. On va introduire de la confusion si on discute à la fois coûts et prix.
Je reviendrai sur la différence entre regarder les quinze prochaines années et avoir une vision prospective. Pour tout vous dire, je suis gêné par l'attitude de l'association Sauvons le climat, sur ce point. Aujourd'hui, elle a un scénario à long terme, le scénario Négatep qui, à ma connaissance, n'est pas un scénario de neutralité carbone. C'est un scénario facteur 4 sur le CO2 de l'énergie, donc un scénario qui trace une trajectoire très insuffisante par rapport à notre engagement et à l'objectif de neutralité carbone. Si on veut parler de programmation et de priorité pour les quinze prochaines années, il ne faut pas du tout les penser en référence aux choses les plus accessibles aujourd'hui. On se trompe car on risque de tuer des gisements qui sont indispensables à exploiter pour atteindre les objectifs à long terme.
La question de la rénovation thermique des bâtiments en est le parfait exemple. Renoncer à rénover en profondeur nos bâtiments, si on n'a pas de solution pour décarboner autrement et totalement les bâtiments, c'est se tirer une balle dans le pied. Je le répète, pour nous, cette urgence du long terme guide les priorités et nous amène à dire aujourd'hui quelles sont les priorités d'action, mais ce n'est pas pour cela que nous ne faisons pas de programmation et ce n'est pas pour cela que nous ne disons pas quelles sont les priorités aujourd'hui en termes de politiques et mesures.
Je ne voudrais pas que l'on croie que la différence, c'est que nous ne nous intéresserions qu'au long terme, alors que d'autres, plus pragmatiques, regarderaient le court terme. La différence, c'est que nous inscrivons la programmation de court et de moyen terme dans une trajectoire cohérente pour l'ensemble du système, pour l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050, qui est celui de l'atteinte de cet objectif. Cela n'empêche pas que nous soyons d'accord sur l'intérêt de la pompe à chaleur.
En disant que le coût de l'EPR était de 70 euros le MWh, j'ai été extrêmement optimiste. On attend l'actualisation par EDF de l'impact du problème des huit soudures dans les espaces inter-enceintes, mais on estime d'ores et déjà le coût de production de l'EPR en construction à Flamanville très supérieur 100 euros le MW. Le coût de production de la centrale nucléaire d'Hinkley Point, dont le chantier a pourtant démarré beaucoup plus tard, est d'ores et déjà envisagé à un niveau supérieur à celui-là.
Vous demandiez de vous ancrer dans le réel, le concret et dans les constats. Or l'histoire du parc nucléaire français montre une courbe d'apprentissage négative. Nous l'avons documenté sur la base de chiffres que nous avions obtenus d'EDF, à l'époque, où j'ai eu la chance de travailler sur l'analyse du parc nucléaire actuel pour le rapport Charpin-Dessus-Pellat au Premier ministre Lionel Jospin. Les chiffres des coûts de construction de nos réacteurs montrent une courbe d'apprentissage négative. On fait d'ailleurs le même constat aux États-Unis. Donc, l'hypothèse de 70 euros le MW est extrêmement optimiste au regard de l'expérience historique.
Par ailleurs, il n'est pas trop optimiste de considérer que le coût des meilleures énergies renouvelables va se stabiliser à 50 euros le MWh. Ce serait supposer que la courbe d'apprentissage extrêmement rapide qu'elles ont connu ces dix dernières années s'arrêterait brutalement, alors qu'il n'y a aucune raison pour cela. Au contraire, il est très probable que dans les prochaines années, l'écart entre le coût des énergies renouvelables et le coût du nucléaire va s'amplifier au profit des renouvelables. Il s'agit du coût de production, le « coût complet » des nouveaux moyens de production. Il faut évidemment tenir compte système. J'ai répondu sur l'analyse du coût du système énergétique. Si on dirige la focale sur le système électrique, il n'y a pas de différence fondamentale dans l'évolution du coût du système électrique dans une trajectoire vers le 100 % renouvelables telle que nous l'avons chiffrée, y compris en y intégrant des solutions qui, à terme, deviennent essentielles pour tenir compte de l'équilibre du système, après qu'on a épuisé les possibilités de foisonnement des différentes énergies.
Tout à l'heure, on nous a montré un foisonnement ne portant que sur l'éolien. De grâce ! regardons quand même des systèmes renouvelables dans lesquels on joue sur la complémentarité des filières de l'éolien, du photovoltaïque, de l'hydraulique, dont nous avons la chance d'être pourvus en France, avec de la biomasse pilotable. Combinons tous ces éléments. Ajoutons-y du pilotage de la demande, et on fera le lien entre les coûts et les prix. Vous évoquiez des prix de marché négatifs pour l'éolien. Il y a aujourd'hui un vrai problème de design de marché. Le nucléaire et surtout les renouvelables que l'on développe aujourd'hui ont un coût marginal nul. Le développement de grandes capacités installées de ces filières rend très difficile la régulation par des prix de marché qui ont plutôt tendance à s'ajuster sur le coût variable de consommation de combustibles dans les centrales thermiques. Mais les solutions de pilotage de la demande que j'évoque visent à faire coïncider la demande pour les usages pilotables non pas avec les moments de creux de la demande, comme c'est le cas aujourd'hui avec les chauffe-eau mis en fonctionnement la nuit, mais avec les pics de productions renouvelables. Des études montrent que ce faisant, on valorise les capacités renouvelables, on réalise des économies sur l'ensemble du système, notamment au regard du back up, et on régule favorablement le marché par des situations où ces services peuvent être rémunérés à l'usager.
Au-delà de la question des coûts, il faut repenser l'ensemble des mécanismes de régulation du marché. En intégrant le pilotage de la demande et même en intégrant des solutions de stockage, notamment ce sur quoi négaWatt insiste depuis quelque temps, à savoir le Power to Gas, on a devant nous un système qui coûterait moins cher que le redéveloppement d'installations nucléaires.