Intervention de Pascal Poncet

Réunion du jeudi 20 juin 2019 à 15h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Pascal Poncet, maire de Saint-Just-en-Chevalet, Loire :

. Monsieur le président, je termine mon second mandat de maire de Saint-Just-en-Chevalet, commune de la Loire de 1 200 habitants, et de 3 000 hectares s'étageant de 600 à 1 000 mètres d'altitude. Nous avons, par ailleurs, la caractéristique d'être une centralité d'un bassin de vie de 5 000 habitants, possédant deux collèges, deux écoles, une caserne de sapeurs-pompiers, La Poste, une piscine communale, un espace de loisirs et sportif, des campings, une trentaine de commerces, des entreprises, une maison de santé pluridisciplinaire (MSP) flambant neuve, un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), etc.

La commune de Saint-Just-en-Chevalet est située entre Saint-Étienne et Clermont-Ferrand, nous avons la chance d'être à une heure et quart de Lyon, via l'A89, une quatrième couronne pour les résidences secondaires. Elle est par ailleurs classée station verte, et une labellisation est en cours pour qu'elle devienne « village sport nature ».

J'en viens à ce qui nous intéresse aujourd'hui.

Un projet est né dans les années 2007-2008 portant, initialement, sur une trentaine d'éoliennes, qui ont été ramenées à cinq, dans la commune de La Tuilière, et à quatre dans la commune de Cherier. Soit un projet de neuf éoliennes d'une puissance de 2,5 mégawatts et d'une hauteur de 155 mètres.

Ces neuf éoliennes font partie du projet Éole 76, rapidement racheté par la société Énergie du Portugal renouvelable (EDPR). Je vous dirai pourquoi, après avoir recueilli différentes informations, j'ai peu à peu changé ma posture et mon opinion sur cette affaire.

Le projet Éole 76 a donc été racheté par EDPR avec des fonds très importants en provenance de Chine, du Qatar et, me semble-t-il, d'Arabie Saoudite. Les fonds chinois proviennent de la société qui a réalisé le barrage des Trois-Gorges, en Chine. Un barrage qui a fait l'objet de nombreuses critiques s'agissant du déplacement des populations et des 600 km2 d'emprises agricoles.

Le projet Éole 76 est aujourd'hui porté par la société les Monts de la Madeleine Énergie, qui fait presque office de faux-nez.

Initialement, j'étais curieux face à ce projet et j'avais adopté une posture du « pourquoi pas ». Face à l'enjeu, et en tant que chef de village, je devais jouer mon rôle et préserver les intérêts de mes concitoyens et de notre pays. J'ai d'abord été alerté par une partie des habitants, inquiets. À court de réponse, je me suis informé. Le schéma régional éolien (SRE) de Rhône-Alpes – nous n'étions pas encore liés à l'Auvergne – était un document de bon sens, à l'époque, je l'ai donc lu.

Le SRE donnait les très grandes lignes du développement éolien à l'échelle régionale et apportait des éléments qui me paraissaient en contradiction avec le projet tel qu'il nous avait été présenté. Il indiquait notamment que les paysages naturels – Natura 2000 et autres paysages préservés et authentiques – « offrent très peu de potentiel à l'accueil d'éoliennes, au risque réel de faire évoluer leur identité vers une image plus industrielle. En effet, l'introduction de l'éolien génèrerait un changement d'image et d'identité, par un saisissant effet de contraste sauvage-artificiel… »

Plus j'avançais dans mes investigations, plus j'étais inquiet – ainsi que ma population. Je suis donc passé du « pourquoi pas » à « un peu sceptique ». De sorte que je me suis intéressé encore d'un plus près au secteur de l'éolien et que je me suis rendu aux réunions publiques – deux me semble-t-il – organisées par le promoteur. Là, j'ai été frappé par la légèreté avec laquelle le projet nous était présenté. J'avais l'impression de me retrouver en CM1 ou CM2 ! Le promoteur nous a en effet présenté un projet qui tenait sur des feuilles A3 que je n'arrivais à voir qu'en me tordant ; de temps en temps, j'apercevais un morceau d'éolienne dans le blanc des nuages.

J'ai, bien entendu, trouvé la méthode critiquable, notamment s'agissant de la transparence du dossier. D'autant que j'avais, demandé aux représentants du projet qu'une réelle communication soit menée – au motif que nous étions une commune limitrophe, une station verte, que nous développions une politique modeste mais efficace en matière de tourisme – et qu'une maquette soit réalisée ; en guise de maquette, nous avons eu la réunion telle que je viens de vous la décrire. En tant qu'élu de la République, même si mon territoire est modeste, je pense mériter d'être traité d'une autre manière. Mes doutes se sont donc amplifiés.

Nous avons, dans cette région, un certain nombre de contraintes, bien légitimes, du fait des sites Natura 2000 que nous avons la chance de posséder. Très souvent, des agriculteurs se font même « gronder » pour avoir mis leurs roues de tracteur ici ou là. Or, le promoteur vient nous présenter un chantier d'une ampleur incroyable, au milieu de sites Natura 2000 et de véritables châteaux d'eau, qui ne semblait leur poser aucun problème. Alors même que le projet exige, par exemple, de transporter de l'énergie sur un poste à 15 ou 20 kilomètres, entre des mâts qu'il faut relier, des chemins d'exploitation… Bref, un projet très inquiétant.

J'ai ensuite été amené à interroger une personne, qui avait travaillé à Météo France, qui avait produit un rapport sur le Massif central – qui a les caractéristiques topographiques que notre région. Je n'étais alors que dans une recherche d'arguments factuels, puisque le projet me semblait important en matière de développement économique. Seulement la colonne des inconvénients ne devait pas être supérieure à la colonne des avantages. Dans son compte rendu, toute ressemblance avec la réalité serait fortuite ou involontaire ! Rien à voir avec ce que présentait le promoteur.

Par ailleurs, je ne comprenais pas pourquoi le développeur n'avait pas eu l'idée de faire le bilan du parc éolien, implanté trois ans auparavant, à quatre kilomètres de notre site. Il aurait ainsi pu avoir une ambiance globale de ce qui se passe au niveau du vent. Non, il a préféré planter un mât de mesure. Un mât qui, pour la petite histoire, est tombé quelques mois plus tard. Une enquête a été diligentée, mais nous n'avons jamais su qui avait fait tomber le mât – ce n'est pas moi. Une façon de faire qui a renforcé mes doutes.

De mon côté, je me suis procuré les résultats du parc existant ; des résultats catastrophiques. Si je n'ai aucun moyen de m'assurer de la véracité de ces résultats, bien entendu, je pense qu'il s'agit des vrais résultats. J'ai contacté le maire de la commune voisine, qui, après une période de doutes, est aujourd'hui radicalement opposé au projet. Il m'a confirmé que tous ceux qui avaient accueilli ce projet s'en mordaient aujourd'hui les doigts.

Ce même maire m'a raconté que des journalistes de France culture étaient venus l'interviewer sur l'éolien, et que ce jour-là des techniciens étaient en train de démonter les pales pour poser des résistances électriques, car à cette altitude, la glace qui se formait était de nature à gêner le bon fonctionnement – quand elle fonctionnait – de l'éolienne. Si nous devons produire de l'énergie pour chauffer les pales, où allons-nous !

Concernant l'hydrogéologie, ma commune est un peu le château d'eau du secteur. Je n'avais aucune confiance en l'hydrogéologue qui avait été incorporé dans l'équipe d'ingénierie du promoteur – des équipes qui sont les mêmes d'une opération à une autre – car il me semble difficile d'être à la fois juge et partie sur un sujet aussi sensible que l'eau. S'il était moins sensible à l'époque, nous subissons depuis deux ans, une sécheresse rarissime ; je n'ai jamais vu nos cours d'eau aussi bas. Nos pompiers ont même été obligés d'approvisionner la commune de La Tuilière.

J'ai donc demandé à l'agence régionale de santé (ARS) d'aller vérifier les dires de l'hydrogéologue, missionné par le promoteur. Si les conclusions étaient similaires, l'ARS recommandait un grand nombre de précautions et de réserves, contrairement à l'hydrogéologue. Or, quand nous débattons d'un sujet aussi sensible que l'eau, je me demande si nous pouvons encore opérer ce type de réserves ; je ne le crois pas. Aujourd'hui, l'eau est vitale. Nous prenons des arrêtés que nous n'avions jamais pris dans l'histoire locale ! Le président du syndicat des eaux (SE) organise, certainement la semaine prochaine, une réunion de « crise » sur ce sujet.

J'ai également interrogé les personnes habitants près des éoliennes. Nous sommes bien loin de la vérité, bien loin des propos du promoteur, tant sur le plan sonore que visuel – ces personnes vivent avec ces mâts 24 heures sur 24. Une photo n'est qu'une photo, dans la réalité, les éoliennes bougent et captent votre attention en permanence. Les habitants ont l'impression, quand ils sortent de chez eux, de se trouver sur un autre territoire, en tout cas pas celui qu'ils ont choisi initialement.

Les inconvénients des éoliennes sont parfois opposés au nucléaire, mais ce n'est pas mon propos. Et des personnes sont favorables au parc éolien, je tiens à le dire. Mais combien d'éoliennes pour une seule centrale ? C'est aussi cet impact qu'il convient de prendre en compte – et qui a été négligé.

Les habitants de notre région, comme cela est indiqué dans des études de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), perçoivent de petites retraites – de 700 à 900 euros. J'ai compris que le promoteur avait choisi ce territoire pour sa docilité et non pour la performance du vent ou pour des motifs écologiques. D'ailleurs, quand nous analysons le passé des investisseurs en ce domaine, nous pouvons légitiment nous interroger. Et les résultats que j'ai récupérés ici et là démontrent que le rendement ne serait pas des meilleurs.

Toutes ces éléments ont définitivement fait basculer mon opinion et j'avais pris l'habitude de dire au promoteur « mais pourquoi n'allez-vous pas implanter des éoliennes à Saint-Tropez ? ». Je suis désolé de ce raccourci, mais la suffisance du promoteur n'était pas supportable : « Croyez-nous, nous sommes les sachants, nous allons venir vous faire du bien… » Depuis l'implantation du premier parc, aucun emploi n'a été créé, nous ne faisons que regarder les éoliennes tourner.

Le promoteur a choisi un territoire docile, avec une opposition passive. Les habitants s'interrogent sur ce que vont devenir leurs biens. Car la moins-value est bien réelle. Et les notaires ne font que la confirmer. Si les projets éoliens n'avaient aucune incidence sur la vie d'une région, nous ne serions pas aussi attentifs.

Par ailleurs, et c'est mathématique, si, par exemple, 50 % des personnes sont défavorables à un projet, vous vous privez forcément de 50 % d'acquéreurs potentiels.

Mon inquiétude s'est renforcée, en 2014, quand j'ai rencontré le maire d'une commune de l'Ille-et-Vilaine qui avait acheté une vieille ferme dans ma commune et qui était en contact avec le groupe Pierre et Vacances. Je vous lis le courrier de ce maire, datant du 25 novembre 2014, que je tiens à votre disposition ; il écrit à Mme Buccio, alors préfète de la Loire : « Madame la préfète, je suis porteur d'un projet Pierre et Vacances, au lieu-dit la Condamime, Saint-Just-en-Chevalet. Je suis propriétaire de bâtiments et de plusieurs hectares qui intéressent ce spécialiste du tourisme convaincu, comme moi, du potentiel de cette région… ». Notre territoire est en effet appelé la Petite Suisse, il possède de nombreux atouts et nos efforts portent aujourd'hui leurs fruits.

Le bassin de vie que je vous ai présenté en introduction est d'une extrême précarité, mais fonctionne bien. L'acceptabilité de ce projet, qui était correcte, initialement, est devenue inacceptable.

Je continue la lecture du courrier : « Le canton et ses environs pourraient ainsi bénéficier d'une dynamique économique intéressante, construite autour de son image de nature préservée. Hélas, je viens d'apprendre qu'un projet éolien est susceptible de s'implanter à quelques centaines de mètres du secteur pressenti. Vous comprenez mon étonnement, n'ayant jamais été informé. Je trouve cette situation surprenante et tenais à vous faire part de mes interrogations, quant au manque évident de transparence entourant une telle situation. Je suis par ailleurs maire de la Chapelle-des-Fougeretz, en Ille-et-Vilaine et ainsi parfaitement informé de la nécessité d'une large information pour associer le plus possible les populations, notamment celles de toute proximité ».

Le projet Pierre et Vacances a été tué, dès lors que le terme « parc éolien » a été prononcé.

Par ailleurs, ce projet a clivé la population, dans une période où nous n'en avions pas besoin – mais vraiment pas besoin. Preuve en est les mouvements que nous avons connus. Tous les jours, j'appose des pansements sur les blessures des uns et des autres. Je vous garantis, comme tous les élus de proximité, que j'ai senti les choses arriver.

Pourquoi ? Parce que parmi les personnes favorables au projet, se trouvaient celles qui avaient été ciblées comme « dociles » ou percevant une petite retraite. En leur proposant de doubler leur retraite – par un dédommagement, par exemple, de 600 ou 700 euros par mois pour l'implantation d'un mât, de 300 euros pour un survol de pales ou de 150 euros pour une tranchée sur leur propriété –, le promoteur a perturbé l'équilibre de notre population.

Pour la petite histoire, le promoteur n'a pas démarché la baronne de Rochetaillée, il n'avait aucune chance ! Non, la cible était cette population que je viens de vous décrire. Et je comprends parfaitement qu'elle soit intéressée par ces fameux 600 ou 700 euros par mois.

Le pire, car il y a pire, ce sont les personnes qui ne toucheront pas ces fameux 600 euros par mois, car, manque de pot, le mât sera implanté, non pas chez eux, mais juste à côté. Leur terrain en sera dévalué et elles ne seront pas indemnisées. Une injustice que je ne peux admettre, en tant que maire.

J'ai reçu, par ailleurs, un témoignage émouvant d'un agriculteur relatif à l'impact des éoliennes sur sa production de lait – si je ne connais pas les données scientifiques, l'actualité commence à lui donner raison. Je tiens ce témoignage à votre disposition. Cet agriculteur n'a jamais été contredit et j'ai retrouvé des rapports vétérinaires constatant les mêmes faits.

Alors que je n'étais que sceptique, j'en suis aujourd'hui à souhaiter vivement que nous ne voyons jamais l'arrivée de ces éoliennes, pour la santé de notre micro pays, mais plus largement, pour la santé du patrimoine si cher aux Français, mais également au monde entier.

Notre opportunité, liée à l'A89, à la liaison Lyon-Clermont-Ferrand-Saint-Étienne, dont nous sommes le poumon vert, et qui nous plaçait en quatrième couronne, s'est vue menacée. Tous les efforts qui ont été réalisés dans la région – les services publics, des sociétés de recyclage de plastique, de ressources hydrologiques – seraient anéantis par cette puissance, cette énorme boule, qui vient vous dire « c'est nous qui avons raison ».

Le préfet, dans sa grande sagesse, a refusé l'installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE). Nous l'avons accompagné dans sa décision, car il a aussitôt été attaqué par EDPR – je ne prononce pas le nom de la société les Monts de la Madeleine Énergie, qui n'est que le vernis ; nous sommes chez les Chinois. Je n'ai rien contre les Chinois, le Qatar, l'Arabie Saoudite ou les Portugais, mais utiliser le nom « Monts de la Madeleine Énergie » est trompeur.

Autour du préfet – qui s'est présenté au tribunal administratif, ce matin – un certain nombre d'institutions ont adopté une démarche volontaire et sont venues le soutenir, lui et la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

Nous le savons tous, les investisseurs ont les moyens financiers de tenir le temps d'une longue procédure, contrairement aux associations qui ne peuvent pas suivre et de l'État qui, à un moment donné, passe à autre chose. Toutefois, la Ligue de la protection des oiseaux (LPO), France nature environnement (FNE), la fédération départementale des chasseurs français (FDCF), la fédération départementale de pêche (FDP), le syndicat mixte des Monts de la Madeleine, qui regroupe une cinquantaine de communes, ma commune et des communes voisines, se sont engagés dans cette démarche, aux côtés du préfet.

A priori, ce matin, le rapporteur aurait invité le président du tribunal a débouté la requête de l'investisseur.

Telle est ma triste expérience sur ce projet. Une question qui m'a beaucoup occupé. Car même à Saint-Just-en-Chevalet, nous recevons la télévision et la fibre, nous sommes donc capables de nous renseigner pour ne plus prendre les promesses et les projets pour argent comptant. Les sonneurs d'alerte ont également joué un rôle important.

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