Au nom de l'association pour la Défense des Marais de l'Estuaire, je souhaitais vous dire que nous apprécions l'initiative que représente cette commission, qui nous permet d'exposer le sens de notre engagement, visant à préserver un site tout à fait exceptionnel, tant par ses paysages remarquables, que par la richesse de sa biodiversité – des ressources mises en valeur au plus haut niveau.
Ce site que nous souhaitons préserver est aujourd'hui gravement menacé par un lourd projet d'aérogénérateur industriel porté par la société Électricité de France (EDF) Renouvelables. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi cette perspective soulève un très sérieux problème d'acceptabilité sociale et environnementale.
Je vous dirai d'abord quelques mots du cadre dans lequel se situe ce projet.
L'estuaire de la Gironde est le plus vaste d'Europe. Il fait 635 km2, il est bordé sur son flanc gauche par le Médoc, où s'alignent des châteaux mondialement réputés pour leurs grands crus, et sur sa rive droite, nous pouvons admirer un ensemble de sites tout à fait remarquables, tels que la citadelle de Blaye classée au patrimoine de l'Unesco, ou le phare de Cordouan, qui se situe à l'embouchure de l'estuaire de la Gironde.
Par ailleurs, un grand nombre de sites sont très appréciés des touristes dans ce secteur : Talmont-sur-Gironde, l'un des plus beaux villages de France, le Pôle Nature de Vitrezay, le pôle Terre d'Oiseaux de Saint-Ciers-sur-Gironde, ainsi que tous les pittoresques petits ports.
L'inventaire de la Nouvelle-Aquitaine classifie cette rive droite comme une zone humide d'importance majeure et d'une sensibilité environnementale forte. C'est l'un des premiers couloirs d'oiseaux migrateurs d'Europe, emprunté par des myriades d'oiseaux, donnée essentielle relevée par le Muséum national d'histoire naturelle, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), et évidemment par la Ligue pour la protection des oiseaux.
De fait, ce site est classé zone Natura 2000, mais également Zone de protection spéciale (ZPS) depuis 2004, après avoir été inscrit en Zone importante pour la conservation des oiseaux (ZICO), au titre de la directive européenne 79-409. Par ailleurs, ce site est placé sous la protection de la loi littorale, qui a pour objet « la protection stricte des espaces et des milieux naturels, le maintien des équilibres biologiques et écologiques, la préservation du paysage et du patrimoine culturel et naturel du littoral ». Un cadre si rigoureux que les PLU de toutes les communes voisines de l'estuaire interdisent la moindre construction.
Nous pensions donc être à l'abri. Et c'est la raison pour laquelle, en 2017, quand des rumeurs ont commencé à courir sur des projets d'éoliennes, il n'y a eu que haussement d'épaules et ricanement ; personne n'y a cru. Malheureusement, ce n'était pas une rumeur.
EDF Renouvelables envisage d'y édifier de 30 à 40 aérogénérateurs de 180 mètres de haut et d'une puissance de 3 à 3,5 mégawatts, qui toucheront directement quatre communes de Gironde et quatre de Charente-Maritime.
Dès que les funestes intentions d'EDF Renouvelables ont été avérées, la mobilisation s'est organisée. Au niveau des élus, le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine a voté une motion hostile au projet, avec les voix du groupe Europe Écologie les Verts. Des dizaines d'élus se sont prononcés contre le projet, y compris les huit maires des huit communes touchées. Les deux députés concernés, Véronique Hammerer, 11e circonscription de la Gironde, et Raphaël Gérard, 4e circonscription de Charente-Maritime, ont exprimé les plus vives réserves sur le site retenu.
Par ailleurs, Dominique Bussereau, président du conseil départemental et de l'Assemblée des départements de France (ADF) a condamné sans aucune ambiguïté le projet qui, selon lui, « a mis le feu aux poudres et porte une atteinte inacceptable à un secteur tout à la fois très sensible et exceptionnel ». Au point que le département de Charente-Maritime, depuis des années, a mené une politique d'acquisition foncière de plusieurs centaines d'hectares, le long de l'estuaire.
Je cite M. Bussereau : « Je ne condamne pas l'éolien par principe, en revanche, une trop forte concentration dans le département de Charente-Maritime pose problème ». Ce qui l'a conduit, d'une part, à instaurer un observatoire de l'éolien, et, d'autre part, à faire voter le 22 mars 2019, un moratoire de deux ans, pour surseoir à toute nouvelle implantation de ces machines.
Par ailleurs, le SCoT de la communauté de communes de Haute-Saintonge, composée de 129 communes, dont les quatre de Charente-Maritime visées par le projet, exclut la possibilité d'implanter des éoliennes le long de l'estuaire. Le SCoT de la communauté de communes de l'Estuaire, qui est en voie de finalisation, prévoit déjà l'inconstructibilité du périmètre de marais.
Dans le même temps, cette mobilisation rassemble un très grand nombre d'associations. Ce n'est pas banal, mais sont main dans la main contre ce projet, la LPO, les fédérations de chasseurs de Gironde et de Charente-Maritime – 60 000 adhérents –, l'association des chasseurs de gibiers d'eau… Tous unis contre la menace d'installer des éoliennes pour la vie de la faune migratoire, extrêmement importante dans ce secteur. Et auxquels il convient d'ajouter de nombreuses associations, dont celle que je représente devant vous, la Conservatoire de l'estuaire de la Gironde, Vigi-Eole et Stop éolien 17.
Nous avons pu enrichir nos travaux et notre réflexion en nous basant sur des données scientifiques. J'ai en ma possession des documents que je remettrai au secrétariat, parmi lesquels ceux du scientifique Raphaël Musseau, qui publie des études depuis 10 ans sur la vie de la faune le long de l'estuaire. Les travaux de M. Musseau sont publiés dans des revues internationales, il s'agit d'un scientifique de renommée.
Dans son avis, il a soulevé l'incompatibilité du projet avec les engagements de la France envers l'Europe pour la conservation des ZICO, ainsi que pour la sauvegarde d'espèces mondialement menacées, comme le Phragmite aquatique.
Voilà ce que les associations et les élus ont en tête pour considérer que le projet d'EDF Renouvelables est totalement inacceptable. Je vous épargnerai tous les dangers que représentent les éoliennes.
Enfin, l'impact sur la valorisation de l'immobilier est assez lourd, puisque des jugements de tribunaux font état d'une baisse de la valeur des bâtiments de 20 à 40 %. Et l'impact sur le tourisme est négatif ; or la Charente-Maritime est le deuxième département de France, s'agissant du nombre de nuitées, et le tourisme se développe le long de l'estuaire depuis plusieurs années, du fait du côté sauvage du site.
Des investissements importants ont été effectués sur la rive gauche, où sont situés les châteaux du Bordelais, et le Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux est à nos côtés pour protester contre l'effet dissuasif de ces éoliennes sur le maintien de l'œnotourisme.
Le mouvement des gilets jaunes est lié à ce sentiment d'abandon qui s'étend aux zones rurales à mesure que disparaissent les services publics. Force est de constater que dans ces villages, éloignés des métropoles urbaines et des bassins d'emploi, demeure un cadre de vie exceptionnel ; c'est la raison pour laquelle nous nous battons. J'espère que vous l'aurez compris, car la colère monte.