Intervention de Laurence Raineau

Réunion du mercredi 17 juillet 2019 à 9h05
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Laurence Raineau, Maître de conférences au département de sociologie de l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheuse au centre d'études des techniques, des connaissances et des pratiques (CETCOPRA) :

. Nous vous remercions de nous donner l'occasion de présenter quelques résultats de nos recherches. Nos approches sont complémentaires : Laure et moi travaillons dans le même laboratoire, où nous étudions notamment la socio-anthropologie des techniques ; nous nous intéressons toutes deux à la transition écologique et au développement des énergies renouvelables, mais selon des entrées différentes. Je parlerai de l'implantation dans le territoire de grandes infrastructures pour le réseau centralisé, à laquelle vous avez fait allusion dans votre présentation, tandis que Laure traitera plus particulièrement du développement local et décentralisé des énergies renouvelables.

J'évoquerai donc l'implantation dans le territoire de grandes infrastructures et les oppositions qu'elles rencontrent. Je m'arrêterai sur trois points de nature à souligner le caractère passionnel du débat entre pro et anti-développement d'énergies renouvelables pour le grand réseau, tension conduisant dans certains pays à des actes de violence et même, aux Pays-Bas à qualifier les opposants de « terroristes ». Il me semble qu'au-delà d'un problème de Nimby, ou d'acceptabilité sociale, comme vous le disiez, on observe un questionnement et l'affrontement de conceptions différentes de la société, du pouvoir, voire de la démocratie.

Le premier point a trait à un sentiment d'injustice et d'inégalité, à partir de l'idée qu'on fait supporter à certains territoires le coût de la transition énergétique et du développement des énergies renouvelables, alors qu'ils n'en sont généralement pas les plus gros consommateurs. Certains ont le sentiment d'une opposition entre campagne et ville, entre milieu urbain et milieu rural, et qu'ils sont considérés comme des citoyens de seconde zone, puisque c'est leur paysage qui subit les effets des décisions. Certains pensent même qu'on leur vole leur territoire et leur horizon avec de grandes infrastructures dont ils ne perçoivent pas l'intérêt puisque la production est diffuse et sans usage local. L'idée de mépris et même de mépris du peuple est souvent exprimée. Cette opposition, que j'ai constatée depuis longtemps, fait écho à la crise des gilets jaunes apparue cette année.

De leur côté, les développeurs, les acteurs et les exploitants, tel EDF, des centrales EnR défendent parfois sincèrement la valeur du grand réseau qui est aussi, vous l'avez rappelé, porteuse d'égalité. Développer les énergies renouvelables dans un réseau, c'est aussi continuer d'asseoir cette valeur qu'ils défendent, à savoir l'égalité d'accès et de coût à l'énergie, cette ressource de première nécessité.

Deuxième point : les opposants se demandent pourquoi toucher à leur paysage, développer de nouveaux parcs éoliens ou de nouvelles centrales d'énergies renouvelables, alors que nous sommes déjà en surproduction. Ils ne comprennent pas le sens de ces projets et ne sont pas sensibles à la stratégie à long terme dans laquelle ils s'inscrivent. Cette contradiction me donne l'occasion d'évoquer aussi l'idée que le développement des énergies renouvelables dans le réseau centralisé ne concourt que ponctuellement à la transition énergétique. Certes, la substitution de telles centrales à des centrales à énergies fossiles ou nucléaires entraîne une réduction actuelle ou future de CO2, mais, au-delà, elle n'induit ni dynamique ni sens au niveau local. Au niveau central, on mesure d'ailleurs l'efficacité des énergies renouvelables au fait qu'elles ne demandent pas d'adaptation des usagers et n'est pas ressentie par eux dans leurs usages quotidiens. Ils n'en voient donc que l'impact dans leur territoire sans comprendre en quoi elles participent d'un changement général dans lequel ils pourront peut-être être acteurs. Je parlais de contradiction car le réseau est conçu pour les énergies fossiles et pour fournir de façon fluide et presque abstraite de l'énergie aux usagers, dans une logique de toujours plus d'énergie. Les promoteurs ou les exploitants du réseau défendent l'idée que plus d'énergie, c'est mieux, tandis que la transition énergétique tend vers la réduction de la consommation d'énergie.

Le troisième argument avancé par les opposants, c'est que ces sources d'énergie ne sont pas adaptées au réseau et au système. Les éoliennes ne tournent qu'un tiers du temps. L'irrégularité et l'intermittence des énergies de flux, principalement le vent et le soleil, sont mises en avant. Leur rendement énergétique leur semble très faible en comparaison de l'impact qu'ils ont l'impression de subir. Le sens ne leur apparaît pas. Ils estiment qu'en raison de leur intermittence et de leur irrégularité, les énergies renouvelables ne sont pas adaptées au grand réseau, conçu avec et pour les énergies fossiles, lesquelles sont stockables et permettent un contrôle des flux et une production à la demande. En revanche, les énergies renouvelables obligent à réfléchir aux modalités de stockage, non pas de la source d'énergie puisqu'on ne peut pas capturer le vent ni le soleil, mais de l'électricité produite.

Au lieu de considérer l'inadaptation des énergies renouvelables au réseau, ne peut-on s'interroger sur l'inadaptation du réseau aux énergies renouvelables, en particulier celles de flux ? Il me semble important de réfléchir aux atouts et aux faiblesses du grand réseau dans le projet de développement des énergies renouvelables. Il me semble nécessaire de repenser la place et le rôle du réseau pour leur donner sens dans la perspective de la transition énergétique. Ne faudrait-il par relâcher la pression sur le réseau et développer les énergies renouvelables dans une logique globale ? Ce réseau est nécessaire. Il ne s'agit pas de condamner le développement de grands parcs éoliens, de parcs solaires ou d'autres formes d'énergie renouvelable pour le réseau, mais nous avons besoin de la fluidité d'accès et de cette énergie à disposition pour des infrastructures telles que les hôpitaux ou pour l'accès à l'eau potable. Mais, dans ce projet de développement des énergies renouvelables, ce réseau doit être complété, chaque fois que c'est possible, par d'autres réseaux, d'autres formes d'accès à l'énergie, pas exclusivement électriques. Sans repenser la place du réseau centralisé à partir d'une réflexion sur ses atouts et faiblesses, le développement des EnR risque de rester incompris, de ne pas prendre sens et de ne pas s'inscrire dans la dynamique plus générale de la transition énergétique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.