Intervention de Yves Marignac

Réunion du mardi 9 juillet 2019 à 18h35
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt :

Monsieur le président, merci pour l'introduction en forme de défi, car nous sommes ici pour engager une discussion. Les questions que vous posez sous une forme un peu ironique sont de vraies questions. En particulier, celle de l'utilité des scénarios et des analyses prospectives est extrêmement sérieuse, ces dernières ne visant pas, par définition, une description du réel mais de ce qu'il pourrait être. L'équilibre entre volontarisme et réalisme dans la description de ces trajectoires est une question essentielle.

Créée en 2001, l'association négaWatt fonctionne à partir d'un noyau dur d'environ vingt-cinq experts de terrain travaillant dans les différents secteurs de la transition énergétique : énergies renouvelables (EnR), biomasse, efficacité énergétique du bâtiment et des collectivités. Le fait que ce collectif travaille concrètement à la mise en œuvre de solutions de transition énergétique nous aide à nous ancrer dans le réel. Avec ces vingt-cinq personnes, 250 autres qui discutent de ces sujets au sein de l'association et ses 1 200 membres, négaWatt est bien installée dans le débat sur la transition énergétique. Elle œuvre à la proposition de solutions pour l'éclairer et la mettre en œuvre.

Notre approche répond à deux exigences qui, pour reprendre avec réalisme vos questionnements, sont essentielles.

La première vise à répondre aux urgences de long terme. Au regard de notre système énergétique, la situation actuelle n'est pas soutenable. Les objectifs de soutenabilité, qu'il s'agisse de la lutte contre le dérèglement climatique, de la protection de la biodiversité ou de la réduction de notre empreinte carbone sont des objectifs de long terme, parce qu'ils exigent des transformations qui nécessitent du temps, mais aussi des objectifs urgents, parce que ces transformations ne peuvent avoir lieu que si nous inscrivons dès aujourd'hui toutes nos décisions et nos actions dans cette direction. Il faut aller d'autant plus vite que, sur tous ces sujets, les impacts auxquels nous devons faire face obéissent à des logiques cumulatives, qu'il s'agisse des émissions de gaz à effet de serre, de la perte de stocks de biodiversité ou de la perte de stocks de matières non renouvelables.

La deuxième exigence est d'assurer une cohérence systémique. On traite bien de l'ensemble des impacts de l'ensemble du système énergétique et même au-delà. Par conséquent, la question du choix de la mobilisation de certaines ressources énergétiques plutôt que d'autres et de la manière dont on les transforme ou on les transporte pour répondre à différents usages doit être considérée dans sa complexité, dans l'ensemble de ses interactions et de ses impacts. La nécessaire transformation du système pour le rendre soutenable ne peut être maîtrisée qu'en saisissant toutes ces dimensions.

La réflexion que nous portons pour répondre à ces exigences est connue. C'est la démarche dite du triptyque négaWatt. Premièrement, travailler en priorité sur les services rendus par l'énergie, hiérarchiser, prioriser, dimensionner les services à la hauteur des vrais besoins, c'est-à-dire tout ce qui relève de la sobriété individuelle et collective. Deuxièmement, agir en remontant de la chaîne des services vers les ressources énergétiques, vers la performance et les rendements de tous les équipements afin de diminuer les pertes d'énergie. C'est la rénovation thermique en profondeur des bâtiments, l'efficacité de nos véhicules, de nos équipements électroménagers, etc. Troisièmement, substituer les ressources moins soutenables par des ressources plus soutenables. Nous insistons sur la gradation, parce qu'il n'y a pas de ressources intrinsèquement soutenables, toutes consomment des matières, du sol ou des commodités. Pour nous, le principal facteur de distinction entre les catégories de ressources moins soutenables et plus soutenables, c'est l'épuisement de stocks, ce qui est le cas des énergies fossiles et du nucléaire, même s'il est globalement décarboné. Nous distinguons les ressources qui épuisent des stocks des ressources qui s'appuient sur des flux, qui sont donc les énergies renouvelables.

Sur cette base, nous développons une analyse prospective en explorant la trajectoire sur laquelle peut se placer la France. En respectant de manière cohérente un équilibre entre le volontarisme de la démarche, le réalisme de la situation de départ et l'inertie avec laquelle les choses peuvent se faire, nous construisons des scénarios de long terme. Ces scénarios sont indispensables pour éclairer une vision à long terme et une trajectoire robuste, décrite pas par pas, capable, à partir de notre situation actuelle, d'atteindre une soutenabilité, de tracer un chemin concret. Sur cette base, il est possible de réfléchir à des politiques et à des mesures rendant cette trajectoire possible, avec la question sous-jacente de la transition juste et de l'acceptabilité sociale, c'est-à-dire de la bonne répartition dans la durée et entre les acteurs des efforts et des bénéfices.

Une fois posée la méthode, le scénario négaWatt produit une trajectoire visant 100 % d'énergie renouvelable pour répondre aux besoins français à l'horizon 2050. C'est aussi et surtout la première trajectoire de neutralité carbone à avoir été proposée pour la France à cet horizon. C'est donc la première trajectoire proposant un respect par la France de son engagement dans l'accord de Paris.

Cette neutralité carbone procède de la combinaison de différents leviers tous importants à nos yeux.

Le premier consiste en l'application systématique de la sobriété d'usage, non seulement de l'énergie mais aussi de la consommation alimentaire, des biens produits par l'industrie, en lien avec d'autres émissions de gaz à effet de serre que le CO2, de l'efficacité des bâtiments par la rénovation thermique et de l'action sur l'ensemble des performances de nos équipements.

Elle requiert parallèlement un développement progressif des énergies renouvelables reposant sur les énergies renouvelables électriques, les énergies renouvelables issues de la biomasse et sur une réflexion complète et systémique sur l'affectation de différentes ressources aux différents usages. Cela implique par exemple le développement des pompes à chaleur, donc d'un usage performant de l'électricité pour chauffer les bâtiments. Cela signifie l'électrification de la mobilité, à l'exclusion du fret ou des grands déplacements interurbains, pour lesquels un recours au gaz d'origine renouvelable doit être privilégié. Globalement, le développement à parts égales des renouvelables électriques et des renouvelables issus de la biomasse permet, moyennant une multiplication par 3,5 de la production renouvelable d'aujourd'hui, objectif ambitieux mais pas démesuré, de fournir à l'horizon 2050 pratiquement 100 % des besoins en énergie.

Les émissions de CO2 de l'énergie auront quasiment disparu, les émissions d'autres gaz à effet de serre dans les autres secteurs seront divisées par deux. Les changements de pratique de gestion des sols agricoles et forestiers reconstituent partiellement la capacité de nos sols à stocker naturellement du carbone. Cet ensemble aboutit à la neutralité.

Parallèlement, nous avons regardé d'autres impacts du système énergétique. La pollution atmosphérique est divisée par deux dans les principales zones d'exposition. L'utilisation de matériaux d'origine minérale est également divisée par deux.

Nous avons regardé le contenu économique de cette trajectoire. J'évoquais la transition juste, et une telle trajectoire représente pour la collectivité une opportunité pour s'y engager. Globalement, le scénario negaWatt, mais c'est aussi le cas pour d'autres trajectoires de même type, implique à court terme un léger surcroît d'investissement par rapport aux scénarios tendanciels dont il serait faux de croire qu'ils ne représentent aucun coût, mais celui-ci est un investissement pour l'avenir. S'il représente environ 5 milliards d'euros de dépense supplémentaire dans les premières années, on atteint rapidement et durablement, jusqu'à 2050, un bénéfice de plus de 20 milliards d'euros par an par rapport à un scénario tendanciel. Ce bénéfice se traduit en création de valeurs dans les territoires, en défense du pouvoir d'achat des ménages, en compétitivité des entreprises et en création nette de plusieurs centaines de milliers d'emplois. Nous n'avons aucun doute quant au caractère bénéfique de cette trajectoire.

Je ferai un focus sur les renouvelables électriques. Nous appelons à sortir des raisonnements que l'on entend beaucoup, que certains experts ont tenu devant cette commission d'enquête, qui consiste à dire qu'investir dans les EnR électriques pour remplacer un parc déjà décarboné n'a aucun sens. Ce qui n'a aucun sens, c'est de raisonner comme si la situation était figée. Ce qui a du sens, c'est de se projeter dans la transformation du système à l'horizon 2050, donc de décider si l'on continue à recourir massivement ou partiellement au nucléaire ou si l'on se dirige vers 100 % d'énergies renouvelables. Le choix n'est pas entre ne pas investir parce qu'on a un système décarboné ou investir pour transformer la production d'électricité, mais de choisir dans quoi réinvestir puisque, quoi qu'il arrive, le parc nucléaire actuel ne sera plus présent dans le système en 2050.

La grande nouveauté des dix à quinze dernières années, et le phénomène s'accélère tous les jours, c'est que le passage vers 100 % d'électricité renouvelable qui pouvait être considéré comme une utopie ou une évolution marginale ne représentant pas une menace pour le nucléaire comme pilier du système énergétique français, est aujourd'hui techniquement et économiquement réalisable. Cela change la nature du débat en rendant possible la compétitivité des énergies renouvelables, la possibilité de solutions de gestion à long terme de leur variabilité, y compris au-delà des niveaux de 60 ou 70 %, considérés par Réseau de transport d'électricité (RTE) comme les seuils critiques. Un système électrique où la charge passerait du pilotage de grosses capacités centralisées, comme c'est le cas aujourd'hui, à un pilotage par la flexibilité de la demande et des solutions de stockage, est devenu crédible. Il représente à long terme un investissement moindre que la prolongation du parc à hauteur de 100 milliards d'euros pour une dizaine d'années, voire un peu plus, puis le réinvestissement massif dans un nouveau système nucléaire beaucoup plus coûteux que le système actuel et qu'un système visant les 100 % d'électricité renouvelable.

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