Conformément aux traités européens ratifiés par l'ensemble des États, la BCE ne peut pas racheter directement de la dette sur le marché primaire. En revanche, elle en achète sur le marché secondaire afin de s'assurer que la progression des prix atteint la cible qu'elle a fixée autour de 2 %. Elle met en place des programmes exceptionnels en cas de risque de déflation. Même si elle sert des objectifs monétaires, tout se passe comme si, aujourd'hui, elle concourrait aux besoins de financement des États. Le stock de dette française détenu par la banque centrale européenne est estimé à 20 %. La question qui est posée me semble en réalité plus théorique que pratique.
Dans nos projections, nous retenons le taux d'inflation figurant dans le cadrage du projet de loi de finances, qui a été révisé à la baisse à l'occasion du PLFR.
Une question a également porté sur les dépenses vertes éligibles aux obligations d'État. En 2020, elles s'élèvent à 8 milliards d'euros.
Plusieurs interrogations ont trait aux CDS. Ils suscitent beaucoup moins d'intérêt que lors de la crise de 2012, probablement parce que les volumes échangés aujourd'hui sur ces marchés sont beaucoup plus faibles depuis l'interdiction des ventes à découvert par le législateur européen. Ce marché suit le mouvement que nous pouvons observer sur celui des dettes souveraines. Il n'est plus directeur. Nous n'avons pas vu apparaître de risque de dénomination, même dans le cas de l'Italie. Les tensions sont moins fortes que celles qui étaient apparues en mai 2018 autour de la dette de ce pays.
Je vous rappelle que le montant des primes et décotes à l'émission est largement dépendant des taux d'intérêt. S'il a augmenté de 10 à 20 milliards d'euros en 2019, c'est parce que nous avions subi un choc de taux de 60 points de base à la baisse. Dès que ce type de phénomène se reproduira, nous observerons à nouveau une hausse des primes à l'émission. Quand j'émets de la dette à taux négatif, mon coupon ne peut pas se situer en deçà de zéro, et je dégage donc une prime de trésorerie à l'émission. L'AFT ne détermine pas le montant des primes à l'émission : il est défini par le marché, en fonction des taux d'intérêt et de la nature des titres demandés. En 2019, les investisseurs ont exprimé un très fort appétit pour les dettes à très long terme, notamment pour les souches 2050, 2055 et 2060 des dettes de la France. L'augmentation des primes à l'émission sera compensée, à terme, par la revalorisation des coupons à la sortie. Cette opération est totalement neutre d'un point de vue actuariel. Il n'y a pas de manipulation comptable ou de marché.
De nombreuses questions ont porté sur la façon dont nous allions honorer notre dette. Précisons qu'aucun État n'a réduit celle-ci à zéro. Tout au plus peut-on diminuer le ratio entre la dette et le PIB, contribuant ainsi à la réduction de la dépense publique. En réalité, les États ne remboursent pas leur dette. Ils la refinancent. Ils procèdent ainsi depuis des années. Ce sera le cas de la dette actuelle, comme de la dette passée.
Concernant la dette de la sécurité sociale et des hôpitaux, je rappelle que la CADES constitue un remarquable instrument de financement. À la fin de l'année dernière, nous espérions le remboursement total de cette dette sociale à l'horizon 2024, qui représente pour l'essentiel des dépenses courantes que nous ne pouvons léguer aux générations futures. Cette perspective a été complètement bouleversée par la crise que nous vivons actuellement. Des expressions publiques ont envisagé un nouveau transfert de la dette de l'Acoss vers la CADES dans les mois à venir.
L'Acoss n'a jamais connu de difficultés de trésorerie car celles-ci ont été anticipées. Ses canaux de financement habituels, comme le recours aux bons de court terme, ont pu être temporairement gelés car les investisseurs ne souhaitaient pas placer leurs liquidités sur le marché. L'Acoss n'a pu lever que 200 millions d'euros certains jours alors qu'elle ciblait de lever un milliard d'euros. La situation s'est heureusement normalisée à partir d'avril. Mais cet organisme dispose d'une encaisse de trésorerie. Il sait aussi pouvoir compter sur le soutien de l'AFT.
Je vous invite à distinguer le programme de financement à moyen et long termes de l'État, qui avoisine les 245 milliards d'euros, des besoins de financement, qui s'élèvent à 325 milliards d'euros. Quant à l'évolution de la maturité de la dette française, elle influe bien, partiellement, sur la structure de cette dernière. La part de la dette à court terme augmentera au cours de l'année à venir. Elle était tombée à son plus bas niveau historique (5 %), car nous l'avions pilotée pour reconstituer une capacité d'absorption des chocs et avoir une marge de sécurité.
Lors de la crise de 2009, la part de la dette court terme dans la dette globale française était passée de 6 % à 18,7 %. Ce niveau n'était ni soutenable, ni satisfaisant. Il était souhaitable de le réduire. C'est ce que nous avons fait. Je ne pensais pas avoir à utiliser ces marges de manœuvre dès l'année 2020.
Nous disposons de près de 70 souches différentes pour pouvoir mener nos programmes d'émissions obligataires : des titres de deux à cinq ans, des titres à cinq, dix ou quinze ans, des obligations vertes, des titres indexés ou nominaux… Les marchés recherchent des titres liquides, dont les encours sont compris entre 20 et 40 milliards d'euros. Je n'anticipe pas de difficultés à ce sujet.
Concernant l'éventualité de l'augmentation des taux, je dirais que le risque est davantage déflationniste compte tenu des indicateurs enregistrés aux États-Unis. La BCE a annoncé que les taux resteraient bas, et pour très longtemps. Elle mène une politique très accommodante en la matière.
Concernant la mobilisation de l'épargne domestique, sachez qu'aujourd'hui, les particuliers peuvent déjà acheter des OAT. Ils peuvent demander à leur banque d'en souscrire et de les créditer sur leur compte-titres. Il n'est nul besoin de réaliser une émission particulière. Cette facilité est pourtant très faiblement employée. Les achats-ventes des particuliers sur la dette française étaient évalués, en 2019, à environ 300 millions d'euros par an. Ce financement est très marginal en raison du niveau actuel des taux, puisque l'OAT à dix ans est proche de 0 %. Il est difficile d'attirer le particulier vers ces supports d'investissement. Il s'oriente vers des placements plus risqués et plus rémunérateurs. Si cet investissement devait être rendu plus intéressant pour le grand public, il ne le serait plus autant pour le contribuable français. Le détenteur de dette publique française serait également exposé à un risque de taux très important.
Il faut donc y réfléchir à deux fois avant de recourir à l'épargne domestique. Les pouvoirs publics souhaiteraient plutôt l'utiliser pour relancer la consommation. Un grand emprunt public la ponctionnerait. Elle ne serait plus disponible pour financer la relance intérieure et la croissance.
Détenir des actions donne le droit de participer à la prise de décisions stratégiques fondamentales. Mais détenir des titres de dette français n'ouvre pas la possibilité d'influer sur les orientations de notre politique économique nationale. Plus de la moitié des détenteurs non‑résidents de notre dette sont des banques centrales ou des investisseurs intéressés par sa sécurité et sa liquidité. Ils n'adoptent pas un comportement spéculatif et ne sont pas prêts à lâcher ces titres du jour au lendemain.
Je l'ai déjà dit : la BCE n'est pas autorisée à acheter directement la dette des États. Si nous voulions qu'elle achète des titres de dette perpétuelle, il faudrait réviser les traités et obtenir l'accord de tous les États membres de l'UE, pour certains d'entre eux sans doute via un référendum.
Vous m'avez également interrogé sur la signature différente de la CADES. Quand une agence publique émet des titres, elle le fait généralement à des conditions de taux très légèrement supérieures à celle de l'État – c'est l'écart de taux que nous appelons le spread d'agence, qui est estimé entre 10 et 30 points de base en fonction des conditions de marché. La CADES bénéficie du spread le moins élevé parmi l'ensemble des opérateurs publics et elle parvient à le compenser en partie en se positionnant sur les marchés de devises. Après la correction du risque de change, elle réussit même à obtenir un spread inférieur à ces 10 points de base.
J'insiste une nouvelle fois. Grâce à l'action de la BCE, nous ne subissons pas de choc de taux. Nous émettons des titres à moyen et long termes à un taux moyen qui s'avère inférieur à – 0,04 % au lieu de 0,11 % l'année dernière. À la fin du mois de mars, nous avons assisté à un écart des spreads entre la France et l'Allemagne, de l'ordre de 80 points de base. Il est revenu entre 40 et 50 points de base. Même si cet écart ne revient pas au niveau antérieur, à savoir entre 20 et 30 points de base, les spreads ne sont pas orientés à la hausse.
L'État français n'a absolument pas cherché à compenser un éventuel manque de trésorerie via les collectivités territoriales. En tout état de cause, la trésorerie de celles-ci est déposée sur le compte unique du trésor. Il n'est pas possible de jouer sur le niveau d'avance ou le rythme des dépenses.