Intervention de Chloé Le Coq

Réunion du jeudi 25 juillet 2019 à 10h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Chloé Le Coq, professeur associé à la Stockholm School of Economics :

Merci beaucoup de me donner l'occasion de m'exprimer sur le sujet, important, de la transition énergétique, qui constitue vraiment une partie du modèle suédois en général, c'est-à-dire au plan sociétal.

La Scandinavie, au-delà de la Suède, est souvent considérée comme un exemple à suivre en ce qui concerne la taxe carbone et plus globalement les mécanismes d'incitation. Quand on regarde les résultats et qu'on les compare à ceux des autres États européens, on voit que les pays scandinaves, et la Suède en particulier, ont une part significative d'énergies renouvelables.

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Autre élément majeur, la consommation d'énergie est très élevée en Scandinavie, à cause du climat, naturellement, mais aussi parce qu'il y a des industries très gourmandes en énergie. Ces pays ont réussi, d'une certaine manière, à concilier un pourcentage élevé d'énergies renouvelables, qui fonctionnent, et l'existence d'importants consommateurs d'électricité.

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Comment expliquer cette réussite ? Il faut rappeler que la Suède n'est pas seule : elle fait partie d'un marché intégré, le Nord Pool, qui comprend aussi la Norvège, la Finlande et le Danemark, ainsi que les pays baltes. Ce marché centralisé produit un prix de référence pour toute l'électricité dans l'Europe du Nord, étant entendu que l'on applique ensuite différentes taxes qui dépendent de chacun des pays.

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Il faut également souligner que les pays scandinaves utilisent différentes technologies, bien qu'ils fassent partie d'un même marché. La Norvège produit à peu près 95 % d'hydroélectricité, la Suède utilise une combinaison d'hydroélectricité et de nucléaire, et la Finlande a de l'hydroélectricité, du nucléaire et des énergies fossiles. Le Danemark, que l'on cite souvent en exemple à propos de l'éolien – car il représente 43 % de la production électrique –, est très compétitif dans ce domaine au sens où le prix de l'électricité est très faible, mais la situation actuelle n'est possible que parce que la Norvège produit de l'hydroélectricité.

La transition énergétique a aussi, et surtout, eu lieu parce qu'il y a une part d'hydroélectricité vraiment dominante. Tout le monde sait que l'énergie renouvelable est relativement peu coûteuse quand on arrive à assurer sa production. Lorsqu'il n'y a pas de vent – ou de soleil, mais c'est surtout le vent qui est utilisé en Scandinavie –, on ne peut absolument plus produire de l'électricité et il faut alors compter sur l'énergie hydraulique. Le prix de marché varie donc en fonction des capacités dans ce domaine.

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La Suède a effectivement instauré une taxe carbone très importante, qui est souvent citée en exemple. Les objectifs actuels sont d'arriver à zéro émission de carbone en 2045 et de supprimer la part du nucléaire. Par ailleurs, les Suédois essaient de faire en sorte qu'il y ait vraiment une limitation des émissions de CO2 dans le secteur des transports. La taxe carbone ne suffit pas.

La Suède veut aussi abandonner le nucléaire, je l'ai dit. Comme il y a un débat sur ce sujet en France, je vais détailler la manière dont les Suédois essaient de résoudre le problème – car il y en a un, évidemment, si on supprime les 40 % de la production que l'énergie nucléaire représente, dans un contexte où les prix sont relativement faibles et où les industries sont très gourmandes en énergie.

Le parti des Verts refuse d'augmenter la part de l'hydroélectricité. Quatre rivières pourraient être utilisées, mais ce parti a mis son veto. La solution consiste donc à développer davantage l'éolien avec les certificats verts, dont le prix a considérablement diminué. Il y a une discussion sur le point de savoir s'il existe suffisamment d'incitations pour promouvoir l'éolien.

Même si l'on remplace totalement le nucléaire par de l'éolien, une question se pose : comment garder une offre d'électricité et une consommation constantes ? Le graphique suivant concerne le mois de janvier, où on atteint un des pics de consommation. On a regardé quelles sont les technologies qui contribuent à subvenir à la consommation d'électricité à cette période. Le nucléaire permet d'assurer une base constante de production, tandis que la part de l'hydraulique varie : elle s'ajuste en fonction de l'éolien, qui représente à peu près 11 % du total.

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Toute la part du nucléaire va être transférée vers l'éolien, puisque l'on ne veut pas augmenter l'hydroélectricité, et celle-ci deviendra alors la seule variable d'ajustement. Le prochain graphique est une simple simulation – tout dépend des hypothèses que l'on retient – mais on voit que si l'on garde le même type de consommation qu'aujourd'hui, il y aura des coupures d'électricité.

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Comment éviter ces coupures d'électricité ? Quels mécanismes peut-on utiliser ? Cela fait partie des grandes questions qui se posent actuellement dans le cadre du modèle suédois.

J'ai essentiellement évoqué l'offre pour l'instant, mais il faut aussi parler de la demande, car c'est un autre point capital. À l'heure actuelle, la demande n'est pas très flexible dans le modèle suédois et en Scandinavie d'une manière générale. Il n'y a pas de développement des smart consumers, ou en tout cas beaucoup moins qu'ailleurs en Europe, notamment au Royaume-Uni.

Il reste également à savoir si l'on va pouvoir s'intégrer encore davantage en Europe afin d'utiliser des variables d'ajustement, d'autres technologies, quand on ne peut pas produire de l'électricité éolienne en Suède. Sebastian Schwenen vous a présenté le modèle allemand : il fonctionne si les pays voisins produisent de l'électricité lorsque c'est impossible grâce à l'éolien. Si le modèle scandinave se met, lui aussi, à fonctionner si les voisins produisent lorsque la Scandinavie ne peut pas le faire, un vrai problème européen se pose : il concerne l'intégration du marché et le prix lors des pics de demande. Est-on prêt à payer ? L'incitation que cela représente est peut-être une solution. C'est un aspect important : malgré la taxe carbone, il y a un problème de flexibilité de la demande.

Un autre effort essentiel doit être réalisé en Scandinavie : si la moyenne des émissions de CO2 est basse en Suède – elle est proche de celle de la France –, la Norvège et la Finlande doivent changer leurs modes de transport et de chauffage. Il y a des politiques à mener en la matière.

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Quand on regarde la répartition par secteurs en Suède, on voit que si beaucoup a été fait en ce qui concerne l'électricité, qui représente 12 % des émissions de CO2 – il y a beaucoup d'incitations –, le transport constitue vraiment un gros point noir. Par ailleurs, il n'est pas question, aujourd'hui, de toucher à l'industrie minière – il n'y a pas de discussion sur une éventuelle augmentation des prix. En revanche, j'ai déjà indiqué tout à l'heure que les Suédois ont pour objectif de s'attaquer aux transports.

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Pour résumer, la première question qui se pose en Suède, et en Scandinavie d'une manière générale, est de savoir comment compenser la variation de la production d'électricité éolienne. Quels modes d'incitation faut-il retenir et, surtout, quels types de technologies peut-on utiliser ? Va-t-il y avoir un marché de capacité, avec un financement de technologies de backup qui seraient prêtes à être utilisées quand la production éolienne diminue ? Doit-on créer un marché spécifique pour ce type de technologies ? Par ailleurs, faut-il développer les capacités hydrauliques en Suède ? C'est une question importante si l'on augmente la part de l'éolien : il faut faire face à la variation de la production.

Le deuxième point majeur, non seulement en Scandinavie mais aussi dans toute l'Europe, à mon avis, est celui de la flexibilité de la demande d'énergie. Quels sont les programmes à mettre en place dans ce domaine ? Doit-on favoriser le développement des prosumers, c'est-à-dire des consommateurs d'énergie qui sont également des producteurs ? C'est un sujet tout nouveau : on ne sait pas ce que peut donner, sur un marché, la présence d'acteurs se situant à la fois du côté de la demande et du côté de l'offre.

Enfin, comment rendre le transport plus vert ? Une des réponses, en Suède, consiste à augmenter la taxation – une taxe sur le transport aérien a ainsi été instaurée. Il existe aussi des débats importants sur ce plan.

Vous voyez qu'il y a beaucoup de questions et, pour l'instant, peu de réponses.

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