Je voudrais rendre compte aujourd'hui de la réunion constitutive du groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol qui s'est tenue les 9 et 10 octobre 2017 à Bruxelles et évoquer ainsi la question du contrôle parlementaire sur les activités d'Europol. Au cours de cette réunion, des parlementaires européens de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) et des représentants des parlements nationaux, ont discuté de l'adoption d'un règlement intérieur pour permettre d'organiser le travail de contrôle de ce groupe sur les activités d'Europol.
L'office européen de Police ou Europol est le principal instrument de coopération policière entre les États membres de l'Union européenne et il est devenu le centre névralgique de l'échange d'informations entre leurs services répressifs. Depuis sa création en juillet 1999, Europol a profondément changé en devenant tout d'abord une Agence de l'Union à compter de 2010 puis en voyant ses missions largement étendues. En quelques années, Europol a dû s'adapter pour passer d'une fonction d'expertise à des missions beaucoup plus opérationnelles.
À l'origine Europol travaillait essentiellement sur les réseaux criminels transfrontaliers mais peu à peu les menaces pour la sécurité de l'union européenne se sont diversifiées et ont nécessité la création d'unités spécifiques au sein d'Europol pour traiter ces nouvelles menaces à l'échelon européen. C'est ainsi qu'en 2013 a été créé le Centre européen de lutte contre la cybercriminalité (EC3).
À la suite des attentats de Paris de novembre 2015, le Conseil européen a élargi le mandat d'Europol en matière de lutte contre le terrorisme et a décidé de la création d'une unité spécialisée dénommée « Centre européen de la lutte contre le terrorisme » à compter du 1er janvier 2016. Des experts nationaux sont détachés auprès de cette unité pour accroître les moyens d'enquête transfrontaliers. Parmi les plus belles réussites d'Europol on peut citer la création de la « Task force » Fraternité en réponse aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Avec une réactivité remarquable et pour la première fois, une équipe conjointe de policiers, composée d'Espagnols, d'Anglais, de Français et de Belges a pu mener des investigations communes sur un dossier terroriste qui avait une dimension transeuropéenne. Cela a permis d'avancer très vite et de disposer de moyens d'enquête qui ont permis des avancées déterminantes.
De même, à la suite de l'afflux massif de migrants en situation irrégulière dans l'Union européenne en 2015, Europol a créé une unité dédiée, « le Centre européen pour la lutte contre le trafic de migrants » pour structurer la lutte contre les réseaux de passeurs. Europol a ainsi assuré une présence constante dans les hotspots situés en Grèce ou en Italie pour aider les autorités policières de ces pays à lutter contre les trafiquants d'êtres humains et à tenter de déjouer les infiltrations de terroristes parmi les arrivées massives de réfugiés.
Comme pour d'autres agences européennes, comme l'Agence Frontex ou la future Agence pour l'asile, la question du contrôle politique sur Europol est devenue cruciale car ses activités opérationnelles posent de plus en plus de questions en termes de traitement des données personnelles ou de respect des droits fondamentaux.
Je voudrais maintenant dire quelques mots sur le statut juridique de cette agence qui vient de changer récemment. Europol est désormais régi par un règlement européen datant du 11 mai 2016 et qui est entré en vigueur le 1er mai 2017. Un nouveau cadre juridique était nécessaire pour répondre aux nouvelles missions d'Europol et pour tenir compte des stipulations du Traité de Lisbonne qui prévoit que « les parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union » et qu'ils doivent être associés au contrôle politique d'Europol (article 88 TFUE). La gestation de ce texte a été particulièrement longue. La Commission européenne a déposé le 27 mars 2013 une proposition de règlement et la procédure d'examen s'est déroulée au cours des années 2014 et 2015. Dix trilogues ont été nécessaires, car certains points étaient délicats comme le mécanisme de contrôle parlementaire, la nomination du directeur exécutif, les mécanismes de protection des données échangées entre États membres et Europol.
À l'origine, la notion même d'une instance spécialisée associant des représentants du Parlement européen et des représentants des parlements nationaux n'allait pas de soi. De longues discussions ont été nécessaires pour aboutir à l'article 51 du Règlement qui prévoit donc un mécanisme de contrôle parlementaire conjoint au Parlement européen et aux parlements nationaux et dont la mission est d'assurer le contrôle politique des activités d'Europol, en évaluant leur incidence sur les libertés et les droits fondamentaux des citoyens.
L'adoption de ce Règlement est un bon exemple de la capacité des parlements nationaux d'influer sur le contenu des textes européens. Tout au long de la négociation de ce nouveau règlement, la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale a noué des échanges avec le Parlement européen pour affirmer le rôle des parlements nationaux dans le contrôle d'Europol. J'ai ainsi présenté un rapport d'information sur Europol en novembre 2013 (rapport n° 1538 du 12 novembre 2013), qui a été suivi de l'adoption d'une Résolution de l'Assemblée nationale le 20 décembre 2013. La mobilisation des parlements nationaux a eu un effet important sur le contenu du texte final, les termes du compromis faisant bien référence au fait que les parlements nationaux et le Parlement européen oeuvrent en commun et à parité de pouvoirs pour organiser un contrôle démocratique sur les activités d'Europol (article 51 du Règlement) mais les modalités opérationnelles de ce contrôle conjoint n'ont pas été définies. Il fallait donc trouver une méthode de travail pour que le groupe de contrôle parlementaire conjoint puisse être constitué et adopter un règlement intérieur si possible avant l'entrée en vigueur du nouveau Règlement.
S'inspirant du modèle de fonctionnement des conférences interparlementaires comme la COSAC, les Présidents des parlements nationaux de l'Union Européenne, ont décidé de demander à un groupe de travail composé par la Troïka (c'est-à-dire le Parlement de l'État ayant présidé l'Union Européenne dans le semestre précédent, de celui qui a la présidence et celui qui l'aura ensuite) et le Parlement européen de réfléchir aux modalités de ce contrôle et de proposer un avant-projet. Plusieurs réunions parlementaires organisées sous l'égide de la commission LIBE du Parlement européen ont permis de discuter de ce projet de règlement intérieur fixant les modalités concrètes de fonctionnement et de procédure ce comité de contrôle.
Formellement, la Conférence des Présidents des Parlements de l'Union européenne a créé, le 24 avril 2017, le groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol car le nouveau règlement d'Europol entrait en vigueur le 1er mai 2017. Les discussions ont permis d'avancer sur les méthodes de travail de ce groupe de contrôle mais certains points de désaccords subsistent et il n'a pas été possible d'adopter le Règlement intérieur.
Je commencerai par un point très politique à savoir le statut du Danemark. Rappelons que suite à un référendum de décembre 2015 traduisant une forte défiance vis-à-vis de l'intégration européenne, ce pays a choisi de conserver son statut spécifique de non-participation en matière de justice et d'affaires intérieures qui lui avait été accordé en 1992 lors de la signature du traité de Maastricht. Ce vote référendaire devait aboutir à ce que le Danemark ne soit plus membre d'Europol, mais ce pays a signé en mai 2017 un accord de coopération avec la Commission européenne afin d'avoir le statut d'observateur et de pouvoir ainsi bénéficier des échanges d'informations de coopération policière dans le cadre d'Europol.
Ce pays a présenté un amendement visant à être membre à part entière du groupe de contrôle et non pas simple observateur, du fait de son accord de coopération avec Europol. Aucun consensus ne s'est dégagé sur le statut à accorder à ce pays qui voudrait bénéficier du statut de membre d'Europol sans en assurer toutes les obligations. À l'heure des négociations sur le Brexit, il a paru plus sage de différer cette décision.
Concernant le format de ce groupe de contrôle, il a été acté que chaque État membre, appliquant le règlement Europol, serait représenté par quatre parlementaires. Dans le cas des parlements bicaméraux, chaque chambre a le droit de désigner deux membres au maximum. Le Parlement européen est quant à lui représenté par 16 membres au maximum. Le choix entre un modèle restreint de groupe de contrôle ou un groupe représentant toutes les sensibilités des parlements nationaux a fait l'objet de longues négociations. J'avais plutôt plaidé pour un format plus restreint avec 2 parlementaires nationaux seulement pour permettre à ce groupe de contrôle d'être plus opérationnel mais la consultation de l'ensemble des États membres a abouti à ce compromis. La composition aboutit à une surreprésentation en nombre des parlements nationaux par rapport aux parlementaires européens ce qui a des conséquences sur le mode d'adoption des décisions, point que j'aborderai ultérieurement.
Le groupe de contrôle se réunira deux fois par an. Au premier semestre, il se réunira dans les locaux du parlement de l'État membre qui exerce la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, au second semestre, il se réunira au Parlement européen, à Bruxelles.
Au cours des débats, certains parlementaires et tout particulièrement les Allemands et le Sénat français ont insisté sur la nécessité d'adopter des procédures permettant d'exercer un contrôle effectif sur l'activité d'Europol. C'est pourquoi ils ont présenté plusieurs amendements visant à structurer le travail de ce groupe de contrôle pour permettre un suivi des dossiers entre les deux réunions annuelles. L'idée de créer un Secrétariat permanent pour assurer le suivi des travaux (rédaction de PV, transmission de documents, suivi des relations avec les services opérationnels d'Europol) n'a pas été retenue mais en revanche il a été introduit dans le texte la mention selon laquelle il reviendrait à la Troïka de préparer les ordres du jour et d'assurer le suivi des thèmes abordés.
Poursuivant l'objectif de rendre le contrôle plus efficace, il a été proposé de constituer des sortes de commissions spécialisées au groupe de contrôle pour suivre des sujets particulièrement importants comme, par exemple, la protection des données personnelles ou les relations d'Europol avec les Pays tiers et certaines organisations internationales. Cette idée a donné lieu à un long débat, les parlementaires allemands insistant sur l'importance de la continuité du travail de contrôle, d'autant plus cruciale que les activités d'Europol vont devenir de plus en plus opérationnelles. À titre personnel, j'ai aussi soutenu cette idée qu'il fallait doter le groupe de contrôle des moyens d'exercer un contrôle efficace. Il a été décidé de revoir cette question des commissions spécialisées à la prochaine réunion du premier semestre 2018.
Plusieurs membres ont aussi proposé de mentionner dans le règlement le droit pour les membres du groupe de contrôle de poser des questions orales ou écrites au Président du conseil d'administration ou au directeur exécutif d'Europol. Un accord de principe a été acté mais cette procédure devra être précisée pour éviter que les services d'Europol ne soient trop sollicités. Il serait envisagé de limiter le nombre maximum de questions posées à titre individuel par des membres du groupe de contrôle et de privilégier les réponses orales apportées par la Direction d'Europol qui participera aux séances bi-annuelles du groupe de contrôle.
La question des langues de travail de ce groupe de contrôle a aussi suscité un vaste débat. Le projet de règlement intérieur prévoyait que les langues de travail du groupe de contrôle étaient l'anglais et le français et que les documents publiés par le groupe de contrôle seraient communiqués aux parlements nationaux et au Parlement européen en anglais et en français. Plusieurs parlementaires ont insisté pour que le principe du multilinguisme soit respecté, mais ce voeu ne paraissait pas très réaliste. Les services d'Europol travaillent exclusivement en anglais et la traduction dans toutes les langues des États membres aurait représenté un coût trop important. Concernant les règles d'interprétation pour les réunions du groupe de contrôle, une solution pragmatique a été trouvée : lorsque les réunions se déroulent au Parlement européen l'interprétation simultanée est fournie dans toutes les langues de l'Union et lorsque la réunion se tient au parlement de l'État membre qui exerce la présidence du Conseil de l'Union Européenne, l'interprétariat se fait en anglais et en français. Si certains États membres souhaitent une interprétation simultanée dans une autre langue, ils devront en assumer le coût.
J'aborde maintenant la question sans doute la plus délicate pour l'avenir de ce groupe de contrôle, à savoir le mode d'adoption de ses décisions. Le Règlement européen régissant Europol, dans son article 51, se borne à indiquer que le groupe de contrôle « peut établir des conclusions sommaires concernant le contrôle politique des activités d'Europol et soumettre ces conclusions au Parlement européen et aux parlements nationaux ». Et il ajoute qu'il revient au Parlement européen de les transmettre au Conseil à la Commission et à Europol. Il ressort clairement de ces dispositions que le groupe de contrôle ne dispose pas d'un réel pouvoir contraignant et qu'aucune modalité de sanctions n'a été prévue si ses recommandations ne sont pas suivies d'effet.
Le groupe de contrôle devra donc trouver une méthode de travail pour exercer un rôle de « vigie du respect des droits fondamentaux » et exercer un rôle d'influence, voire user de son pouvoir de pression politique en alertant le Parlement européen si des manquements graves devaient être constatés. À titre personnel, je suggèrerai que le groupe de contrôle suive de manière approfondie les pourparlers en cours entre Europol et un certain nombre de pays tiers (pays du Maghreb, du Sahel par exemple) concernant les échanges d'informations pour une meilleure coopération policière entre l'Union européenne et ces pays avec lesquels la coopération est cruciale pour l'efficacité de la lutte antiterroriste ou la maîtrise des flux migratoires. À plus long terme, il faudra trouver une complémentarité dans le contrôle exercé par la commission LIBE du Parlement européen sur cette agence et celle qu'exercera ce comité conjoint. Cette question fait partie des débats à venir et elle est complexe, car elle revient à se demander quelle est la nature du contrôle politique que les parlementaires, tant européens que nationaux, doivent exercer sur Europol.
Un autre facteur risque d'affaiblir la portée des décisions du groupe de contrôle, à savoir le recours au consensus pour les adopter. Ce principe du consensus qui a été décidé par la Conférence des Présidents des Parlements en avril 2017 a suscité de vifs débats lors de la réunion du 9 octobre. Certains parlementaires ont d'ailleurs fait remarquer que le projet de règlement intérieur n'était pas conforme à la décision des Présidents des Parlements, car les conclusions de cette Conférence indiquaient : « En principe, le groupe de contrôle travaillera sur la base du consensus », alors que le projet de règlement intérieur indique dans son article 4.1 (e) : « Le groupe de contrôle adopte ses décisions par consensus ». Certains parlementaires ont présenté des amendements pour adopter une règle de majorité qualifiée pour certaines décisions délicates ou ont suggéré de préciser que les abstentions ne devaient pas conduire à bloquer l'adoption des décisions.
Les représentants du Parlement européen ont eu une expression publique très modérée, mais sont en réalité très opposés à toute idée de majorité qualifiée, car la composition numérique du groupe de contrôle leur fera perdre tout pouvoir alors que si la règle du consensus perdure, ils garderont tout leur pouvoir d'influence et de conviction sur leurs pairs. Compte tenu du nombre de parlements nationaux qui faisaient valoir le risque de paralysie du groupe de contrôle si la règle du consensus strict était maintenue, il a été décidé de revoir cette question à la prochaine réunion en s'inspirant des règles applicables lors des COSAC, où il est possible, à titre exceptionnel, de recourir à une majorité qualifiée.
En conclusion, en tant que députée française qui me suis toujours passionnée pour les questions européennes, je voudrais insister sur la nécessité de travailler sur le long terme pour parvenir à influencer les décisions des autorités européennes. Le nouveau statut d'Europol porte la marque indéniable du travail opiniâtre de certains parlementaires nationaux pour influencer le travail législatif des parlementaires européens.
Concernant le groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol, je reste confiante pour que le Règlement intérieur soit adopté lors de sa prochaine réunion en mars 2018, mais il restera encore un long travail pour trouver pragmatiquement comment exercer un contrôle politique efficace sur Europol. Il nous faudra trouver un équilibre pour éviter un contrôle factuel tatillon mais néanmoins entretenir des liens assez étroits avec les professionnels opérationnels d'Europol pour apprécier l'impact de leur action sur les libertés et les droits fondamentaux.