Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mardi 19 mai 2020 à 8h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

L'accord franco-allemand, décisif, était une condition indispensable, mais il reste à convaincre les autres membres de la zone euro, en particulier l'Autriche, le Danemark, la Suède et les Pays-Bas, ce qui ne sera pas facile. Les grands États doivent assumer leur poids économique et leur responsabilité politique en donnant l'impulsion quand c'est nécessaire.

La discussion sur le fonds de relance aura lieu au Conseil européen de juin. Nous aurons donc le temps d'y travailler en amont avec nos partenaires européens.

En France, la relance est orchestrée en trois temps. Le premier est celui de la résistance à un choc économique d'une violence comparable à celle de la grande récession de 1929. Les prêts garantis par l'État, les reports de charges sociales et fiscales, le fonds de solidarité et le chômage partiel ont été autant de moyens de résister.

Le deuxième temps, qui commence, consiste à apporter des réponses spécifiques aux secteurs pour lesquels il est le plus urgent d'agir. Des mesures ont déjà été prises pour l'hôtellerie, la restauration, les bars et les cafés, le sport, l'événementiel, la culture. Un plan de soutien à l'industrie automobile devrait être annoncé sous quinze jours ; il visera à la fois la demande et l'offre. Un autre sera présenté avant le 1er juillet pour l'aéronautique. Un troisième projet de loi de finances rectificative est en préparation pour financer ces plans sectoriels.

Troisième temps, un plan de relance à proprement parler aura pour objectif de bâtir à l'horizon de dix ans une économie compétitive et décarbonée, en concertation avec les parlementaires, les organisations syndicales et patronales et les économistes.

Les 500 milliards d'euros du fonds de relance européen doivent permettre de soutenir les secteurs les plus touchés. Il y aura, en effet, des contreparties en matière de transition écologique. Et ceux qui ont la critique facile seront sans doute les premiers à demander cette aide financière pour les industries et les sous-traitants de leur circonscription.

Ce fonds ne sera sans doute pas disponible avant début 2021. Jusqu'à cette date, nous pourrons nous appuyer sur les 540 milliards d'euros déjà débloqués par l'accord du 9 avril – mécanisme européen de stabilité, programme SURE et fonds de la BEI.

Le financement en fonds propre de la BEI complétera les aides de Bpifrance aux entreprises et aux start-up de la technologie pour des investissements par définition risqués. Les géants du numérique sortant renforcés de la crise, il faut protéger nos pépites d'éventuels rachats. C'est aussi l'objet du décret relatif aux investissements étrangers en France.

Le CFP devrait être adopté en même temps que le fonds de relance. Ce dernier sera, toutefois, autonome : il sera temporaire au lieu d'être renouvelé tous les sept ans et il sera financé par de la dette commune plutôt que par les contributions des États.

Il n'y a pas lieu de nourrir un sentiment d'infériorité vis-à-vis de l'Allemagne. Avant la crise, le taux de croissance de la France était deux fois supérieur à celui de son voisin allemand, notre pays était le plus attractif de toute la zone euro en matière d'investissements étrangers, et le taux de chômage était descendu à 8 %. Ces résultats démontrent que nos intuitions économiques étaient les bonnes, et il faudra poursuivre dans cette voie le moment venu. L'enjeu du XXIe siècle n'est d'ailleurs pas la rivalité entre la France et l'Allemagne, mais plutôt l'entente de ces deux pays avec les autres États européens pour résister à la concurrence chinoise et américaine. La France a les moyens de cette ambition.

Le fonds serait géré directement par la Commission européenne et bénéficierait aux régions et aux secteurs les plus touchés par la crise, par exemple les entreprises de décolletage de la vallée de l'Arve, durement atteintes par la baisse d'activité de l'industrie automobile. Le plan de relance permettrait ainsi de lutter contre la délocalisation industrielle, à quelques conditions : se situer en haut de l'échelle technologique, être attractif fiscalement, développer les compétences et les qualifications. Défendre la relocalisation sans ces leviers ne serait que du vent.

Ce plan opère un véritable renversement de position et ouvre des portes : pour la première fois, l'Allemagne accepte de lever de la dette en commun pour financer des dépenses budgétaires. Malgré les résistances qui persistent, c'est un beau combat pour l'Union européenne.

Les prêts de la BEI compléteront le plan Juncker, dont la France a été le premier bénéficiaire en raison de la solidité de son écosystème technologique, et qui se prolongera dans le cadre du programme InvestEU. Tout le secteur de la technologie sera ainsi soutenu financièrement.

Le fonds de relance doit, par ailleurs, nous permettre de soutenir la filière aéronautique et ses 3 000 sous-traitants. Alors que le risque est grand d'abandonner l'investissement et le soutien à l'innovation, il faut faire en sorte que cette filière reste l'une des plus performantes de la planète face à ses concurrents chinois et américain.

L'aide aux pays africains, une préoccupation constante, sera plutôt du ressort du Fonds monétaire international.

Cet accord n'a rien d'une opération de communication : c'est une percée concrète et historique, et chacun devrait s'en réjouir.

Quant à l'idée d'utiliser le levier du budget européen, elle ne me paraît pas pertinente : ce serait plus coûteux et nous en tirerions un moindre bénéfice.

Le programme SURE, qui permet de financer le chômage partiel, témoigne de la force du modèle social européen.

Il importe d'affirmer que la dette sera remboursée, sans quoi aucun investisseur n'acceptera de la financer. Sa charge sera d'ailleurs faible, car le taux sera proche de zéro du fait d'une levée en commun. Elle sera, en outre, étalée sur une longue période, probablement supérieure à dix ans.

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