Intervention de Laure Dobigny

Réunion du mercredi 17 juillet 2019 à 9h05
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Laure Dobigny, docteure en sociologie, collaboratrice de recherche au CETCOPRA :

. Je me suis intéressée au développement décentralisé et local des énergies renouvelables à l'échelle de communes et de communautés de communes en France et en Europe, principalement en Allemagne et en Autriche. J'aborderai d'abord la question des leviers de l'acceptabilité des projets d'énergies renouvelables locaux, puis celle des freins, avant de souligner le rôle du système technique sur les consommations d'énergie finale.

L'acceptabilité des installations d'énergies renouvelables dépend de leur sens social, c'est-à-dire de leurs implications considérées comme positives ou non par les habitants. Les implications positives sont principalement énergétiques, économiques et symboliques.

Elles sont énergétiques, d'abord, puisque développer des installations d'énergies renouvelables pour une consommation locale de l'énergie produite est un élément clé de leur acceptabilité et de leur appropriation. Si l'énergie produite est directement consommée par les habitants, les installations d'EnR sont majoritairement plébiscitées car cette énergie est souvent moins chère, écologique et elle dynamise l'économie locale. C'est lorsque l'énergie produite part dans le réseau pour on ne sait qui et on ne sait quoi que les oppositions émergent, qu'il s'agisse des grandes installations centralisées, comme l'a souligné ma collègue, ou de petites installations locales raccordées au réseau mais dont on ne voit pas bien à qui elles profitent, sinon économiquement aux porteurs de projets. On peut penser à la multiplication actuelle des oppositions aux projets locaux de méthaniseurs, qui sont pourtant de petites unités portées par quelques agriculteurs.

Par conséquent, l'acceptabilité sociale ne dépend pas seulement de la taille des installations d'énergies renouvelables ou des porteurs de projet, mais bien du sens social que revêtent localement ces installations. Ce sens peut être économique. En effet, les installations d'énergies renouvelables ont un impact positif sur l'économie locale, puisque les gains de l'énergie bénéficient aux acteurs locaux – municipalités, citoyens, agriculteurs ou PME – et sont réinjectés dans l'économie locale. Ces projets permettent souvent la création ou le maintien d'emplois. Les agriculteurs ont un rôle central à jouer dans la transition énergétique des territoires ruraux ou semi-ruraux.

Mais, pour que la dimension économique soit perçue de manière positive localement, le projet doit bénéficier au territoire, au plus grand nombre, c'est-à-dire être soit multi-acteur, soit municipal et public, car, s'il ne bénéficie qu'à une seule catégorie d'acteurs, il est bien davantage susceptible de provoquer des oppositions.

Un troisième facteur d'acceptabilité à ne pas sous-estimer est la dimension symbolique des installations, qui peut être positive ou négative et, dans ce dernier cas, constituer un frein. Dans une commune des Côtes-d'Armor que j'ai étudiée, avait été installé un parc éolien pour des investisseurs de fonds de pension, sans la moindre dimension locale ou citoyenne. Pour autant, il a été très bien accueilli par les habitants, car c'était un des premiers parcs éoliens du département et il représentait l'innovation, la modernité, dans un territoire pauvre, perçu comme défavorisé. Ce parc donnait de ce territoire une image positive dont il manquait cruellement. Il a ouvert la voie à la création d'un second parc éolien, citoyen cette fois, toujours sans la moindre opposition.

Que ce soit par leur caractère innovant ou par la reconnaissance du territoire dans la médiatisation d'un projet d'énergie renouvelable, on voit se modifier l'image de la commune et, par conséquent, celle que les habitants ont d'eux-mêmes. Le sens social des installations d'énergies renouvelable est essentiel pour leur acceptabilité et leur appropriation sociale et locale.

Quant aux freins, le premier est la segmentation des acteurs et des projets d'énergies renouvelables en général en France. Les municipalités mettent en place des petits réseaux de chaleur qui raccordent quelques bâtiments publics, les agriculteurs réalisent des installations agricoles de méthaniseurs ou d'huileries, les citoyens créent des parcs citoyens éoliens ou photovoltaïques, mais il n'y a pas de coopération, pas de projets collectifs issus d'une vision partagée de la transition énergétique du territoire. Compte tenu de cette segmentation, on observe une défiance croissante de la population à l'égard du monde agricole, particulièrement perceptible vis-à-vis des projets de méthaniseurs locaux, et une défiance du monde agricole à l'égard des partenariats mixtes, qu'ils soient public-privé ou multi-acteurs. Ce n'est pas du tout le cas en Allemagne ou en Autriche, où des projets impliquant tous les acteurs – municipalités, citoyens, PME, agriculteurs – sont réellement la clé du succès.

Le deuxième grand frein que l'on observe en France est l'absence de sens de la production d'énergie pour la population lorsqu'elle n'est pas envisagée en réponse aux consommations locales. Cette absence est intimement liée à la segmentation des projets d'énergie renouvelable. Le fait que la production d'énergie fasse sens localement est cependant central si l'on souhaite voir diminuer les consommations, ce qui reste prioritaire avant même la production d'énergie. Or, comme l'a rappelé ma collègue, sur le grand réseau centralisé, les externalités de l'énergie sont cachées, notamment dans les murs : on appuie sur l'interrupteur et cela fonctionne. C'est la fée électricité. Cette abstraction totale de l'énergie ne permet pas, même avec la meilleure volonté, d'appréhender cette énergie dans le quotidien, donc sa consommation.

Précisément, le changement de technique que constitue l'usage d'énergies renouvelables à l'échelle locale – et la question d'échelle est fondamentale – permet cette conscience de la mise en œuvre de l'énergie dans le quotidien par le dévoilement du système de production d'énergie, mais aussi la compréhension de ses contraintes, de ses difficultés. On comprend qu'il est difficile de produire un kilowattheure et qu'il est très rapide d'en consommer un. Ce sens devient apparent : produire dévoile. De ce fait, on observe une modification des représentations de l'énergie, et des usages plus sobres.

Le système technique a un impact sur les représentations de l'énergie et sur les consommations. C'est la raison pour laquelle le raccordement d'énergies renouvelables au réseau, de manière directe, par revente totale et rachat, ou indirecte, par l'autoconsommation, n'entraîne pas les mêmes représentations et les mêmes usages de l'énergie. On ne voit pas les mêmes pratiques pour des installations techniques pourtant similaires. Ce n'est pas qu'une question de changement de compteur, cela change tout pour les utilisateurs.

Nous souhaitons souligner que les choix techniques jouent donc un rôle non négligeable dans les consommations finales d'énergie. Choisir une technique plutôt qu'une autre n'a pas les mêmes implications sociales, symboliques et politiques. Il ressort de nos travaux que le rôle du système dans le développement des énergies renouvelables ne doit pas être sous-estimé. On dit qu'il y a une abstraction de l'énergie sur le grand réseau centralisé. À l'échelle locale, dans la mesure où il y a une réelle appropriation de ces installations, c'est-à-dire quand la production d'énergie fait sens pour les consommateurs locaux, le développement d'énergies renouvelables permet d'envisager une modification des représentations tendant à des pratiques énergétiques plus sobres.

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