Intervention de Pierre Soler-My

Réunion du mercredi 17 juillet 2019 à 10h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Pierre Soler-My, président et cofondateur de l'entreprise Carbonex :

Monsieur le président, Madame la rapporteure, en créant notre entreprise familiale, dans les années 1990, notre objectif était de produire du charbon de bois pour barbecue, mais les contraintes réglementaires et sociales, ainsi que la transition énergétique à l'œuvre, ont été fatales à notre métier.

Après avoir démarré avec cinq personnes dans le cadre d'un atelier relais, dans l'Aube, en raison de la présence d'un important massif forestier, Carbonex compte aujourd'hui une cinquantaine de personnes.

À la suite des problématiques environnementales, nous avons été obligés d'arrêter notre production. À la recherche de solutions à travers le monde, nous avons pris conscience d'aberrations et de pratiques controversées dans la production du charbon de bois à l'étranger, notamment de graves phénomènes de déforestation et de conditions de travail qui s'apparentent parfois à de l'esclavage. Tout ce charbon de bois entrait et continue d'entrer en France et en Europe sans restriction, alors que les producteurs comme nous avaient été contraints d'arrêter leur production à cause des émissions de fumée.

Nous sommes devenus des importateurs purs et durs, faisant venir de l'étranger 100 % de nos ventes pour une grande distribution qui demandait uniquement un prix. Les problématiques environnementales étaient sous-traitées par d'autres pays, émissions de fumée et émissions de gaz à effet de serre étant délocalisées à plusieurs milliers de kilomètres.

Forts de nos convictions nous avons cherché à modifier cet état de fait. Comme le disait M. le député Aubert, nous avons mis en place une équipe d'ingénieurs, sachant que nous avons en France des professionnels intelligents et bien formés, ainsi qu'une forêt bien gérée. Grâce aux plans simples de gestion, la forêt est appréhendée avec une conscience écologique et avec vigilance à l'égard de la biodiversité. Nous avons un marché, nous sommes en relation avec des banquiers.

Le cadre législatif contraignant nous a incités à faire des évaluations et à dépasser la problématique du charbon de bois par la récupération des fumées et leur transformation en énergie. Dans le cadre des dispositions du Grenelle de l'environnement, cette énergie est vendue au travers d'un contrat de la commission de régulation de l'électricité (CRE) qui nous a permis de nous structurer et d'avoir une vision de long terme, ce qui est très difficile dans un métier qui consiste à vendre à la grande distribution dans un marché opportuniste.

Pour notre développement, nous avons obtenu l'appui du centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), de l'Office national des forêts (ONF) et d'organisations non gouvernementales, au moment où, face aux risques des produits controversés, un changement de mentalité se produisait dans la grande distribution, ce qui a permis de relocaliser la production en France, dans notre région d'origine du Grand Est. Nous avons décidé de mettre l'ensemble de nos résultats au service de ce développement et fabriqué des équipements qui n'existaient pas, afin de disposer d'outils adaptés à nos besoins.

À l'époque, notre chiffre d'affaires était d'environ 7 millions d'euros par an pour une quinzaine de personnes. Nous sommes aujourd'hui une cinquantaine et réalisons un chiffre d'affaires d'environ 12 millions d'euros. Nous avons levé 25 millions d'euros d'emprunts en 2011, investis localement à hauteur d'environ 75 %, en fabriquant nos outils en France. Hormis quelques outils spécifiques comme des turbines et des chaudières, tous les équipements liés à la carbonisation sont produits localement.

En 2018, nous avons démarré notre installation de 3,3 mégawatts, avec une production de quelque 25 000 mégawatts par an et un rendement supérieur à 90 %. Nous produisons de l'électricité avec du bois et des fumées de carbonisation. Grâce à notre process, nous produisons de l'électricité avec des petits résidus de bois qui ne servent pas à faire du charbon de bois et les fumées de carbonisation qui représentaient un véritable problème.

Nous avons continué à développer ce procédé avec, à l'époque, des prix de rachat de l'électricité relativement élevés, autour de 180 euros le mégawatt, niveau confortable mais risqué, car cette technologie ne préexistait pas, Aujourd'hui, nous avons réduit nos coûts de développement à un prix de vente d'environ 130 euros. Nous espérons poursuivre le développement et notre baisse de coûts grâce aux nouvelles solutions que nous avons mises en place, notamment le gaz de pyrolyse que nous parvenons à maîtriser, avec un rendement de production d'électricité de quelque 20 %. Avec 100 mégawatts, nous produisons 20 mégawatts électriques. Le nouveau projet prévoit un rendement de 36 à 40 %. Avec le même gaz, nous devrions ainsi doubler notre production d'électricité.

Nous avons deux bilans carbone : le bilan charbon de bois et le bilan électricité. Nous avons réduit de 99 % les émissions de CO2 par rapport au charbon de bois importé controversé. Ce vrai gain n'est comptabilisé nulle part.

Le marché mondial du charbon de bois représente 50 à 100 millions de tonnes par an. L'Europe en consomme environ 1 million, dont 70 % importés, dont 130 000 à 150 000 tonnes pour la France, 240 000 à 250 000 tonnes pour l'Allemagne. Les États-Unis en consomment environ 1 million de tonnes pour le barbecue. Nous sommes dans le loisir, mais le charbon de bois représente des enjeux importants pour d'autres pays, comme en Afrique. Au Brésil, une grande partie de l'industrie sidérurgique fonctionne à partir du charbon de bois. Il sert à alimenter les barbecues, à se chauffer, à produire du silicium. Pour confectionner des panneaux photovoltaïques, on utilise du carbone, pour partie d'origine fossile et pour partie sous forme de charbon de bois dont les conditions de production ne respectent ni les lois sur la protection de l'environnement, notamment sur la déforestation, ni sur la production de fumées. Le marché est devenu presque exclusivement d'importation. Les quelques producteurs français qui ont réussi à passer cette vague cherchent à développer des diversifications.

Notre procédé valorise la biomasse en carbone, l'électricité n'étant pour nous qu'un sous-produit de notre valorisation. Nous ne brûlons pas du bois pour faire de l'électricité. Issus du marché du charbon de bois, avec des clients consommateurs de la grande distribution, notre objectif est de coller aux attentes du consommateur. Pour allier consommation et énergies renouvelables, nous travaillons sur le stockage pour une durée suffisamment longue, c'est-à-dire une journée, du gaz de pyrolyse, afin d'accompagner la consommation de la journée. Le matin très tôt, il n'y a pas de consommateurs et nous stockons notre gaz. Quand le consommateur se réveille, nous pouvons augmenter la production de nos turbines et ajuster notre production à la consommation. Nous engageons cette recherche, conscients que les aides apportées de la CRE ont une limite.

Nous souhaitons aussi aller hors France et trouver d'autres aides. Notre objectif est d'obtenir le prix de 60 ou 80 euros le mégawatt électrique, à partir de plusieurs utilisations de la biomasse. Une partie vise la production de chaleur, que nous valorisons avec les serres. Nous développons le captage de CO2 naturel provenant du bois utilisé pour faire du charbon de bois, en vue de le réintégrer dans les serres. Nous travaillons également sur le biochar, qui revient à réintégrer dans la terre du carbone végétal afin de fertiliser le sol et y reconstituer une vie microbienne. Une petite équipe d'une dizaine d'ingénieurs travaille aussi sur le gazomètre et le gazogène.

En juillet 2018, nous avons levé 65 millions d'euros. Bpifrance est entré dans le capital de notre société, avec la BNP et le groupe suisse Debiopharm. Notre objectif est de croître dans le volet biomasse avec l'énergie alternative stockable, relativement facile et peu coûteuse à stocker qu'est le bois. Il contribue aussi à maintenir la biodiversité. Enfin, pour nous ancrer dans le territoire, nous préparons un partenariat avec le parc naturel de la forêt d'Orient et avec le nouveau parc naturel des forêts de Champagne et Bourgogne.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.