Cette proposition de loi n'est pas uniquement la mienne. Deux de nos collègues en ont aussi été les chevilles ouvrières, à savoir Thierry Benoit, que sa circonscription d'Ille-et-Vilaine rend sensible aux problématiques métropolitaines et rurales, et l'unique député de la Lozère, Pierre Morel-À-L'Huissier.
Je ne résiste pas au plaisir de vous lire ce qu'écrit le sociologue Christophe Guilluy, dans son ouvrage La France périphérique, publié en 2014 : « Désormais deux France s'ignorent et se font face : la France des métropoles, brillante vitrine de la mondialisation heureuse, où cohabitent cadres et immigrés, et la France périphérique des petites et moyennes villes, des zones rurales éloignées des bassins d'emplois les plus dynamiques. De cette dernière qui concentre 60 % de la population française, personne ne parle jamais. Laissée pour compte, volontiers méprisée, cette France-là est désormais associée à la précarité sociale ».
Nul ne peut plus nier, je pense, cette fracture territoriale béante qui va en s'aggravant. Les populations qui vivent dans les territoires ont souvent l'impression d'être les oubliés de la modernité technique et du développement économique. Ce sont d'ailleurs celles qui se sont le plus abstenues lors des dernières élections présidentielle et législatives. Le monde qui change ne leur serait en rien bénéfique et réduirait même pour eux l'horizon des possibles.
Cette France à plusieurs vitesses ne concerne plus seulement les territoires ruraux mais l'ensemble des territoires dits « périphériques » qui, en métropole comme outre-mer, subissent une mutation économique défavorable, que l'on peut aisément lier aux phénomènes induits de la métropolisation.
Pour autant, la richesse territoriale de la France réside en grande partie dans le réseau des villes petites et moyennes constituées par l'histoire, où 60 % de la population française vit toujours et qui pèse 40 % du Produit intérieur brut (PIB). La croissance, après laquelle nous courons tellement, ne se fera pas uniquement dans les métropoles mais aussi dans ces territoires.
La fracture observée entre les métropoles et les territoires revêt plusieurs aspects. Et ces fractures se multiplient au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la très grande ville.
D'abord la fracture numérique : pour des raisons de coût, les zones rurales suburbaines sont des dernières et les moins bien desservies par le numérique à très haut débit. Encore faut-il s'entendre sur ce que l'on entend par le très haut débit : c'est au moins un gigabit, quand la télévision par internet exige entre 15 et 20 mégabits. Le ministre de la cohésion des territoires, M. Jacques Mézard, a reconnu que « le très haut débit est aujourd'hui inégalement réparti sur le territoire et pénalise un certain nombre de zones (…) Il n'y a pour l'instant que 3,5 millions de lignes sur les près de 13 millions qui sont prévues ».
Ensuite, la fracture liée à la couverture en téléphonie mobile : malgré les promesses réitérées des opérateurs, les zones blanches, ne diminuent pas tant en zone rurale que dans les zones périphériques des très grandes villes.
La fracture sanitaire, aussi, caractérisée par la désertification médicale : il ne se passe pas une semaine sans qu'on en parle.
La fracture du logement, enfin : de nombreuses personnes, notamment des jeunes couples modestes, viennent s'installer en zone rurale ou dans les villes petites et moyennes en raison du manque de logements et du niveau élevé des loyers dans les métropoles.
À ces quatre fractures béantes s'ajoutent les difficultés en matière de transport, de services publics, d'accès à l'éducation, aux loisirs et à la culture…
Lors du discours qu'il a prononcé le 18 juillet 2017 à l'occasion de la conférence des territoires, le Président de la République a déclaré : « Je pense que c'est une bonne idée de considérer l'opportunité d'une Agence nationale de la cohésion des territoires. Cette agence aurait vocation à travailler en lien direct avec les régions parce qu'il ne s'agit pas de recentraliser – il est important de le préciser – ce qui a été donné à certaines collectivités et donc ce doit être une agence là aussi d'un type nouveau qui travaille en lien direct avec les régions, qui pense que l'appui, en particulier en ingénierie publique, est indispensable dans le rural et dans les territoires les plus périphériques et qui créent une logique de guichet unique et de simplification. » Dans ces quelques phrases, tout est dit. Il s'agit de faire appel à la créativité, à l'ingéniosité et à l'inventivité des acteurs des territoires, en leur fournissant l'ingénierie nécessaire. Dès le mois de mars 2017, j'avais écrit à ce sujet.
Devant le caractère désordonné, illisible et – au final – inefficace des politiques d'aménagement du territoire, l'agence que nous proposons de créer devra apporter de la simplification et de l'efficacité aux efforts menés pour rendre de la cohérence à ces territoires qui font la richesse de notre pays. Elle devra s'inscrire dans une logique de guichet unique pour faciliter l'impulsion des projets locaux. Elle devra rassembler les ressources en ingénierie. Elle ne devra pas être une agence supplémentaire – « encore une boutique ! » – s'ajoutant à toutes les structures existantes, mais devra les intégrer et les coordonner.
Cette vision est en parfaite cohérence avec celle du Gouvernement. Jacques Mézard déclarait il y a peu : « Il ne s'agit aucunement de multiplier ce que font les départements et les intercommunalités (…) et en aucun cas de créer une nouvelle usine à gaz, (…) mais d'apporter un soutien là où il y a des besoins ». On retrouve ainsi une cohérence entre le discours du ministre et du Président de la République, et la volonté des élus.
Le projet porté par la proposition de loi s'inscrit également dans la vision du premier ministre, M. Édouard Philippe, qui déclarait, le 20 octobre dernier devant le congrès de l'Assemblée des départements de France : « L'idée n'est pas de faire concurrence aux directions départementales des territoires, ni aux Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement, ni aux agences techniques départementales ou aux opérateurs privés, mais bien de fédérer les ressources nécessaires pour mener à bien un projet de développement territorial, qu'il s'agisse d'un territoire rural ou d'une ville, petite ou moyenne ».
Ce guichet unique présenterait un avantage évident pour les investisseurs nationaux ou étrangers qui, à l'heure actuelle, doivent composer avec un grand nombre d'interlocuteurs : maire, président d'intercommunalité, préfet, président de conseil départemental et président de conseil régional.
C'est d'ailleurs ce qu'a dit le président Macron devant le congrès des maires de France, le 24 novembre dernier : « L'État doit parler d'une voix et d'une voix cohérente dans le montage de vos projets, que vous n'ayez pas affaire à des guichets où chacun a sa lecture du sujet et je souhaite que les administrations et les opérateurs de l'État soient mis au service des projets des territoires de manière cohérente. Je veux un État facilitateur de vos projets. C'est précisément le rôle que je veux assigner à l'Agence nationale de la cohésion des territoires dont j'ai annoncé la création lors de la conférence nationale des territoires ». Voilà une déclaration forte dont on verra si elle se traduit dans les faits.
Notre objectif consiste donc à créer une structure souple et dynamique, capable de mobiliser de manière rapide l'ensemble des parties prenantes. Cela permettrait de fluidifier, de clarifier et de simplifier l'articulation des compétences entre l'État, les régions qui seraient pleinement associées à l'agence, mais en incluant aussi les départements, naturellement. Car je veux de la proximité : il ne s'agira pas d'une agence parisienne qui décidera de tout !
Comme l'a expliqué le Président de la République devant le congrès des maires de France, « cette agence aura aussi pour vocation d'apporter des compétences en ingénierie territoriale qui seront envoyées sur le terrain là où c'est nécessaire ». Car on sait qu'il y a des problèmes d'ingénierie, comme cela nous l'a été rappelé lors des auditions de l'Association des maires de France (AMF), de l'Association des départements de France (ADF), de l'Association des régions de France (ARF), de l'Association des petites villes de France (APVF) et des représentants des territoires d'outre-mer.
L'agence devra donc regrouper et coordonner les moyens étatiques et devenir le bras armé de l'action publique. Mais, s'il y a une verticalité, ce sera une verticalité inversée par rapport à ce que nous connaissons d'habitude, une verticalité du bas vers le haut ! L'agence devra répondre à un triple besoin. D'abord, le besoin d'un État expert, pour construire des projets de territoire structurants à l'échelle des bassins de vie. Ensuite, le besoin d'un État fédérateur, pour susciter des synergies locales, sinon on sera tributaire de la mobilisation ou non des acteurs locaux. Enfin, le besoin d'un État facilitateur, pour en finir avec les longs délais de négociation, comme cela est, par exemple, le cas avec les contrats de plan État-régions, qui sont aujourd'hui à l'arrêt.
En ce sens, votre Rapporteur partage pleinement le souhait du Président de la République de faire de cette agence l'unique catalyseur des ingénieries publiques et territoriales.
L'Agence nationale pour la cohésion des territoires devra aussi faire oeuvre de simplification et de cohérence.
Il faut une impulsion nouvelle. La cohérence entre l'État, les départements et les régions est nécessaire, pour mutualiser et mobiliser les moyens. Mais l'action de l'agence ne se limitera pas aux zones rurales. Elle devra également prendre en considération les villes moyennes, en immense souffrance, dont la revitalisation des centres présente un enjeu, comme l'a souligné le Président de la République lors de son intervention devant le congrès de l'Association des maires de France.
Compte tenu de la répartition des pouvoirs législatifs et réglementaires, il n'a pas été possible de détailler dans la proposition de loi les modalités de gouvernance de l'agence. Mais nous pourrons en parler dans l'hémicycle.
Pour autant, des pistes peuvent être tracées : compte tenu de ses missions en milieu rural et en matière de cohésion des territoires, le préfet, représentant de l'État dans le département, et le président du département, en liaison avec celui de la région, pourraient être utilement associés, pour la gouvernance locale de l'agence. État, départements, régions : voilà le trio qui sera le catalyseur du nouveau dispositif et permettra que les résultats soient à la hauteur des enjeux.
Pour les questions de logement, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) devra être mobilisée – la compétence logement ne saurait être séparée des autres –, pour d'autres sujets, ce sera le commissariat général à l'égalité des territoires, avec ses missions d'accompagnement et sa technicité. Avant l'absorption, pensons à la mutualisation.
Sur le plan financier, il faudra mobiliser des moyens. La puissance publique devra faire preuve de créativité et d'innovation pour trouver des ressources nouvelles comme elle a su le faire pour l'ANRU en trouvant des moyens importants auprès de la Caisse des dépôts, ainsi que pour le Grand Paris, pour lequel une fiscalité complémentaire a été prévue.
Enfin, si l'on veut cette impulsion forte, il faudra une mobilisation de tous les acteurs locaux et un rattachement direct de l'Agence aux services du premier ministre serait un gage d'indépendance et un signal fort de l'importance que l'exécutif attache au sujet.
Cette agence des territoires doit être une chance pour notre pays. J'espère que nous pourrons porter ensemble sa création.