Intervention de François-Marie Bréon

Réunion du mardi 2 juillet 2019 à 17h15
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace :

Merci pour toutes ces questions. Je vais essayer d'y répondre le plus en détail possible dans les 15 minutes qui me sont imparties, étant entendu que je serai évidemment heureux d'y revenir par la suite si vous jugez que mes réponses ne sont pas suffisantes sur certains points.

Comme vous l'avez dit, je suis chercheur climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, qui est situé en région parisienne. J'ai été rédacteur du 5e rapport du GIEC, paru en 2014, mais je ne participe pas au 6e rapport, en cours d'élaboration.

Dans un cadre qui n'est pas directement professionnel, je suis membre de deux associations, dont je ne suis pas le porte-parole, même si je me nourris un peu de leurs réflexions : je fais partie du comité scientifique de l'association « Sauvons le climat » et j'appartiens au conseil d'administration de l'Association française pour l'information scientifique.

Je précise aussi que je suis salarié du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Je considère personnellement que ma parole est complètement libre, mais j'imagine que certains vont penser que, étant du CEA, j'ai forcément un conflit d'intérêts majeur sur ces sujets…

Quels sont les principaux messages en ce qui concerne le climat ? Je vais commencer par un résumé des travaux du GIEC.

Le dioxyde de carbone (CO2) est le principal moteur du changement climatique mais il ne faut pas oublier qu'il y a d'autres contributions – il existe d'autres gaz à effet de serre et il y a les aérosols et le changement d'occupation des sols, qui sont également importants. Le moteur du changement climatique est parfaitement compris et quantifié. Il existe néanmoins des incertitudes sur ce qui va se passer dans l'avenir. Elles sont essentiellement liées aux rétroactions : le réchauffement du climat va modifier, par exemple, les nuages, les forêts et la végétation au sol, ce qui peut amplifier le réchauffement ou au contraire le réduire.

Je voudrais également insister sur le fait que les changements climatiques annoncés sont absolument considérables et surtout très rapides au regard des variations naturelles du climat que l'on a pu observer dans le passé et sur lesquelles on travaille en particulier dans mon laboratoire.

Par ailleurs, les dommages ne se situent pas sur les lieux d'émission des gaz à effet de serre. On voit bien que les pays qui en émettent le plus se situent aux latitudes moyennes de l'hémisphère Nord alors que les plus vulnérables au changement climatique sont plutôt les pays tropicaux, qui émettent assez peu de gaz à effet de serre. La diminution des émissions a donc une certaine dimension éthique. En outre, ceux qui vont le plus subir le réchauffement climatique sont nos descendants, qui ne sont pas encore nés ou, en tout cas, qui ne votent pas encore. Il faut se demander si nous travaillons uniquement pour nous ou pour des gens qui habitent ailleurs dans le monde ou qui ne sont pas encore nés.

Limiter le changement climatique à 1,5° ou 2°, comme on l'a été prévu dans le cadre de l'accord de Paris, demandera une diminution considérable et rapide des émissions de CO2. Il y a vraiment une urgence.

Le graphique suivant, qui est issu du rapport spécial « 1,5° » du GIEC, paru l'an dernier, montre les trajectoires des émissions de CO2 qui sont possibles si l'on veut vraiment limiter le changement climatique à 1,5° ou 2°. On doit arriver à des émissions quasiment nulles en 2050. Cela veut dire qu'il faudrait diminuer nos émissions de CO2 de 5 à 10 % par an, ce qui est absolument considérable.

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Compte tenu de l'urgence, nous n'avons pas le temps de nous tromper de méthode. Il faut adopter des mesures efficaces pour diminuer nos émissions de carbone. Il n'est pas question de prendre des mesures servant uniquement à nous faire plaisir. Si on veut vraiment lutter contre le changement climatique, il faut prioritairement diminuer nos émissions de CO2, mais aussi d'autres gaz à effet de serre, en particulier le méthane et le protoxyde d'azote (N₂O). Les émissions de méthane résultent des fuites de gaz naturel, des décharges et de l'agriculture. Le protoxyde d'azote est essentiellement lié aux engrais utilisés dans l'agriculture. Enfin, le CO2 provient de l'utilisation des combustibles fossiles – charbon, pétrole ou gaz naturel.

Comment peut-on diminuer les émissions de carbone ? Il y a trois catégories de méthodes. La sobriété consiste à consommer moins de viande, à avoir des logements comptant moins de mètres carrés, à parcourir moins de kilomètres en voiture ou en avion, à acheter moins d'objets ou à prendre des douches plutôt que des bains, ce qui veut dire que l'on change de niveau de vie. L'efficacité, qui ne suppose pas de changer de niveau de vie, fait appel à la technologie pour émettre moins de carbone, par exemple en ayant une meilleure isolation des bâtiments, en utilisant des moteurs qui ont un meilleur rendement ou en faisant de la cogénération. L'électrification des usages énergétiques, enfin, implique de se chauffer à l'électricité ou d'avoir des voitures électriques plutôt que fonctionnant au fioul, à condition que l'électricité soit non carbonée.

J'insiste sur l'électrification car on entend souvent dire qu'il faut diminuer la consommation d'énergie et donc celle de l'électricité pour lutter contre les gaz à effet de serre. Selon moi, c'est une grave erreur de raisonnement : une augmentation de la consommation électrique peut être une très bonne chose pour le climat s'il y a un transfert entre des postes émetteurs de CO2 vers d'autres qui ne le sont pas.

J'en viens à la question des émissions de CO2 par secteurs – c'est-à-dire la production électrique, l'industrie, le transport routier, les autres transports, le résidentiel et le secteur tertiaire. La production d'électricité représente en moyenne un grand tiers des émissions de CO2 au plan mondial. Si on arrivait à décarboner complètement cette production, on n'aurait pas complètement résolu le problème, mais on aurait déjà bien avancé et ce serait encore plus vrai si on transférait des usages – si le transport routier devenait électrique, par exemple.

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En France, les émissions de CO2 dues à l'électricité sont extrêmement faibles par rapport à ce que l'on observe dans les autres pays figurant dans le graphique. Dans l'industrie, le transport routier et les autres transports, en revanche, soit on est dans la moyenne mondiale soit on a des valeurs plutôt plus fortes. S'il y a un domaine où la France est plutôt un bon élève et où on pourrait presque dire que nous sommes exemplaires, c'est la production d'électricité. Partout ailleurs, nous sommes dans la moyenne mondiale ou nous faisons moins bien. On peut donc trouver qu'il est extrêmement surprenant de se concentrer sur le seul secteur où nous sommes bons au niveau mondial quand on dit que l'on va réaliser une transition énergétique en France afin de limiter l'impact de notre pays sur le climat – il faudrait se concentrer sur les transports, l'industrie et le secteur résidentiel.

Je vais maintenant vous montrer quelques graphiques relatifs à l'électricité en France et faire quelques commentaires sur ce sujet. Les énergies renouvelables dont nous parlons produisent essentiellement de l'électricité, avec l'objectif de remplacer le nucléaire. Ces figures, que j'ai réalisées à partir de données fournies par Réseau de transport d'électricité (RTE), décrivent 7 ans de consommation et de production d'électricité en France.

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La consommation, représentée par la courbe noire, varie typiquement entre 40 et 80 gigawatts (GW), selon un cycle annuel très important – tout le monde sait que la France consomme plus d'électricité en hiver, essentiellement du fait du chauffage. La production d'électricité nucléaire, qui est représentée en vert, suit relativement bien la consommation : on ajuste la production des centrales, qui est plus faible en été et plus importante en hiver. La production nucléaire est vraiment ajustée à la demande : elle est pilotable. Les autres sources utilisées sont également représentées, en particulier l'hydraulique, qui figure en bleu. Dans ce domaine, on atteint un maximum au printemps, et il y a de très importantes variations quotidiennes, qui permettent aussi de s'ajuster à la demande. La courbe rouge correspond aux énergies renouvelables : elles sont en croissance, mais ce n'est pas très visible car elles représentent une partie faible de la production.

J'ai donc réalisé un autre graphique qui est identique au précédent à ceci près que j'ai multiplié les énergies renouvelables par 5, ce qui permet de figurer un peu ce que pourrait être la production électrique en France grâce aux énergies renouvelables si on mettait en place, dans les 15 prochaines années, toutes les mesures dont il est question aujourd'hui – à savoir la multiplication des éoliennes et du photovoltaïque. On voit que la production des énergies renouvelables est extrêmement aléatoire : il y a de très fortes variations d'un jour à l'autre sans qu'il existe nécessairement une corrélation avec la demande, avec le besoin en France, ce qui conduirait évidemment à des contraintes importantes pour le réseau électrique.

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Je vais maintenant faire un gros plan sur un mois donné afin que l'on puisse mieux voir les variations rapides qui se produisent du côté des énergies renouvelables. C'est le même type de graphique que précédemment, mais on va se concentrer sur le mois de décembre dernier, où la consommation a été assez importante.

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On voit bien le cycle quotidien et le cycle hebdomadaire – on consomme moins le week-end que pendant les jours de semaine – mais aussi l'effet du 25 décembre – la plupart des industries étant fermées, la consommation est plus faible. Il y a eu des périodes, par exemple autour des 7,8 et 9 décembre, où il y avait beaucoup de vent et où la production éolienne, si on avait vraiment multiplié par 5 le parc actuel, aurait permis de répondre à la demande en électricité. Vers les 26, 27, 28 et 29 décembre, en revanche, il y a eu une assez longue période pendant laquelle la production aurait été extrêmement faible, alors même que j'ai multiplié par 5 la production d'électricité éolienne dans mon modèle, ce qui représente une capacité installée de 75 GW – c'est considérable : cela va au-delà de la capacité installée dans le secteur nucléaire à l'heure actuelle.

La grande question, que je ne suis pas le premier à poser, est la suivante : dans un tel système, que fait-on pendant cette période ? Comment produit-on l'électricité dont on a besoin ? On peut subvenir aux besoins de différentes manières : il est possible d'ajuster la demande en demandant de consommer moins – on peut fermer des industries, arrêter des trains, demander que les machines à laver tournent le lendemain, voire la semaine suivante, car des périodes sans vent peuvent durer plus d'une semaine –, on peut faire du stockage et déstocker en cas de besoin, on peut recourir au « foisonnement » et supposer que nos voisins vont apporter l'électricité dont on a besoin, et on peut aussi avoir un « backup » pilotable, qui doit être peu utilisé, en particulier s'il fait appel au gaz. Chacune de ces solutions a un coût : cela va demander des moyens, des infrastructures, et il serait d'ailleurs assez normal que les coûts d'infrastructure et de réseaux correspondants soient inclus dans le bilan financier des énergies renouvelables – or on ne le fait absolument jamais. En pratique, le coût est prohibitif, comme l'a indiqué Jean-Marc Jancovici lors de son audition, il y a quelques semaines.

Il est possible, et relativement facile, de compenser l'intermittence des énergies renouvelables lorsque leur part est relativement faible et lorsqu'il y a une part d'énergie fossile, de gaz ou de charbon, qui reste importante, car on peut piloter la production ; mais si on vise un système électrique dans lequel il y a très peu de combustible fossile, cela devient extrêmement difficile.

En ce qui concerne le foisonnement, je vais vous montrer la carte des vents en France et en Europe lors de l'épisode dont je viens de parler – à la fin du mois de décembre de l'année dernière. On voit qu'il y avait très peu de vent sur presque l'ensemble de l'Europe de l'Ouest pendant ces 4 jours. On dit souvent qu'il y a toujours du vent quelque part – c'est vrai, mais y en a-t-il suffisamment pour assurer la production électrique ? Dans la période dont je vous parle, ce n'était absolument pas le cas. La production éolienne dans l'ensemble de l'Europe de l'Ouest aurait été beaucoup trop faible pour assurer la production d'électricité dont on avait besoin.

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Par ailleurs, j'ai participé à l'encadrement de la thèse de Sylvain Lassonde, qui a été soutenue l'année dernière : il a regardé quelles sont, dans le passé, les périodes qui pourraient être dimensionnantes pour un système électrique. Il a identifié plusieurs périodes, pouvant aller jusqu'à un mois, pendant lesquelles la production éolienne dans l'ensemble de l'Europe de l'Ouest était extrêmement faible.

Même si je vais vite, je voudrais aussi rappeler que l'Allemagne, qui est souvent présentée comme un modèle à suivre, compte tenu des capacités installées en matière d'électricité éolienne et solaire, connaît en pratique des périodes importantes, comme celle dont je viens de parler, pendant lesquelles la production d'électricité solaire est très faible, en particulier en hiver et la nuit, et pendant lesquelles le vent est très faible. Dans ce cas, on est obligé de démarrer des centrales au charbon ou au gaz, ce qui a un impact important en termes d'émissions de gaz à effet de serre. Je le répète : selon moi, l'objectif prioritaire est de diminuer ces émissions, et je ne peux donc pas accepter qu'il y ait des périodes fréquentes et longues pendant lesquelles on utilise du charbon ou du gaz pour assurer la production électrique. Il n'y a pas plus de vent ou de soleil en France pendant les mêmes périodes, mais on a une capacité nucléaire importante qui permet d'assurer l'essentiel de la production électrique, presque sans émettre de gaz à effet de serre.

J'ai beaucoup parlé de l'éolien car c'est ce qui se développe le plus vite aujourd'hui, mais je voudrais également aborder la question du solaire. Tout ce que j'ai dit à propos de l'éolien – il y a vraiment un grave problème du fait de l'intermittence – est encore plus vrai dans le cas du solaire. Je vais m'appuyer sur un graphique qui fait apparaître uniquement le solaire, et non plus un mélange avec l'éolien.

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Il y a eu un développement très rapide du solaire : la production était nettement plus importante en 2018 qu'en 2012, ce que certains considèrent comme un élément très favorable, mais on voit aussi que cette production est complètement anticorrélée avec la demande, c'est-à-dire la consommation. Le solaire produit beaucoup l'été, alors que la consommation est assez faible, et produit vraiment très peu l'hiver, au moment où la consommation est maximale. Pour moi, le solaire est une aberration en France : développer cette énergie ne présente absolument aucun intérêt, et je ne comprends donc pas qu'on le fasse.

Je ne comprends pas, en particulier, que l'on favorise l'autoconsommation. J'ai préparé une figure, là encore à partir de données provenant de RTE, qui montre la consommation moins la production nucléaire et hydraulique, sur l'axe des abscisses, et la production photovoltaïque sur l'axe des ordonnées. Pour résumer, lorsqu'il y a des excès de production, la production photovoltaïque est importante et, au contraire, lorsqu'il y a des besoins d'électricité, cette production est très faible. En favorisant l'autoconsommation, on accentue la décorrélation entre les besoins et la production et donc on finance la déstabilisation du système par les particuliers.

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On évoque aujourd'hui la question du changement climatique pour favoriser et financer l'installation de capacités dans le domaine du photovoltaïque et dans celui de l'éolien tout en disant que l'on va limiter la puissance nucléaire. Cela revient à se tromper d'objectif : on est en train de consacrer des moyens considérables à quelque chose qui n'a aucun impact sur les émissions de gaz à effet de serre, et on va même dégrader la performance du système électrique français en termes d'émissions de CO2, car on va devoir utiliser du gaz pour compenser l'intermittence des énergies renouvelables (EnR). Tant qu'on n'a pas résolu la question du stockage à grande échelle, il ne faudrait pas développer les EnR. En revanche, on doit continuer à faire de la recherche sur le stockage à grande échelle afin d'intégrer éventuellement ces énergies.

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