Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous vous avons transmis notre rapport le 5 mai dernier, avec un léger retard qu'expliquent les difficultés du moment. Je remercie particulièrement Mme Verdier-Jouclas, qui nous a utilement précisé certains des axes de travail au cours d'échanges réguliers et fructueux.
Effectivement, monsieur le président, notre enquête porte sur les années 2014 à 2019, celles de la mise en œuvre du plan Ministère fort, dernier plan de réforme de l'inspection du travail. Nous nous sommes rapprochés de la direction générale du travail (DGT), du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales et de cinq directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Nous avons également rencontré beaucoup d'agents de terrain, ainsi que toutes les organisations syndicales représentatives du ministère. Philippe Duboscq, Florence Legrand et Axel Vandamme ont en outre accompagné des inspecteurs du travail lors de missions de contrôle sur le terrain.
L'instruction s'est terminée avant le début du confinement. Il ne nous a donc évidemment pas été possible d'évaluer l'impact de celui-ci sur l'exercice par l'inspection de ses missions, mais nous mentionnons, en page 53 de notre rapport, les premières instructions données à l'inspection du travail. Diffusées au mois de mars, elles portent sur les modalités de son activité pendant l'état d'urgence sanitaire.
L'inspection du travail est un corps de contrôle dont l'objectif est de veiller au respect du droit du travail. En 2018, il comptait 3 675 agents répartis sur l'ensemble du territoire, dont seuls un peu moins de 1 900 étaient affectés au contrôle. Une partie importante des agents ne sont donc pas affectés aux missions de contrôle direct.
L'autorité centrale du système d'inspection du travail français est la DGT. La mission d'inspection est consacrée au niveau international, par les conventions nos 81 du 11 juillet 1947 et 129 du 25 juin 1969 de l'Organisation internationale du travail (OIT). Ce sont ainsi des références internationales qui mettent en avant un ratio d'un agent de contrôle pour 10 000 salariés. Ces conventions internationales édictent un cadre relativement protecteur qui garantit l'exercice des missions de contrôle « sans influence extérieure indue », ce qui implique une certaine indépendance et une certaine autonomie des inspecteurs.
Les réformes se sont succédé. Ainsi le plan Ministère fort fait-il suite au plan de modernisation et de développement de 2005 et à la fusion des services d'inspections – régime général, transports, agriculture et travail maritime –, intervenue en 2009. Parallèlement, le marché du travail connaissait de profondes mutations, auxquelles l'inspection devait s'adapter.
L'organisation de l'inspection du travail est assez classique. La DGT en est l'autorité centrale, sous l'autorité du ministre chargé du travail – en l'occurrence, la ministre. La métropole compte treize DIRECCTE, qui comptent chacune un « pôle travail » assez important, et, au sein de celles-ci, des unités départementales. À l'échelon infra‑départemental, des unités de contrôle regroupent des sections territoriales. Outre-mer, le système est plus simple et plus efficace. Cette organisation risque d'être affectée par la réforme de l'organisation territoriale de l'État, objet de la circulaire prise le 12 juin 2019 par le Premier ministre, mais l'entrée en vigueur de celle-ci a été reportée au début de l'année 2021 en raison de la crise sanitaire.
L'enquête s'est donc concentrée sur la dernière réforme, ce plan Ministère fort, dont le ministre chargé du travail de l'époque, M. Sapin, a pris l'initiative dès 2012. Nous avons donc examiné la manière dont elle a été menée par la DGT, avec l'appui du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales. Ce plan, qui semblait ambitieux, s'articulait autour de trois leviers de transformation : une réorganisation profonde de l'inspection, un renforcement des objectifs et des outils de contrôle et un accompagnement de la réforme au plan des ressources humaines. Cette réforme s'est engagée très vite, avec des mesures conçues dès 2013 et 2014, avec de premières implications en termes de ressources humaines dès 2013. La réorganisation est entrée en vigueur en 2015. Les derniers textes – dont un code de déontologie à valeur réglementaire – ont été pris en 2016 et 2017.
Aucun bilan de cette réforme n'a cependant été fait, que ce soit du point de vue des ressources humaines, de l'activité ou des coûts ; cela nous a paru curieux. Pour notre part, nous avons simplement estimé le coût de la transformation des contrôleurs en inspecteurs à un montant compris entre 25 et 27 millions d'euros.
Notre appréciation générale est que des progrès notables sont intervenus mais qu'il est difficile de réformer ce système, en développement continu. Deux volets sont encourageants : la réorganisation de l'inspection n'est pas achevée mais elle est largement engagée, et le renforcement des objectifs et des outils de contrôle a bien été mis en œuvre. Certains compromis dans la conception et dans la mise en œuvre des mesures ont retardé l'atteinte des objectifs. Il nous paraît nécessaire de corriger les défauts qui persistent pour parachever la réforme.
Le point faible, que nous avons repéré rapidement, ce sont les ressources humaines, avec un accompagnement insuffisant. Plus généralement, des lacunes persistent dans la gestion de ces ressources, que ce soit au plan du régime indemnitaire, des carrières ou de la hiérarchie. Il nous paraît nécessaire d'accélérer la conduite de ce chantier des ressources humaines et de remobiliser les acteurs de l'inspection du travail.
Le premier volet que nous avons examiné est donc la réorganisation de l'inspection du travail. Quoiqu'elle soit très bien engagée, il nous paraît nécessaire de l'affermir et de la mener à son terme. Parmi les points positifs, nous avons relevé le travail plus collectif et mieux coordonné du système de l'inspection, des unités de contrôle créées au plan national et régional, au-dessus des sections de contrôle, pouvant en outre apporter un appui aux unités locales. Nous avons également relevé une amélioration de la lutte contre les infractions complexes grâce aux équipes régionales spécialisées dans la lutte contre le travail illégal et grâce à un meilleur cadrage de l'action de l'inspection. Un code de déontologie à valeur réglementaire a ainsi été adopté en 2017.
Les difficultés qu'il est nécessaire de surmonter tiennent au réseau d'encadrement de proximité, puisque chacune des unités de contrôle a été dotée d'un responsable, et que l'assise hiérarchique de ces responsables paraît parfois assez faible. En outre, les sections de contrôle ont été conservées, ce qui ne nous paraît pas le plus approprié. La fusion, en 2009, à l'occasion de la révision générale des politiques publiques (RGPP), des services d'inspection de l'agriculture et des transports avec le régime général de l'inspection du travail a, pour sa part, affaibli les contrôles dans ces deux secteurs, affaiblissement qui n'a pas pu être pleinement corrigé jusqu'à présent.
La dernière difficulté tient aux incertitudes qui demeurent quant à la réforme territoriale et suscitent une certaine appréhension chez les agents. Cette réforme pose deux questions majeures : comment maintenir la ligne hiérarchique spécifique de l'inspection, dont le principe est protégé, et que va devenir l'inspection dans les directions départementales interministérielles ?
Une difficulté particulière de la réorganisation tient au fonctionnement des sections de contrôle. Avant la réforme, le dispositif était constitué de la DIRECCTE et des unités territoriales, composées, en général, d'un inspecteur, d'un ou deux contrôleurs et d'une ou deux secrétaires. Cette organisation se déclinait sur l'ensemble du territoire. Après la réforme, des unités départementales ont été constituées, composées d'unités de contrôle, au sein desquelles les sections de contrôle ont été conservées. Théoriquement, chaque section compte un agent de contrôle, mais le taux de vacance est extrêmement élevé, puisqu'en 2019 10 % d'entre elles n'étaient pas pourvues. La réorganisation n'est ainsi pas allée à son terme. Tout cela s'inscrit dans une gestion territoriale assez compliquée, l'objectif étant d'avoir au moins un inspecteur pour 10 000 salariés. Selon une logique finalement assez budgétaire, des sections sont régulièrement supprimées. On se retrouve ainsi avec des unités de contrôle comptant moins de sections, mais pas moins d'agents.
Pour ce premier volet, nous formulons trois recommandations qu'il nous paraît nécessaire de mettre en œuvre rapidement. La première est de conforter l'autorité hiérarchique du responsable d'unité de contrôle. Il nous paraît également nécessaire d'aller jusqu'au bout de la réforme telle qu'elle avait été conçue, en supprimant l'organisation en sections. Nous retirons de nos échanges avec le ministère que cela serait assez compliqué ; il conviendrait, du moins, d'expérimenter des modes d'organisation alternatifs. Il nous paraît nécessaire, aussi, de renforcer la spécialisation des équipes et des agents de contrôle et de développer l'interdisciplinarité, avec des unités spécialisées.
Le deuxième volet de la réforme est le renforcement de la politique de contrôle. Ce renforcement a eu lieu, il a permis plus d'efficacité, mais il faut le poursuivre.
Tout d'abord, des priorités nationales de contrôle ont été fixées, renforcées par la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance.
Le deuxième élément de renforcement a concerné les pouvoirs de sanction, notamment administrative, renforcés par l'ordonnance du 7 avril 2016 relative au contrôle de l'application du droit de travail.
Enfin, le système d'information a été modernisé, avec le déploiement d'une nouvelle application, WIKI'T.
Ces évolutions vont dans le bon sens mais leurs effets demeurent insuffisants. Ainsi, le redressement du nombre de contrôles a permis d'atteindre les objectifs annuels, mais les pouvoirs de sanction, particulièrement les sanctions administratives, ne sont pas suffisamment assimilés par les agents, et les priorités nationales de contrôle sont parfois contredites ou contestées. Une autre faiblesse est l'absence de démarche de cotation des risques en amont, de façon systématique. L'évaluation de l'impact des contrôles demeure, pour sa part, embryonnaire, alors qu'elle permettrait de connaître la qualité de l'application du droit du travail. Enfin, il a été difficile de faire admettre le système d'information WIKI'T, qui nous paraît encore inadapté et est souvent mal perçu par les agents.
Une illustration de ce renforcement du contrôle nous est donnée par le très faible recours à des sanctions administratives. Celles-ci représentent effectivement moins de 1 % des sanctions, l'essentiel des contrôles aboutissant à des lettres d'observations. Il est également très rare que des procédures pénales soient engagées. Heureusement, au regard des conséquences économiques qu'ils ont, c'est aussi le cas des arrêts d'activité.
Le deuxième volet nous amène à trois recommandations : la première serait de fixer des objectifs de contrôle mieux adaptés au terrain, pas seulement dictés d'en haut, plus qualitatifs et construits en se fondant sur une meilleure cotation des risques. Une des particularités du système est en outre l'absence de méthodes ou d'outils de mesure de l'impact réel des inspections, alors que de telles mesures ont cours en matière de fiscalité ou de droit de la concurrence. Enfin, le système d'information est en cours d'évolution. Il paraît nécessaire de le transformer en un système d'aide à la décision et de management.
Le dernier volet de la réforme en constitue le point faible : la politique des ressources humaines. L'accompagnement de la réforme a été insuffisant, et, si le nombre d'agents de l'inspection du travail n'a pas connu de baisse substantielle, le nombre d'agents affectés au contrôle a diminué. Voyez déjà l'écart en 2018 : 1 898 agents affectés au contrôle sur un effectif de 3 700 !
Le plan de transformation des contrôleurs en inspecteurs du travail était très ambitieux et très avantageux – nous en avons estimé le coût –, mais, quand des contrôleurs sont transformés en inspecteurs en quelques mois de formation, il leur est difficile de prendre la pleine mesure de leur nouvelle fonction. L'outil indemnitaire n'a pas été utilisé à bon escient à l'appui de la réforme. La formation initiale des inspecteurs et la montée en compétences des agents sur les nouveaux postes à responsabilité ont été laissées de côté. Les nouveaux responsables d'unités de contrôle n'ont pas été formés au management. Quant à la formation initiale, l'école de l'inspection du travail – l'Institut national du travail de l'emploi et de la formation professionnelle (INTEFP) – a été l'objet, au début de cette année, d'un référé de la Cour des comptes.
Il nous paraît donc important d'accélérer le chantier des ressources humaines. Des pistes de modernisation du recrutement, de la formation initiale et des carrières restent à concrétiser pour que l'inspection devienne plus attractive. Nous ne l'avons pas mentionné dans le rapport, mais, chaque année, le concours attire de moins en moins de candidats.
L'articulation entre la DGT et le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales est à améliorer ; ces deux structures sont souvent en désaccord dans la gestion des ressources humaines. L'Institut national du travail de l'emploi et de la formation professionnelle est à refonder, mais, précisément, il est désormais doté d'un nouveau directeur et d'une nouvelle stratégie, et nous avons pu constater son efficacité, avec la production de nombreux documents, dans le contexte de la pandémie de covid-19. Enfin, les contrôleurs du travail qui n'ont pas réussi à devenir inspecteurs ne sauraient être intégrés d'office dans le corps des inspecteurs – ce serait extrêmement contre-productif Il convient, plutôt, de leur trouver des débouchés dans la filière administrative.
De 2014 à 2018, la baisse des effectifs des corps inspectants n'est pas massive : 13 %. On voit bien, en revanche, l'effet de la transformation du corps des contrôleurs en inspecteurs : le nombre d'inspecteurs passe de 855 à près de 1 500. Le nombre de contrôleurs chute ; quoiqu'il en demeure 414 en 2018, c'est, aujourd'hui, un corps en extinction. Le total des agents chargés du contrôle chute assez nettement, passant de 2 031 à 1 898. Comment l'expliquer ? Ces contrôleurs qu'il faut transformer en inspecteurs sont, pendant plusieurs mois, inspecteurs stagiaires. Quant aux responsables d'unité de contrôle, nous avons relevé, à regret, qu'ils n'exercent, la plupart du temps, pas d'activité de contrôle réel, ce qui pose des questions en termes de management, de pratique et de légitimité.
Voilà pourquoi nous proposons quatre recommandations au sujet de la politique de ressources humaines : renforcer la part de l'effectif affectée aux missions de contrôle, ce pour quoi nous proposons notamment la création d'une plateforme nationale de renseignement, l'allègement d'un certain nombre de missions et la réduction d'un certain nombre d'activités annexes ; améliorer la coordination de l'administration centrale en matière de gestion des ressources humaines, pour éviter certains dysfonctionnements tels des promotions en toute fin de carrière, pour satisfaire sans nécessité certains intérêts syndicaux ; bâtir un véritable plan de formation continue, en élargissant le corps des formateurs, trop souvent des pairs ; exclure l'intégration en dehors des conditions initialement prévues des contrôleurs du travail dans le corps des inspecteurs.
Nous rappelons enfin, dans notre rapport, les recommandations que nous avions pu faire dans le cadre du référé relatif à l'INTEFP.