Intervention de Jean-Pierre Pervès

Réunion du mardi 9 juillet 2019 à 18h35
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat :

. Monsieur le président, Madame la rapporteure, nous cherchons plutôt à regarder ce qui est en train de se passer, à estimer si nous sommes dans la bonne voie, sachant qu'en matière climatique, il est urgent de travailler dans les dix à quinze ans qui viennent, faute de quoi, nous serions en grande difficulté dans une vingtaine d'années.

Le bilan est pour le moins décevant. Sur les quatre à cinq dernières années, les émissions de CO2 ont augmenté, les consommations de combustibles fossiles et la consommation finale d'énergie ont augmenté. On n'est pas du tout en passe d'atteindre les objectifs de baisse de 10 à 20 % fixés pour 2023. De plus, dans les deux domaines essentiels que sont le transport et le résidentiel, on constate également une croissance, alors qu'ils représentent les deux tiers de nos émissions de gaz carbonique.

La loi de transition énergétique pour une croissance verte (LTECV) est une réussite en matière de développement des énergies renouvelables électriques, dont l'objectif fixé est pratiquement atteint. Les gagnants sont la biomasse solide, largement nationale, très intéressante, et deux technologies à forte valeur ajoutée que sont l'éolien et le solaire, en grande partie importées. Pour le reste, les résultats sont insuffisants, tant pour les constructions neuves que pour les rénovations et les biocarburants.

Pour progresser, il convient de s'appuyer sur un moyen de jugement. Une étude de France Stratégie rappelle qu'en 2008, la commission Quinet avait fixé la valeur tutélaire du carbone de nature à atteindre la neutralité carbone à 108 euros la tonne en 2030, tandis que le gouvernement avait fixé une taxe carbone à 100 euros la tonne pour le même horizon. La commission Quinet, estimant qu'il avait considérablement sous-estimé la difficulté de la tâche, propose aujourd'hui de fixer à 250 euros la tonne d'équivalent CO2, ajoutant que si l'on ne va pas assez vite, ce prix atteindra 500 euros à 2040 et 800 euros en 2050, ce qui montre l'ampleur de la tâche.

Il est connu qu'un moins gros avantage a été consenti aux EnR thermiques qu'aux EnR électriques, qui bénéficient de pratiquement huit fois plus de subventions et ont apporté deux fois moins d'énergie et évité deux fois moins de CO2.

Au niveau européen, on fixe des objectifs ambitieux dans tous les domaines, mais on n'a pas le sentiment qu'on a fait le point entre ce qui coûte cher d'un côté ou de l'autre pour déterminer ce sur quoi il faut insister. C'est pourquoi nous disons qu'il ne s'agit pas d'analyse mais de wishful thinking. En outre, il est surprenant que l'on ne parle pas du rôle que peut jouer le nucléaire, qui représente 24 % de l'électricité en Europe.

Pour ce qui est de l'habitat, une enquête de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) sur les travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles (TREMI) est révélatrice. Elle montre que sur cinq millions de rénovations, seuls 5 % ont été un succès en faisant gagner deux classes énergétiques. Le coût moyen de chaque opération est de 26 000 euros. Pour la moitié des maisons françaises qui consomment pratiquement cinq fois plus que les bâtiments bas carbone (BBC) d'aujourd'hui, il faudrait dépenser 390 milliards d'euros. Est-ce possible pour les particuliers ? Le calcul de la quantité de CO2 économisée fait apparaître une trentaine de millions de tonnes sur soixante-dix, soit 650 euros la tonne. Cela confirme que progresser essentiellement par les économies d'énergie est hors de prix et est aujourd'hui inaccessible. Il va falloir progresser plus souplement. Remplacer un chauffage au fioul par une pompe à chaleur coûte seulement 13 000 euros, contre les 26 000 euros précédemment évoqués, et l'économie de CO2 est presque deux fois plus importante, soit une efficacité quatre fois supérieure. C'est pourquoi nous disons que la solution n'est pas de réduire la production d'électricité, comme le propose l'ADEME, mais de faire appel à l'électricité en substitution, en particulier pour les bâtiments.

Il est indispensable de substituer une électricité non carbonée au fioul et au gaz, de promouvoir les actions d'efficacité énergétique les plus rentables, comme l'isolation des plafonds, et de développer une gestion souple.

À cela s'ajoute une réglementation thermique pour le bâtiment, la RT 2012, qui va dans le mauvais sens, puisqu'elle avantage le chauffage au gaz, ne respecte pas les règles européennes et pénalise lourdement les 10 millions de logements chauffés à l'électricité en multipliant leur consommation annuelle par le facteur 2,58. Je rappelle que le gouvernement envisage d'appliquer un malus, ce qui est de nature à créer une nouvelle affaire de gilets jaunes.

Nous sommes favorables au développement du transport électrique, particulièrement adapté à France, en remplacement du fioul par une électricité décarbonée.

J'ai entendu le patron de Peugeot regretter d'avoir été très peu consulté. L'engagement en faveur du tout électrique pour 2040 pèse très lourd, parce que nous avons de grandes entreprises exportatrices, parce que 80 % du monde n'aura pas d'électricité décarbonée et parce que les voitures thermiques vont rester nombreuses pour beaucoup plus que vingt ans. Il faudrait réfléchir au devenir de nos industriels.

Nous constatons aujourd'hui l'échec des biocarburants. Quant à l'hydrogène, ce n'est sûrement pas pour les dix ans quoi viennent, mais peut-être pour plus tard.

Dans un rapport publié en mars dernier, l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) estimait l'investissement total pour dix millions de voitures électrifiées entre 41 et 168 milliards d'euros, incluant les batteries et l'hydrogène des piles à combustible. Un tel écart révèle le niveau d'incertitude. En supposant qu'en 2040, la moitié du parc soit électrifiée et que l'autre moitié reste à électrifier, l'investissement est de l'ordre de 30 à 50 milliards d'euros pour un gain de CO2 d'environ 40 millions de tonnes. Le coût de la tonne de CO2 économisée ressort alors plutôt de 100 à 200 euros, soit un peu moins qu'indiqué par la commission Quinet. De ce côté, il y a donc un gain à espérer.

Le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévoit d'amplifier l'appel aux énergies renouvelables thermiques, ce que nous préconisions depuis dix ans mais qui n'était pas fait. Je note tout de même une singularité. On voit apparaître relativement peu de progrès d'ici 2023, puis une accélération phénoménale. Est-ce réaliste ? Je n'y crois pas. Des croissances de 500 % pour la chaleur fatale et le biogaz sont-elles réalistes ? Je suis loin d'en être sûr en termes de ressources. Je regrette que le peu de progression envisagé des pompes à chaleur et du solaire thermique, qui sont réellement sources de progrès en matière de carbone.

Concernant l'électricité, je fais ressortir un point qu'on ne souligne pas souvent. En Allemagne, la puissance électrique a connu une croissance formidable, passant de 115 à 206 GW, alors que la puissance pilotable est restée au même niveau. Ce n'est pas un investissement, mais en grande partie un surinvestissement. Quand on parle de compétitivité, on ne tient pas compte du fait que c'est un surinvestissement. Selon le CGDD, le service allemand de l'économie, de l'évaluation et de l'intégration du développement durable, le prix de l'électricité a augmenté de 70 % pour les familles et de 50 % pour l'industrie, en 2019. Un GW d'électricité nucléaire produit 6,2 fois plus qu'un GW d'éolien ou de solaire. En Allemagne, les émissions de CO2 sont quasi stables depuis huit ans. On sent donc qu'il y a un vrai problème. Voulons-nous aller dans la même direction ?

En France, les coûts de l'électricité pour la famille croissent clairement, de 24 % ou 28 % en euros constants, suivant le type de contrat, depuis une douzaine d'années, essentiellement à cause de la « contribution » au service public de l'électricité (CSPE). Je note cette grande singularité que la CSPE, qui était censée financer l'énergie renouvelable, est devenue un « impôt » pur versé directement au budget de l'État, soumis, de plus, à la TVA. La CSPE avec sa TVA représente la moitié du coût de production de l'électricité en France.

Selon des documents publiés par la commission de régulation de l'énergie (CRE) en 2017, en dix ans, le prix d'achat de l'éolien par EDF a augmenté régulièrement. L'électricité photovoltaïque reste cinq fois plus chère que le prix de marché. La biomasse et le biogaz sont eux-mêmes deux trois fois plus chers que le prix du marché. Les coûts restent très élevés, même si l'on attend de voir apparaître des appels d'offres plus favorables, sans tenir compte des externalités, c'est-à-dire du fait que c'est une énergie non contrôlable.

Alors qu'il propose un gros effort pour l'énergie renouvelable, le Gouvernement demande de consentir un effort encore plus important pour le renouvelable électrique, avec une croissance très forte : doublement pour l'éolien pendant dix ans, doublement pour le solaire pendant cinq ans, puis quadruplement pendant cinq ans. Est-ce bien raisonnable ? Comme les Allemands, notre volume total d'EnR va presque doubler, tandis que notre puissance contrôlable diminuera régulièrement jusqu'à une vingtaine de GW à l'horizon 2035. Donc, nous nous fragilisons.

Pour le comprendre, j'ai repris un transparent présenté par François-Marie Bréon, montrant le caractère aléatoire de la production de l'éolien et du solaire, sans lien avec la consommation. La variabilité est très grande. J'ai multiplié les productions éoliennes et solaires par le ratio des puissances, pour montrer ce que cela donnera en 2028 si l'on fait ce qui est prévu. Il y a des moments où l'on aura besoin d'une puissance pilotable quasiment identique à celle d'aujourd'hui, ce qui signifie que les EnR ne jouent pas leur rôle de remplacement. En revanche, on aura par moments de fortes singularités, avec des variations de puissance considérables qu'il faudra gérer avec d'énormes machines thermiques. L'été, c'est encore plus flagrant. Avec 40 GW d'énergie solaire, il y aurait des jours où cela pourrait suffire à la production totale. Six heures plus tôt, j'aurai eu la pleine puissance pilotable, que je devrai arrêter, avec une évolution de l'ordre de six à huit centrales à l'heure en régime de fonctionnement. En tant qu'ingénieur, tout cela ne me paraît pas très bien pensé, sachant qu'on n'aura pas de stockage à cet horizon-là. Donc, cela ne fonctionnera pas.

Est-ce qu'on va pouvoir compter sur les voisins, comme l'ont dit le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de la transition écologique ? On dit toujours qu'il y a du vent et du soleil partout. Ce n'est pas vrai. Un transparent montre la réalité, en Allemagne, Angleterre et Espagne, nos trois grands voisins. En hiver comme en été, nous avons du vent à peu près tous en même temps. Il n'y a pas de foisonnement. On va surdimensionner les réseaux pour relativement peu d'échanges. On parle toujours de puissance transférée mais l'important, c'est l'énergie transférée. Du côté du solaire, il y a une heure à une heure et demie d'écart entre les pays, de sorte que, là non plus, il n'y aura pas de foisonnement.

Pour conclure, j'ai demandé à un de mes collègues, Henri Prévot, de comparer une solution extrême dans laquelle on ne ferait plus d'éolien et de solaire, avec une solution où on fait exactement ce qui est prévu dans la PPE pour aller à 85 GW d'éolien et de solaire. On constate qu'on économise très peu de CO2, mais on le sait depuis longtemps, et que le coût du CO2 économisé est de l'ordre de 700 à 1 000 euros la tonne ! Même en se trompant d'un facteur 2, cela reste monstrueux. Pourquoi retenir une telle solution alors que nous avons des réacteurs qui peuvent fonctionner beaucoup plus longtemps et que nous avons dix ans pour décider du futur ?

Dans le même temps, on va voir s'écrouler la puissance garantie, qui passera de 87 à 75 MW, alors qu'on nous annonce moins de GW d'origine nucléaire en Europe et 35 GW de moins issus du charbon et du lignite. L'Europe est en train de se fragiliser, l'Allemagne va devenir importatrice. Est-il raisonnable de continuer à compter sur eux ? La valeur de l'action pour le climat est très importante. Je suggère qu'on travaille dans cette direction.

Mes deux derniers transparents font état de recommandations. Pour nous, les bons paramètres sont : le coût de la tonne de CO2 évitée sur vingt ans ; le développement des usages de l'électricité – je ne vois pas l'intérêt de la réduire – ; des EnR électriques qui accompagnent le développement et non se substituent à des énergies déjà décarbonées ; privilégier les EnR thermiques. On en a certainement peu parlé dans votre commission d'enquête, mais la réglementation thermique appliquée aux bâtiments est totalement inadéquate. Elle doit être reprise et mise en conformité avec la réglementation européenne qui n'est pas respectée.

Il y a actuellement en Europe un double marché, dont l'un est protégé et l'autre assume toutes les responsabilités. Cela ne peut pas continuer, on va vers une catastrophe. De plus, il est insensé d'augmenter de 6 % le prix de l'électricité pour que des marchands puissent faire plus de bénéfice.

Les transports et les bâtiments sont des secteurs critiques. La France est forte de son mix électrique, c'est une folie de vouloir le détruire. La baisse du nucléaire contrainte par la loi est un contresens climatique. Il est regrettable que de nombreuses instances compétentes, l'OPECST, les académies, l'institut Montaigne, soient moins sollicitées que les grandes ONG qui sont relativement totalisantes et très internationales.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.