Mon intervention débutera par quelques mots sur le comportement actuel des marchés et sur l'adaptation de nos émissions à la suite du projet de loi de finances rectificative du mois d'avril.
Nous avons connu des marchés compliqués à partir du mois de février et, surtout, de la deuxième quinzaine du mois de mars. Dans une course effrénée à la liquidité, les opérateurs économiques ont vendu les titres les plus liquides de leur portefeuille. Or la dette française comme celle des États-Unis ou de l'Allemagne figure parmi les instruments les plus liquides sur le marché. Nous avons donc assisté à de nombreuses ventes de titres du trésor français, allemand ou américain.
Cependant, compte tenu des contraintes en termes de solvabilité, les spécialistes en valeur du trésor ont rencontré des difficultés pour absorber, recycler et redistribuer ces liquidités. Ce phénomène a généré de la volatilité sur les obligations, y compris les dettes des États, et ce jusqu'aux annonces des banques centrales des pays de l'OCDE, qui ont déclaré qu'elles allaient soutenir les marchés. Cette situation a été aggravée par la désorganisation opérationnelle observée chez les teneurs des marchés à la suite des mesures de confinement. Les ressources capables de traiter ces opérations étant réduites, l'appétit pour le risque a été limité. Dans le même temps, les opérateurs économiques devaient tenir compte de la présentation de leur bilan de fin de trimestre, qui se traduit par la recherche d'une moindre exposition au risque.
Nous nous sommes heurtés à ce contexte compliqué concernant l'adjudication de nos titres à court terme, comme celle de nos obligations de moyen et long terme. La dette française a été moins demandée. Nos ratios de couverture se sont dégradés, même si nous n'avons pas constaté d'adjudication infructueuse et même si nos indicateurs de performance sont restés au-dessus de la cible fixée par le Parlement.
La situation a totalement changé après le passage de fin de trimestre, à partir du début du mois d'avril. Si nous nous trouvons dans une situation beaucoup plus confortable aujourd'hui, nous le devons pour l'essentiel à l'action des banques centrales et, en particulier, de la Banque centrale européenne (BCE). Ses annonces, comme le renforcement des programmes d'achat, ont fortement contribué à stabiliser les marchés. Cela confirme l'extraordinaire puissance des instruments financiers européens quand ils ont été correctement façonnés et quand ils supportent des politiques communes.
La liquidité est progressivement revenue sur les marchés. Les achats de titres publics par les banques centrales sont venus doper la demande. Nos indicateurs de performance sous‑tendant nos opérations d'émission se sont améliorés. Cela nous aide grandement puisque nous devons absorber près de 90 milliards d'euros de besoins de financement supplémentaires.
D'une part, nous avons annoncé aux marchés des émissions à moyen terme à hauteur de 40 milliards d'euros supplémentaires, ce qui nous conduit à atteindre un niveau record de 245 milliards d'euros d'encours de dette à moyen et long terme, contre 200 milliards en 2019. D'autre part, nous avons un programme d'émission de titres à court terme supplémentaires à hauteur de 64 milliards d'euros, alors que leur encours avoisinait 110 milliards d'euros fin 2019.
Nous avons commencé à rehausser nos appels de fonds aux marchés au cours du mois d'avril.
En quelques semaines, nous avons doublé la taille de nos émissions de titres à court terme – les fameux bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté (BTF). Nous en émettons 9 à 10 milliards d'euros chaque semaine, contre 4,5 à 5 milliards d'euros par semaine au début de l'année. Nous n'avons aucune difficulté à lever ces montants revus à la hausse car ce marché fonctionne admirablement bien. L'appétit pour ces titres est assez fort avec un ajustement à la hausse des prix limité, entre 15 à 20 points de base.
Nous rencontrons une pression relative concernant l'émission des titres à moyen et long termes. L'année dernière, nous avons émis 200 milliards d'euros de titres en net mais 245 milliards d'euros en brut, dans la mesure où nous avons exécuté 45 milliards d'euros de rachat de titres constitués essentiellement de rachats sur les années N+1 et N+2 afin de lisser pluri-annuellement nos appels de fonds sur le marché. Nous avons souligné que nos appels de fonds actuels, revus à la hausse, étaient parfaitement compatibles avec les opérations déjà exécutées. Il n'y a donc pas eu de choc trop important sur le marché. Nous émettons de l'ordre de 10 à 11 milliards d'euros tous les quinze jours, contre 8,5 et 9 milliards d'euros auparavant, et nous pouvons porter occasionnellement ce montant à 13 milliards d'euros. Le marché assimile bien ces sommes avec des taux d'intérêt à 10 ans proches de zéro.
L'action des banques centrales nous a permis d'éviter un choc de taux massif et a facilité les adjudications. Grâce à cette augmentation de nos émissions, nous avons pu reconstituer des marges de sécurité sur le compte unique du trésor. Ce point est important car le profil de la trésorerie de l'État a quelque peu évolué à la suite des mesures qui ont été annoncées par les pouvoirs publics pour faciliter la gestion de la trésorerie des entreprises (remboursement de la TVA, facilités de trésorerie, reports de charges…). En somme, je ne suis pas inquiet quant à notre capacité à honorer nos engagements et les autorisations d'émission qui nous ont été confiées par le Parlement dans le cadre de la deuxième loi de finances rectificative pour 2020.
Nous ne devons pas oublier, du reste, que l'État est le prêteur en dernier ressort pour l'ensemble du secteur public. Les opérateurs publics se tournent naturellement vers lui pour demander un soutien en cas de difficultés de financement ou de gel de certains segments de marché. En mars, nous sommes par exemple venus en aide à l'Acoss.