Je vous remercie pour ces questions très pertinentes.
Nous n'avons pas encouru de risque sur un horizon de très court terme sur la trésorerie de l'État. À la fin de l'année, nous disposions d'une trésorerie assez confortable, supérieure à 40 milliards d'euros. Nous bénéficions ainsi d'un coussin d'absorption pour faire face à ces chocs. Néanmoins, une course-poursuite s'est engagée entre notre capacité à garder un rythme soutenu d'émission pour préserver nos encours de trésorerie et les annonces de l'État pour venir au secours du tissu économique français et pour soutenir les acteurs affectés par la fermeture de certains segments des marchés financiers. Fort heureusement, nous ne nous sommes pas placés en situation de risque. Les marchés ont bien répondu à nos appels de fonds et nous avons reconstitué nos encours de trésorerie sans jamais descendre en dessous d'un seuil critique.
Je sais qu'un taux d'endettement correspondant à 100 % du PIB constitue un repère. Mais les investisseurs et les agences de notation accordent plus d'importance à la trajectoire d'endettement qu'au niveau de cet endettement. Nous devons montrer que nous maîtrisons l'évolution de la dette publique pour maintenir notre crédibilité et la confiance des marchés. Il convient de présenter une courbe descendante, que cette baisse soit graduelle ou plus marquée. C'est plus important qu'une hausse du taux d'endettement de 90 à 110 % du PIB à la suite d'un choc.
À la fin de l'année 2019, nous étions parvenus à stabiliser le ratio entre la dette et le PIB. Toutes les organisations internationales et toutes les agences de notation voyaient la trajectoire de cette dette diminuer à un horizon prévisible, de façon plus ou moins forte. Certaines agences avaient requalifié la perspective de la notation de la France de « stable » à « positif ». Elles examineront demain l'évolution du déficit structurel et la trajectoire de notre dette publique dans les années à venir. Il sera important de tenir un langage rassurant.
La France ne se singularise pas par rapport aux autres pays du monde car, malheureusement, ce choc est vécu par tous. Nous ne sommes donc pas dans une situation défavorable à ce stade. Cela pourrait se produire si les pays adoptaient des comportements très différenciés en ce qui concerne l'évolution de leur ratio dette sur PIB en sortie de crise. Les agences de notation traiteront mieux ceux qui parviendront à le réduire par rapport à ceux qui le maintiendront ou qui ne réussiront pas à le contenir.
La France n'a toujours pas démontré qu'elle était repartie sur le chemin de la vertu en ce qui concerne l'évolution de sa dette publique. Au cours des trente dernières années, le ratio d'endettement par rapport au PIB s'est dégradé à chaque récession avant de se stabiliser grâce aux efforts engagés. Nous n'avons jamais pu enchaîner un cycle de croissance économique susceptible de le réduire.
Vous m'interrogez sur l'article 3 du projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19, qui est relatif à la centralisation des ressources de trésorerie de certains organismes. Notre centralisation de la trésorerie sur un compte unique du trésor est un véritable bien public que nous envient de nombreux trésors dans le monde, notamment parce qu'elle permet de diminuer le besoin d'emprunts sur le marché. Nous avons une pratique historique dans ce domaine. Nous avons estimé que cette centralisation avait entraîné, depuis le début des années 2000, une réduction de près de 200 milliards d'euros du niveau d'endettement de la France par le biais d'une diminution des besoins de financement, mais aussi en minimisant la facture des charges d'intérêt. Les derniers grands rapatriements de fonds ont concerné la Coface, les fonds de garantie de la BPI et la CADES. Ces actions ont été menées de façon constante par les gouvernements qui se sont succédé au cours des quinze dernières années. Le projet de loi, en habilitant à légiférer par voie d'ordonnance, ne vise pas à rapatrier les trésoreries des caisses de retraite.
Devons-nous centraliser les émissions publiques ? La plateforme constituée de l'AFT et de la CADES pourrait être utilisée par d'autres émetteurs, mais cela suppose que leurs techniques de financement soient similaires, et donc que nous nous adressions à des établissements dont les programmes de financement sont de taille importante, pouvant avoir recours à des syndications ou aux marchés de financement de court terme. Nous pourrions imaginer, dans ce contexte, que des organismes publics puissent nouer des relations avec cette plateforme et avec l'État afin de mutualiser les moyens.
Précisons d'emblée qu'une telle mutualisation des moyens ne signifie pas une unification des signatures. En d'autres termes, les dettes ne sont pas fusionnées. La signature et la dette de la CADES demeurent bien différentes de celles de l'État. Tant que ce dernier parvient à offrir le degré de liquidité recherché par le marché sur sa propre dette, il n'y a pas de raison de remettre en cause ce dispositif incluant plusieurs émetteurs suivant leur logique propre et utilisant différents leviers de financement. Par exemple, la CADES peut se montrer plus opportuniste que l'État sur certains marchés, notamment en émettant sur les marchés de devises, ce que s'interdit l'État. La duplication des signatures permet de moins peser sur les émissions de l'État en zone euro.
Le renforcement de la centralisation pourrait donc être initié si les émetteurs considèrent que cette mutualisation contribue à la diminution de leurs coûts opérationnels tout en renforçant leur sécurité et leur expertise.
Nous avons effectivement vu fleurir les propositions concernant la dette perpétuelle en raison, probablement, du choc d'endettement provoqué par la crise actuelle. Certains observateurs et certains économistes ont avancé l'idée d'émettre des titres de dette perpétuelle dont l'État n'aurait pas à rembourser le capital. Il en rembourserait uniquement les intérêts. Cette idée renvoie, en France, à une réalité historique, celle du marché de la rente des XVIIIe et du XIXe siècles, qui contribuait à la fois au financement de l'État et au recyclage d'une épargne. C'était, un véhicule d'épargne prisé par la bourgeoisie. Mais tout au long du XXe siècle, les États ont cherché à sortir progressivement de ce mécanisme de rente, qui coûtait très cher, y compris par des conversions forcées, pour basculer vers le système d'émissions que nous connaissons aujourd'hui.
Avant de décider de créer un nouveau marché, du jour au lendemain, il faut s'assurer qu'il existe bien une demande. L'AFT bénéficie d'une expérience en matière d'émissions de titres à très long terme. Depuis 2005, nous avons émis trois souches avec des horizons de cinquante ans, qui représentent un stock de 30 à 40 milliards d'euros. Même si certains pays, tels que l'Autriche, émettent des titres à 70 ou 100 ans, plus les maturités sont éloignées dans le temps, et plus les marchés sont étroits. Même si l'idée est séduisante sur le plan intellectuel et sauf à ce que les banques centrales se décident à acheter ces dettes perpétuelles, je ne pense pas que ces segments de marchés soient suffisamment profonds et significatifs au regard de l'échelle des besoins de l'État. Nous ne pouvons pas les considérer comme un outil de financement pérenne et d'avenir.
Les investisseurs anticipent-ils des limites à l'action de la BCE ? Certes, nous ne sommes jamais à l'abri d'une décision allant dans ce sens. Certains d'entre vous peuvent penser à la récente décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Toutefois, les analystes ne considèrent pas que cette dernière limite la capacité d'action de la BCE. Ils n'ont pas d'inquiétude à ce sujet. Ils sont davantage préoccupés par l'intégrité de la zone euro et le risque de conflit politique au sein de celle-ci, qui pourrait fragiliser l'environnement de taux et provoquer un choc sur les marchés financiers. Mais ils voient plutôt d'un bon œil le policy mix entre les décisions des autorités budgétaires et monétaires de la zone. Ils constatent également que les États mettent en place des outils pour gérer la crise, malgré les divergences politiques sur la gestion de celle-ci. Ils sont frappés par l'accélération du tempo dans ce domaine, surtout en comparaison avec la réponse qui avait été apportée lors de la dernière grande crise financière.
Existe-t-il un risque de périphérisation de la dette française ? Actuellement, nous ne le constatons pas puisque le choc d'endettement est subi par les autres pays de la zone euro. La dette française n'a pas été discriminée à ce stade. Les notations de crédit qui préexistaient avant la crise demeurent avec les pays cœur, l'Allemagne et les Pays-Bas, et les pays « semi-cœur », à savoir la France, la Belgique, l'Autriche ou encore la Finlande. Les pays périphériques sont, dans l'ordre, l'Espagne, l'Italie et la Grèce. Comme je l'indiquais, il faudra veiller avec une attention particulière à la trajectoire de la dette publique française post-crise.
La dette française a atteint, à la fin de l'année dernière, un niveau de maturité historiquement long, à 8,3 années. Quant à nos émissions nouvelles, elles se situent au même niveau que l'année dernière avec un horizon, toujours très élevé, d'un peu plus de 11 années. Dans le contexte actuel, nous émettons davantage de titres à court terme. Il faut garder en tête que pour 20 milliards d'euros d'encours supplémentaires pour lesdits titres, nous réduisons de 0,1 point d'année la maturité moyenne de la dette française.
Mais la proposition de monsieur le ministre de l'économie et des finances de création d'un fonds de relance européen est favorablement perçue par les marchés. Ils considèrent que c'est un moyen de doter les États d'un outil pour apporter des réponses communes à la crise tout en mutualisant les dettes européennes pour un temps et un montant donnés. Ces sommes seraient ajustées en fonction des besoins des pays et non de la taille de leurs économies respectives. Ce fonds renforcerait la solidarité entre les membres tout en dépassant les clivages Nord-Sud sur la gestion de la dette passée. De plus, cela permettrait de créer un segment de dette européen présentant tous les prérequis en termes de liquidité, de sécurité et de sûreté. Il pourrait même faire figure d'alternative à la dette américaine.
Comment optimiser les dettes des émetteurs publics ? Il existe déjà un forum annuel de coordination associant ces différents acteurs, dont l'Unedic, qui peut émettre avec la garantie de l'État grâce à l'autorisation qui lui a été délivrée par le Parlement. L'architecture de gestion de la dette publique est bien établie. Pour la sphère sociale, l'Acoss fait figure d'émetteur de court terme et la CADES d'émetteur de moyen et de long termes. Puisque l'État joue le rôle de prêteur en dernier ressort, nous pourrions renforcer la circulation de l'information entre ces acteurs, ainsi que la visibilité des programmes liés à leurs besoins de financement.