Intervention de Jean-Jacques Hilmoine

Réunion du mercredi 24 juillet 2019 à 11h10
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Jean-Jacques Hilmoine :

Je vais résumer seize ans de la vie d'un projet de développement en territoire rural. Il s'agit du canton de Fruges qui se trouve au centre du département du Pas-de-Calais au sein d'une communauté de communes qui regroupe 25 villages et représente 7 500 habitants et dont j'étais le président de 2001 à 2016. Je suis principal de collège en retraite. Je suis devenu adjoint au maire de Fruges, 2 500 habitants, de 1989 à 2001, en charge des finances et du secteur économique, puis maire de Fruges de 2001 à 2014.

Dès que j'ai été élu, j'ai utilisé la dynamique de projets que j'avais expérimentée pour manager les équipes des établissements scolaires que j'avais dirigés. Introduire cette démarche au sein d'une assemblée communautaire de 68 élus ruraux non sensibilisés à ces techniques de pilotage des politiques d'aménagement de nos territoires n'a pas été facile. Mais très vite elle a été comprise comme un outil de progrès permettant la mise en œuvre d'un projet de développement durable capable de définir les politiques en accord avec nos diagnostics et, surtout, en y associant un véritable pacte financier et fiscal entre l'EPCI et les 25 communes.

Après avoir mis en œuvre une nouvelle politique économique de 1989 à 2001 avec la création d'une zone d'activité de 20 hectares à Fruges, j'ai, dès mon élection à la présidence de la communauté de communes, lancé une réflexion sur la nécessité de construire les bases d'un projet de développement durable dont le premier objectif était de développer l'économie tout en prenant en compte les avancées économiques de 2 500 habitants. Dans ce cadre, j'ai fait approuver à l'unanimité des délégués, puis des 25 maires – il y a eu deux abstentions – la poursuite de l'étude d'un projet de centrale éolienne. Après consultation de trois sociétés, le conseil communautaire a confié le 16 janvier 2002 à la société allemande OSTWIND le soin de présenter un projet concernant nos 25 villages. Une charte que j'avais rédigée, approuvée par les élus et la direction de la société, a constitué l'ossature de nos relations qui inclut la participation et l'information totale de la population. Ce projet devait être celui d'un territoire et prévoyait la possibilité de créer une société d'économie mixte locale.

À partir d'avril 2003, avec l'aide d'un groupe constitué de différents services et administrations placés sous la responsabilité de madame la sous-préfète, la société OSTWIND a construit son projet définitif. Les permis de construire des 70 éoliennes étaient signés en juillet 2004 par monsieur le préfet du Pas-de-Calais. Le dernier jour de la période de recours, une association est née. Après un premier jugement supprimant 50 % du parc, l'appel a annulé la décision de première instance et refusé la demande émise par l'association de supprimer la totalité du parc. La construction des 70 aérogénérateurs commençait alors. Ce chantier, qui a fait vivre des entreprises locales pendant deux ans, s'est terminé par une inauguration en présence des autorités de l'État, des élus régionaux, départementaux et locaux et des propriétaires de parcs allemands, français, américains et australiens liés à des fonds d'investissement. Cet aspect est pour moi une faiblesse dans le développement des énergies renouvelables sur nos territoires.

En 2010, la perspective de créer une société d'économie mixte locale est momentanément abandonnée par décision des élus, compte tenu des engagements définitifs de la société allemande OSTWIND qui comprenaient une aide aux associations et aux communes et une participation au financement d'un bâtiment public – l'hôtel communautaire – par l'attribution d'un don d'un million d'euros sous forme de mécénat qui correspondait à 1 % du montant des investissements.

Sur le plan financier, les recettes fiscales et économiques liées à la centrale éolienne sont de 4,7 millions d'euros en 2010 contre 1,2 million en 2002. Cette augmentation des recettes fiscales sans augmentation de la fiscalité des ménages a permis la mise en œuvre du deuxième volet du projet : le volet social. Plus de 20 millions d'euros sont investis en dix ans sans prélèvement d'impôt supplémentaire pour la construction d'un béguinage pour personnes âgées, d'une maison des jeunes de l'innovation centrée sur l'outil numérique, de la première maison de santé pluridisciplinaires autour de Paris, d'une maison des associations de la solidarité des services publics et de l'insertion avec un premier CIAS (centre intercommunal d'action sociale) rural avec épicerie et vestiaires solidaires. C'est aussi la création de services publics pour la jeunesse avec notamment le renforcement du système périscolaire et une aide aux communes par la dotation de solidarité et l'attribution de fonds de concours pour leurs investissements.

Deux des objectifs étant atteints, le troisième objectif environnemental sera repris intégralement dans l'élaboration, à partir de 2008, d'un plan local d'urbanisme intercommunal. C'est un des premiers du département avec un projet d'aménagement et de développement durable axé entièrement sur la réalisation des grandes orientations de la 3e révolution industrielle et en particulier la mise en œuvre de la transition écologique dans toutes ses dimensions. Adopté définitivement en mai 2014, ce projet d'aménagement et de développement durable est mis en œuvre immédiatement. C'est ainsi que nous avons travaillé avec le conseil régional et l'Ademe pour mettre en place une politique de réappropriation de la production des énergies, électricité et gaz, par les collectivités en particulier pour le développement des projets éoliens, de méthanisation, de panneaux photovoltaïques et par la mise en place d'une société d'économie mixte ou d'une société anonyme locale, cet outil étant le plus adapté pour faire de toute centrale éolienne un projet de territoire.

Pour aider les collectivités, une SEM régionale, à laquelle j'ai participé et dont j'ai été le président, a été créée en 2016 en partenariat avec le conseil régional, le conseil départemental, la Caisse des dépôts, les banques et la fédération départementale de l'énergie. La SEM a répondu immédiatement aussi à l'appel d'offres de Mme Ségolène Royal et a été retenue dans le premier appel d'offres. Quelques mois après, nous avons répondu au deuxième appel d'offres et sa signature s'est faite à Arras, en présence de Madame Ségolène Royal. Le contenu de ce contrat, comprend la création d'une société mixte multi-énergie, la mise en place d'un projet éolien complémentaire aux 70 machines existantes. Sur les 26 machines proposées, 17 seront accordées pour une production de 45,5 mégawatts, dix fois 2, mégawatts et sept fois 3,2 mégawatts. Ces éoliennes devaient rentrer totalement ou partiellement dans la SEM avec comme partenaire la société OSTWIND, la Caisse des dépôts et une participation ouverte au public du territoire. Une autre étude lancée en 2015 avec l'aide de l'Ademe et du conseil régional pour la construction d'un méthaniseur territorial porté par la SEM avec les mêmes partenaires et les agriculteurs. Concernant le photovoltaïque, il s'agissait de la mise en réseau des bâtiments publics de la collectivité, des bâtiments communaux puis les bâtiments industriels. La SEM était toujours partenaire. La mobilité et la transition écologique ont nécessité la mise en place de déplacements en utilisant des véhicules électriques. Cinq voitures électriques et 15 vélos électriques ont été achetés par la collectivité. Des bornes électriques étaient prévues sur le territoire, des composteurs, des bennes de collecte et des déchets verts seront mis à la disposition des habitants de nos villages. Concernant la réduction des consommations électriques, un plan de remplacement des lampes de tous les villages a été mis en œuvre. Dans le cadre d'une OPAH (opération programmée d'amélioration de l'habitat), nous avons ajouté le volet lutte contre la précarité énergétique, en augmentant la participation à côté de l'État.

En 2015, à la demande de l'Ademe et avec mon accord, un cabinet d'études a été mandaté pour étudier l'impact des parcs éoliens des deux villages, Fruges et Coupelle-Vieille. Les conclusions font apparaître une forte acceptabilité de la part des habitants qui considèrent que les avantages liés au volet social compensent très largement les inconvénients qui pourraient être sonores ou visuels. Comme disent les habitants « on s'y habitue, comme à la ligne de 400 000 volts qui traverse notre territoire du nord au sud ». Sur le plan urbanisme, le nombre de construction a augmenté sur ces deux villages et le prix des maisons ainsi que celui des terrains a augmenté également.

En conclusion, après la fusion de la communauté de communes de nombreux projets de développement durable ont été stoppés ou réduits et c'est la raison de mon départ.

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