La question soulevée par cette proposition de loi nous intéresse tous, en particulier le groupe Nouvelle Gauche car, derrière la cohésion territoriale, il y a des hommes et des femmes, donc des enjeux de cohésion sociale. Mais, pour bien traiter cette question, il faut échapper aux clichés et en admettre la complexité, ainsi que mesurer la différence qui sépare parfois l'abandon du sentiment d'abandon.
Je me réjouis, monsieur le rapporteur, que vous ayez cité Christophe Guilluy, géographe que l'on connaît pour ses sympathies à gauche. Mais il est de plus en plus contesté, notamment parce qu'il fait peut-être partie de celles et ceux qui entretiennent un certain nombre de clichés, conduisant à une vision manichéenne de ce monde rural qui serait à l'agonie, dans une situation d'abandon total de la part de l'État et pour lequel nous devrions adopter un plan Marshall et, pourquoi pas, un « Airbus » de la ruralité, puisque l'expression est à la mode…
Bien entendu, sur le plan intellectuel, on pourrait construire un discours pour dire que les interconnexions territoriales sont beaucoup plus fortes en 2017 qu'elles ne l'étaient il y a vingt ans. C'est vrai. On pourrait montrer que le territoire s'est polarisé autour de grandes agglomérations, grâce à des transports interurbains performants, facilitant l'accès à la culture, à l'enseignement supérieur et à la recherche. Mais on pourrait aussi dresser la liste des communes où la dernière école a fermé, où le dernier bureau de poste a fermé, où la dernière industrie a fermé… C'est vrai aussi.
La réalité est donc peut-être un peu plus complexe que celle que vous nous avez exposée. À trop s'attarder à une analyse décliniste de cette France périphérique, on passe à côté de l'essentiel, à savoir que cette France est moins en train d'agoniser que de muter : nous sommes dans un système qui, depuis quelques années, évolue considérablement, même s'il y a bien une « hyper-ruralité », qui est en grande souffrance, mais ne représente qu'une partie infime du territoire – ce qui ne signifie pas que nous n'avons pas à la traiter.
Le sujet reste entier. Selon que l'on vive ici ou là sur le territoire français, peut-on accepter que l'on soit mieux soigné, mieux éduqué, mieux protégé ? Je ne le crois pas. À travers ce texte nous est, je crois, posée la question non de la cohésion territoriale, mais de la cohésion des politiques qui ont fini par introduire l'idée d'une France à plusieurs vitesses, qu'elle soit réelle ou supposée.
Même si la France périphérique ne se réduit pas à la ruralité, elle la recouvre tout de même beaucoup. La question rurale est longtemps restée indissociable de celle de l'agriculture. L'économie du monde rural n'est désormais plus agricole : elle représente à peu près 12 % des actifs dans ce secteur. L'emploi salarié y a beaucoup plus souffert qu'en milieu urbain de la crise.
Mais, si cette crise structurelle du monde rural est réelle, elle est aujourd'hui largement amortie par des solidarités fonctionnelles et redistributives qui sont mises en oeuvre par le monde urbain, qu'il ne faut pas oublier.
Je voudrais juste évoquer quelques données. Premièrement, sur les 3,8 millions d'actifs qui vivent dans le monde rural, 50 % vont travailler dans une aire urbaine. Deuxièmement, il apparaît désormais que les apports de pensions de retraite viennent sensiblement augmenter le nombre de bénéficiaires de revenus dans le monde rural. Ce n'est pas un sujet mineur : depuis dix ans, 400 000 retraités ont quitté une aire urbaine pour s'installer dans le monde rural.
Je suis en train de nuancer ainsi votre propos, non de le contredire en sa totalité. Mais nous avons le devoir de poser un regard objectif sur la complexité des mutations qui se déroulent sous nos yeux et qui sont prouvées par un rebond démographique que personne ne peut contester.
Pour terminer, j'indiquerai que les amendements que nous avions déposés en ce sens et qui n'ont pas été retenus seront retravaillés. Il y a un besoin d'ingénierie publique dans les territoires. Nous avons donc besoin de créer une agence qui soit dotée de moyens, non de créer un dispositif supplémentaire. Le Commissariat général à l'égalité des territoires, qui a sous sa tutelle l'ANRU, devrait avoir sous sa tutelle une agence de cohésion des territoires.