Pour le sujet de l'équilibre financier de l'AMF, il est vrai que la crise va avoir pour effet de réduire de façon significative l'assiette des contributions servant au financement de l'Autorité. Les capitalisations boursières des sociétés cotées, les actifs sous gestion des sociétés de gestion, les opérations financières diverses ou les rachats d'actions ont été affectés. Si la situation actuelle devait perdurer, l'AMF connaîtrait une baisse de ses contributions d'un peu plus de 10 millions d'euros. Je rappelle qu'elle a reversé 80 millions d'euros au budget de l'État depuis 2015, et qu'elle demeure en déficit depuis huit ans, quoique pour des montants limités. Le sujet financier devra donc faire l'objet d'une réflexion collective, en gardant à l'esprit qu'une éventuelle hausse des contributions sur des assujettis affaiblis par la crise n'est peut-être pas la meilleure des solutions.
Nous nous étions par ailleurs engagés à réviser l'assiette des contributions, car certains prestataires de services d'investissement de très petite taille considéraient qu'ils étaient trop taxés. Nous menons actuellement une concertation à ce sujet, avec l'objectif de conserver une enveloppe constante car ce n'est pas une augmentation des barèmes que nous visons.
Concernant la finance durable, le mouvement est engagé mais demeure complexe. Un des éléments clefs est l'information donnée aux investisseurs. Lorsqu'intervient un intermédiaire, la qualité de l'information a pour origine les données extra-financières. Nous avons dressé des constats mais le chemin est long. À l'évidence la solution est européenne. Nous ne pouvons pas avoir des règles différentes pour chaque pays ; par conséquent une homogénéisation est indispensable. Comme c'était le cas en matière de normes comptables, la question est de savoir si l'homogénéisation sera européenne ou mondiale. Autrement dit, se fera-t-elle selon des modalités que nous subirons ou selon des modalités que nous aurons choisies ? Les conseils d'acteurs étrangers sont utiles mais la solution doit être européenne.
Notre commission Climat et finance durable travaille avec la commission ad hoc de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, en vue de rendre un premier rapport commun avant la fin de l'année. L'enjeu est cependant plus vaste, et touche au conseil financier. Se pose notamment la question de la commercialisation des produits : il s'agit d'éviter le greenwashing. Au début du mois de mars, un premier rapport indiquait qu'un produit qui prétend remplir les critères ESG ou se prévaloir d'un label ISR ne saurait être agréé s'il ne respecte pas un certain nombre de conditions. Cela vaudra pour tous les produits nouvellement commercialisés, mais également, d'ici à la fin de l'année, pour les produits déjà commercialisés.
Tout cela requerra du temps et il conviendra de veiller à une bonne articulation entre l'échelle nationale et l'échelon européen, ce qui est complexe.
Qu'en est-il, d'ailleurs, de la capacité de l'Europe à proposer une solution en temps de crise ? Si je suis critique, je ne veux cependant pas être trop sévère avec les autorités européennes : celles-ci agissent en se fondant sur des règles déclinées au niveau national. Les directives ne sont pas transposées à l'identique d'un pays à l'autre. En matière de gestion d'actifs, les règles relatives à la liquidité des fonds en offrent un exemple emblématique, et l'autorité européenne peut être désemparée face à une telle mosaïque.
La stabilité financière n'est pas tant menacée par l'action des agences de notation, pourtant perçue comme très pro-cycliques et donc comme un facteur de risque, que par le risque de défaut. Les acteurs sont habitués au travail des agences et la seule dégradation d'une notation ne les conduit pas à se débarrasser massivement des titres détenus. C'est le défaut qui change totalement la donne.
Un autre risque auquel je suis attentif est celui d'un confinement plus long qu'attendu, et donc d'une récession pire que celle que nous anticipons.
De même, je serai très attentif aux suites données à l'arrêt que vient de rendre la Cour constitutionnelle allemande : entravera-t-il les possibilités d'action de la Banque centrale européenne ? En cette matière, les anticipations des agents et la crédibilité de la BCE comptent autant que son action effective – rappelez-vous Mario Draghi résolu à sauver la zone euro whatever it takes …
En matière de dividendes, une approche sectorielle et, de préférence, européenne serait pertinente. Las ! Des entreprises placées dans des conditions parfaitement identiques se trouvent soumises à des règles très différentes, qu'il s'agisse de la vente à découvert ou de la distribution des dividendes. De ce dernier point de vue, le secteur financier semble passer son tour. Cela paraît une bonne chose pour le secteur, mais n'oublions pas que les dividendes sont distribués à des actionnaires qui ont aussi leur importance, à des épargnants retraités…
Le collège de l'AMF a rendu à temps son avis sur l'activisme actionnarial, comme il s'y était engagé et bien que le contexte ne s'y prête guère. Une des propositions est d'abaisser à 3 % du capital le niveau du premier seuil légal dont le franchissement doit être déclaré par un actionnaire – c'est d'ailleurs celui qui est le plus souvent retenu à l'étranger. Cela permet une connaissance plus rapide des recompositions du capital, dans un souci de transparence des marchés et de qualité du dialogue actionnarial.
Il n'y a pas eu d'introductions en bourse en France depuis le début de la crise. Comment une société pourrait-elle aujourd'hui raconter son histoire aux investisseurs à qui elle fait appel, leur dire où elle en est et quel est son horizon ? Soulignons au passage la nécessité d'arrêtés trimestriels de qualité : ce sera la condition d'un rebond – sous la forme d'augmentations de capital, d'introductions en bourse, de transformation de dettes en fonds propres... Aujourd'hui, les cours sont nettement plus bas qu'il y a quelques mois et l'économie a besoin de fonds propres.
L'idée de fonds souverains associant capitaux privés et publics est forte car elle permet de rassurer tant les pouvoirs publics que le secteur privé. L'effet de levier peut être important, pour peu que la gouvernance soit de très bonne qualité. Un des enjeux sera aussi d'y associer un cercle plus vaste d'épargnants.
En ce qui concerne lesdits épargnants, nous avons toujours dit que la clef est la diversification du risque.
Qui sont les 150 000 nouveaux investisseurs ? Le document auquel j'ai fait référence vous donnera quelques éléments. C'est la première fois que nous pouvons exploiter les données fournies par le système d'information prévu par la nouvelle réglementation adoptée il y a deux ans.
Certains épargnants peuvent être attirés par des offres frauduleuses, contre lesquelles nous luttons avec nos armes habituelles, telles la suppression de sites internet ou l'inscription sur des listes noires. En la matière, le relais des médias nous est très précieux.
Je considère que la taxe sur les transactions financières ne peut être qu'européenne. Une approche uniquement nationale ou à la carte n'a pas de sens. Il est nécessaire qu'elle soit appliquée à l'échelle européenne, pour éviter les effets de vases communicants. Nous sommes aujourd'hui une Union incomplète. Nous devons aller plus loin dans l'harmonisation des règles européennes puis de leur mise en œuvre.
La crypto-monnaie reste un sujet d'actualité. Nous examinons le projet Libra, récemment modifié. Le cadre juridique prévu par la loi PACTE est en cours de mise en œuvre par l'AMF. Les événements récents n'ont pas accéléré son développement, notamment concernant la phase de déclaration des prestataires et leur éventuel agrément. Ils ont surtout montré l'utilité de l'action stabilisatrice d'une Banque centrale sur une monnaie fiat, là où les crypto-monnaies n'ont pas de stabilisateurs naturels.
J'ai lu la tribune de M. Olivier Babeau, qui met en cause l'action de l'AMF. Je ne partage pas son opinion. Il faut que les acteurs se comportent correctement pour assurer la confiance dans les marchés. Les acteurs récidivistes ou qui ne coopèrent pas ne doivent pas s'étonner d'être sanctionnés par l'AMF. Je rappelle que la sanction la plus élevée prise par l'AMF – dont le montant a d'ailleurs été diminué par le Conseil d'État – l'a été il y a trois ans à l'encontre d'une société française. Nous ne visons pas particulièrement les sociétés non résidentes. La domiciliation de la société n'est pas un critère de décision. L'AMF a une action comparable à celle des autorités équivalentes dans d'autres grands pays. Elle ne sanctionne pas plus que les autres.