La récession qui affectera la zone euro en 2020 est évaluée à 7,7 %, bien pire que celle de 2009 qui avait été de 4,5 %. Elle frappe tous les États européens, mais plus violemment encore ceux dont les marges de manœuvre budgétaire sont moindres : plus de 9 % de récession pour l'Italie, l'Espagne et la Grèce, mais autour de 6 % pour l'Allemagne, l'Autriche et la Finlande, qui ont davantage de réserves budgétaires.
Cette récession diversement répartie emporte un risque majeur de fragmentation de la zone euro et du marché intérieur. Si chaque État apporte une réponse différente à la crise, les disparités existantes risquent d'être redoublées, ce qui pourrait signer la fin de la construction européenne. Ainsi, la Commission européenne a donné son accord pour un montant total d'aides d'État de 2 000 milliards d'euros dans l'ensemble de l'Union européenne : l'Allemagne en a prévu 990 milliards sous forme de prêts et de garanties, soit quasiment la moitié du total, alors que la France en est à 350 milliards et l'Espagne à moins de 100 milliards.
Les chefs d'État et les ministres des finances ont la responsabilité d'amortir le choc, mais surtout de nous doter d'instruments européens pour une relance coordonnée, solidaire et forte. Nous sommes en passe de relever ce défi.
La première réponse forte a été donnée par la Banque centrale européenne (BCE), sous la forme de programmes d'achat de titres obligataires permettant d'apporter les liquidités nécessaires aux États et aux entreprises. Après les 250 premiers milliards d'euros d'achats prévus, Christine Lagarde a annoncé 750 milliards d'euros de rachats d'obligations supplémentaires, soit, au total, 1 000 milliards d'euros de soutien.
La deuxième réponse forte a été apportée par les ministres des finances de la zone euro, le 9 avril dernier. Après des dizaines d'heures de négociation, nous nous sommes accordés sur un cadre global de relance économique européenne reposant sur quatre piliers, les trois premiers – le mécanisme européen de stabilité (MES), le mécanisme SURE et les prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI) – ayant été débloqués immédiatement, le dernier restant à préciser. Il s'agit du plan de relance qui a connu une avancée importante hier.
Au sein du mécanisme européen de stabilité, nous avons inscrit une ligne de trésorerie spécifique pour répondre à la pandémie : elle pourra être mobilisée par tous les États membres à hauteur de 2 % de leur PIB, sans conditionnalité en matière de réforme. C'est ce point qui a été très discuté, parce que précisément contraire aux conditions d'accès originelles au MES. De fait, nous avons tiré les leçons de la crise de 2009 : poser une condition de rétablissement des finances publiques à l'utilisation d'un mécanisme de relance, c'est tuer l'efficacité de ce mécanisme. On ne peut être efficace qu'en procédant étape par étape : d'abord, le soutien public, qui implique d'engager des dépenses publiques, y compris par des baisses d'impôt sur les entreprises, pendant plusieurs mois pour soutenir notre économie ; ensuite, le redressement des comptes publics et le remboursement de la dette. Rien ne serait pire que de mélanger les étapes en appuyant en même temps sur l'accélérateur et sur le frein : la sortie de route serait garantie. La dette n'est ni éphémère, ni perpétuelle : elle devra être remboursée mais le moment venu.
Au total, 240 milliards d'euros pourront être mobilisés au titre du MES à l'échelle de la zone euro. Cette ligne de crédit a pour vertu majeure d'adresser aux marchés le signal de la solidarité européenne, et d'éviter des écarts de taux d'intérêt trop importants entre les États membres ; la simple annonce du dispositif a d'ailleurs permis une stabilisation de ces écarts.
Deuxième dispositif du pacte global, d'un montant de 100 milliards d'euros, le nouvel instrument SURE consiste en l'octroi de prêts de l'Union européenne aux États membres pour financer les dépenses liées au soutien à l'emploi, en particulier le chômage partiel. Sur la demande d'un État, l'UE empruntera de l'argent sur les marchés pour le lui prêter avec la garantie des États membres, l'idée étant qu'il vaut mieux dépenser de l'argent public et lever de la dette que de voir se multiplier le nombre de chômeurs. Le chômage partiel nous a permis d'éviter une hémorragie sociale telle qu'en connaissent les États-Unis, où 21 millions de personnes se sont retrouvées au chômage en quelques semaines. En soutenant ce dispositif, l'UE pose le premier jalon de l'affirmation d'un vrai modèle social européen, ce dont on ne peut que se féliciter. La France est d'ailleurs prête à avoir recours à l'instrument SURE pour marquer sa détermination en la matière.
Le troisième dispositif est le fonds de la BEI, garanti par les États membres à hauteur de 25 milliards d'euros. Il permettra de générer jusqu'à 200 milliards d'euros de financement pour les entreprises, et pourrait être conclu aujourd'hui lors de la réunion des ministres des finances de l'Union européenne. Ce fonds doit prendre des risques en soutenant des entreprises fragilisées par la crise ; il devra donc bénéficier en priorité aux PME, qui sont particulièrement victimes du choc économique.
Ces trois premiers dispositifs, adoptés définitivement le 9 avril, seront opérationnels très prochainement ; ils représentent 540 milliards d'euros de prêts aux États.
Pour le quatrième pilier, nous étions parvenus à un accord de principe sur un fonds de relance financé par une dette mutualisée ; il restait à en régler la question fondamentale des modalités de financement. Deux conceptions radicalement différentes s'opposent en la matière : pour l'une, il ne peut s'agir que de prêts accordés par la Commission européenne aux États, qui les remboursent ensuite – c'est le chacun pour soi ; pour l'autre, défendue par la France, lever de la dette en commun présente l'intérêt financier de mutualiser le taux d'intérêt et de créer de la convergence financière au sein de la zone.
L'intérêt est aussi politique : il s'agit de marquer de la solidarité entre les États membres, d'aider en priorité les pays les plus touchés par le coronavirus en les faisant bénéficier des taux d'intérêt réduits de l'Allemagne et des États du Nord. Nous n'avons cessé de plaider en faveur de cette solution. La décision prise hier par le Président Emmanuel Macron et par la Chancelière Angela Merkel est historique : pour la première fois, la France et l'Allemagne s'accordent sur la nécessité de lever de la dette en commun et annoncent un montant – 500 milliards d'euros – pour nous faire sortir de cette crise économique sans précédent. Je veux saluer cet accord qui a permis de débloquer une situation politiquement et financièrement dangereuse, et je souhaite que les autres États membres le soutiennent, car c'est l'avenir de l'Union européenne qui est en jeu.
Nous disposons désormais des instruments nécessaires pour garantir une relance forte et efficace au niveau européen, et d'un financement de 1 000 milliards d'euros au total.