Intervention de Jean-Christophe Allo

Réunion du mercredi 17 juillet 2019 à 11h15
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Jean-Christophe Allo, responsable du départemental commercial de Sabella :

Madame la présidente, Madame la rapporteure, merci de m'avoir convoqué pour cette commission d'enquête. Je vais avoir le plaisir de vous présenter la filière hydrolienne, en particulier telle que développée par Sabella.

Créée en 2008, la société compte aujourd'hui vingt-cinq employés et réalise un chiffre d'affaires d'environ un million d'euros. Elle est encore en phase de maturation et d'émergence. Nous touchons du doigt le développement commercial et la véritable aventure commerciale commencera dans les prochaines années.

Depuis dix ans, la société s'est structurée à partir de différentes levées de fonds pour un montant total de 15 millions d'euros, avec pour principal actionnaire Bpifrance, au travers du fonds Écotechnologies.

L'hydrolien consiste à capter l'énergie des courants marins par une technologie similaire à l'éolien, sauf qu'au lieu de capter une veine fluide de vent, on capte une veine fluide d'eau.

La ressource présente la particularité d'être concentrée. Il n'y a pas d'importants courants marins capables de produire de l'énergie partout sur la planète, mais seulement à certains endroits. Nous avons la chance d'avoir en France de très grands sites et de très grands gisements en pointe Bretagne et au large du Cotentin. En Europe, seuls trois ou quatre pays possèdent des ressources hydroliennes. Ce n'est donc pas un marché diffus. En revanche, les courants marins résultant de facteurs astronomiques d'attraction du soleil et de la lune qui provoquent les marées, cette énergie renouvelable, contrairement à d'autres, présente l'énorme avantage d'être parfaitement prédictible. Si vous demandez combien va produire notre technologie à tel endroit, dans dix ans, deux mois, trois jours et quatre heures, nous sommes capables de vous le dire. C'est pourquoi l'hydrolienne apporte une très grande assurance aux gestionnaires de réseaux puisqu'il n'a pas à gérer une imprédictibilité.

La technologie Sabella se veut très simple et très robuste, car en mer, les technologies sont fortement sollicitées. Tous les choix d'ingénierie faits depuis le début de la conception de ces machines ont été orientés vers la simplicité et la robustesse.

Je ferai un bref historique de la société Sabella. Au début de l'année 2008, quatre PME bretonnes se sont associées au sein d'un consortium pour concevoir un prototype. D'un diamètre de trois mètres et d'une capacité de 30 kilowatts, il a été déployé pendant douze mois dans l'estuaire de l'Odet, dans le sud du Finistère, au large de Bénodet. Non raccordé au réseau, il était destiné à valider le concept technologique. Cette première étape a eu deux conséquences. La première a été de convaincre les quatre associés du consortium de la pertinence de cette énergie, donc de créer la société Sabella, en novembre 2008. La seconde, la plus importante, a été de prouver la réalité des énergies marines aux services de l'État et qu'il était possible de produire de l'électricité renouvelable grâce à l'océan, en particulier aux courants marins.

Suite à cela, l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a lancé, en 2010, un appel à manifestation d'intérêts « Démonstrateur d'énergies marines renouvelables » auquel Sabella a répondu. En 2011, nous avons été lauréats aux côtés de quatre autres projets, mais seul Sabella est allé au bout de la démonstration. Il s'agissait du projet Sabella D10, sur lequel je vais m'attarder.

Le projet Sabella D10, concrétisé sous la forme d'une machine de dix mètres de diamètre et d'une puissance d'un mégawatt (MW), est fortement lié à l'histoire d'Ouessant. Comme l'archipel de Molène et l'île de Sein, cette petite île au large du Finistère présente la particularité de ne pas être raccordée au réseau français. On le sait généralement pour les territoires d'outre-mer et la Corse, mais on le sait moins pour ces trois petits cailloux en bout de péninsule bretonne qui ont 100 % accès à une énergie fournie par des groupes diesel extrêmement polluants et coûteux. Deux millions de litres de fioul sont brûlés chaque année pour alimenter en électricité les quelque mille Ouessantins, pour un coût de production de 450 euros le mégawattheure, contre 50 euros en moyenne en France métropolitaine. Entre le coût du combustible et le coût de la logistique et du transport, la facture énergétique y est bien plus élevée que la moyenne nationale.

C'est pourquoi nous avons décidé de conduire un projet de transition énergétique à Ouessant, en 2015, avec l'immersion de la première hydrolienne D10, pour une durée de douze mois, période d'autorisation administrative délivrée par l'État. S'agissant d'une première, il avait été décidé de procéder par étapes. D'emblée, en 2015-2016, la machine a été raccordée au réseau d'Ouessant. Ce fut la première hydrolienne à injecter de l'énergie sur le réseau français, en l'occurrence, le réseau ouessantin. Du point de vue mécanique et électrique, les retours ont été très bons. Au bout de douze mois, nous l'avons sortie de l'eau, réalisé de longues expertises, acquis du retour d'expérience et mis en place les premières optimisations.

Dans le cadre du projet européen Intelligent Community Energy (ICE) conduit par la région Bretagne, cette hydrolienne « version 1.2 » a été réimmergée pour une durée de trois ans dans le passage du Fromveur, au large d'Ouessant, en octobre dernier, dans une perspective plus économique. Après la première phase de test de douze mois destinée à valider tous les aspects techniques, il s'agissait de valider les courbes de puissance, les modèles de maintenance et les paramètres commerciaux du produit.

La troisième étape de la transition énergétique d'Ouessant sera, en 2022, la mise en service du projet PHARES porté par la société française Akuo Energy, qui ambitionne de décarboner Ouessant à hauteur de 80 % grâce au déploiement de technologies solaires photovoltaïques innovantes, d'une éolienne terrestre et de deux hydroliennes de la société Sabella. Associée au projet PHARES, EDF-SEI (Électricité de France-systèmes énergétiques insulaires), va déployer des capacités de stockage par batteries lithium-ion afin de lisser le mix énergétique et d'accroître la pénétration du renouvelable dans l'île d'Ouessant. Même si le courant marin est prédictible, les forts courants ne sont pas nécessairement présents au moment où l'on en a besoin.

Nous tenons beaucoup au projet d'Ouessant car, comme au début de la maturité commerciale de l'éolien, les coûts restent extrêmement élevés. Toutes les zones du monde non interconnectées qui dépendent du diesel ou qui sont dépourvues d'électrification nous semblent propices à l'émergence de l'hydrolien. La prédictibilité, associée au stockage et à d'autres énergies renouvelables, afin de dérisquer et de compléter la production éolienne, est de nature à faire de l'hydrolien un modèle économique pertinent. Son coût de production actuel de 250 à 350 euros le mégawattheure est compétitif face au diesel. Nous envisageons de développer de premiers projets à travers le monde, en particulier en Asie du Sud-Est, au Canada et en Australie pour des communautés aborigènes et des miniers, afin d'accumuler des retours d'expérience et d'accroître le volume de production. Cela nous permettra, d'ici 2025-2026, de devenir une vraie entreprise industrielle capable de déployer des parcs de grande ampleur en réalisant une économie d'échelle et d'être compétitifs par rapport au mix énergétique interconnecté. Pour ce faire, nous travaillons déjà avec la région Bretagne sur les travaux de poldérisation du port de Brest, afin de préparer un déploiement industriel avec une usine dédiée d'une capacité de production de vingt à trente machines par an et employant quelques centaines de personnes.

Je répondrai maintenant aux questions posées en introduction.

À notre sens, la place de l'hydrolien dans la transition énergétique est complémentaire. Il représente en France un potentiel important, puisque nous avons, entre la Normandie et la Bretagne, un gisement estimé par l'institut de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) entre 3 000 et 5 000 mégawatts. C'est aussi une filière industrielle à l'export puisqu'au regard du volume du marché, des usines ne seront pas créées dans chaque pays, comme c'est le cas pour l'éolien. Le premier marché sera captif, puisque cette industrie n'exportera pas les embases et les câbles mais, a minima, les objets technologiques, c'est-à-dire les turbines. Selon une récente étude de l'agence internationale de l'énergie renouvelable (IRENA), le potentiel mondial peut être estimé entre 80 et 100 gigawatts.

Une place significative peut revenir à l'hydrolien dans la transition énergétique. Dans une étude de marché réalisée en mai 2018, l'Union européenne estimait, au travers de trois scénarios différents, optimiste, moyen et pessimiste, que d'ici 2030, l'hydrolien pourrait contribuer à hauteur de 700 à 1 500 mégawatts dans l'Union européenne et, à l'échelle française, pour 3 à 5 % des objectifs de transition énergétique, ce qui est loin d'être négligeable. Cela laisse penser qu'il existe une place potentielle pour l'hydrolien dans le mix énergétique de demain.

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