaines. Il peut même aller au-delà de 50. Dans ce cas, la pompe à chaleur est coupée et une simple circulation d'eau fraîche, par exemple dans les planchers d'une habitation, permet un rafraîchissement et de faire l'économie de la climatisation. C'est l'une des spécificités de cette énergie.

L'aérothermie est tout à fait différente. Les pompes à chaleur géothermiques ne représentent que 3 % du marché, pour différentes raisons. L'aide aux particuliers est notablement insuffisante. Par contre, elle se maintient et se développe dans le secteur tertiaire, pour les équipements collectifs, voire même dans l'industrie et l'agriculture.

Le diagramme vous présente les différentes formes de géothermie profonde. Vous citiez, Madame la Présidente, le réseau de l'Île-de-France. Ce niveau du Jurassique est exceptionnel et nous avons 40 ans de recul. Il était considéré comme la plus grande concentration de réseaux de géothermie au monde, mais comme nous ne savons pas vraiment ce qui se fait en Chine, nous parlons plutôt aujourd'hui du plus grand réseau d'Europe. Il existe une cinquantaine d'opérations. Plus de 100 forages sont productifs, sont réhabilités ou pas. De très nombreux Franciliens sont chauffés par géothermie, à des prix très intéressants, depuis longtemps et ils ne le savent pas, parce que cette énergie renouvelable est très discrète. Tout se passe dans des sous-sols, voire parfois, pour la géothermie de surface, sous des parkings qui peuvent être réhabilités. L'Île-de-France connaît une grande densité de ces exploitations. Le principe du doublet géothermique est le suivant. On pompe de l'eau chaude. Avec des échangeurs thermiques, on ne prélève que les calories. Ces eaux, qui ne sont pas des eaux de consommation, sont très salines, très agressives, très corrosives. On ne prélève que les calories et on réinjecte dans le même aquifère l'eau débarrassée de ses calories et donc refroidie. L'eau est la même et les circuits sont complètement indépendants. Cette technique est bien maîtrisée. L'Île-de-France présente cet avantage d'une conjugaison entre des besoins en chauffage et eau chaude sanitaire importants et une ressource géologique existante, ce qui a fait de la France l'un des pionniers en la matière. En Île-de-France, nous sommes entre 1 600 et 2 000 mètres de profondeur, dans une zone qui est géologiquement stable. Le gradient géothermique est donc normal. Il s'élève de 3°C par 100 mètres. À 2 000 mètres, des températures de 55 à 85 degrés permettent l'échange direct.

En Alsace, le contexte est différent. Les roches sont très fracturées. Les températures obtenues peuvent être largement supérieures, jusqu'à 170 ou 200 degrés, à partir de 2 500 mètres. Les pilotes scientifiques, qui avaient été faits à Soultz-Sous-Forêts, en Alsace du Nord, étaient descendus très profondément, jusqu'à cinq kilomètres. Nous avons constaté que nous pouvions avoir les mêmes rendements pour une profondeur deux fois moindre. Vu le coût d'un forage, la rentabilité économique pouvait être atteinte. En Alsace, le gradient géothermique est deux à trois fois supérieur à ce qu'il est en Île-de-France. Pour faire simple, 100 mètres en profondeur font gagner 6 à 9 degrés. Les températures peuvent atteindre 200 degrés. Un projet industriel a été inauguré, il y a trois ans, à Rittershoffen. Il a bénéficié des acquis scientifiques de Soultz et a montré que nous pouvions mener un projet industriel. C'est une ressource à 170 degrés, qui alimente une amidonnerie, au bord du Rhin, de la société Roquette Frères. Une société a été créée et exploite ce gisement, avec une puissance de 24 mégawatts et une température de 170 degrés. Elle traduit aussi une prouesse technologique. Une canalisation entre les forages et l'usine fait 15 kilomètres, elle a été complètement isolée, ce qui était aussi un défi. Trois degrés seulement sont perdus sur le parcours. En Alsace, d'autres projets sont en cours actuellement dans l'agglomération de Strasbourg. L'Alsace est aussi une région pionnière pour la géothermie. Cette technologie permet la production de chaleur domestique et industrielle, mais aussi de la cogénération. Avec une eau et de la vapeur à 170 degrés, nous pouvons faire tourner des turbines, mais l'industriel a fait le choix d'un process industriel.

Enfin, en Guadeloupe, différentes investigations sont également menées. Une centrale, à Bouillante, en Guadeloupe, produit de l'électricité, entre 15 et 16 mégawatts. Nous pensons que le gisement, notamment guadeloupéen mais également martiniquais, est important. Le BRGM est impliqué actuellement dans des phases d'exploration pour améliorer l'exploration et pour développer la géothermie dans ces îles, où elle est déjà significative. Environ 6 % de la consommation d'électricité de la Guadeloupe est d'origine géothermique. Le potentiel est au moins deux ou trois fois supérieur. À partir de 20 %, la part de la géothermie serait extrêmement significative, dans des zones non interconnectées où le coût de l'énergie représente un vrai enjeu. Je voulais simplement repréciser ce panorama français.

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