J'essaierai de répondre à toutes les questions, tout en laissant également le soin de répondre, si vous le permettez, à Axel Vandamme, qui a travaillé sur les objectifs de contrôle, les sanctions et WIKI'T, et à Florence Legrand, qui a travaillé sur les ressources humaines.
Monsieur le président, l'opposition à la réforme dans certains départements a essentiellement consisté, au départ, en une contestation des unités de contrôle. C'est d'ailleurs pour cette raison que les sections de contrôle, qui préexistaient, ont subsisté. Ont ensuite été contestés la fonction de responsable d'unité de contrôle et son autorité hiérarchique ainsi que les objectifs de contrôle nationaux et leur place croissante dans l'activité de l'inspection.
Cela s'est traduit par des comportements hostiles, notamment à l'égard des responsables hiérarchiques : boycott de réunions, refus de transférer des messages... Des personnels ont aussi refusé de participer à des travaux collectifs dans le cadre de l'unité de contrôle. Autre manifestation de mécontentement, certains ne saisissaient pas les données d'activité dans WIKI'T, ou le faisaient incomplètement. La situation s'est cependant progressivement améliorée. Pourquoi ces problèmes ? Les responsables d'unité de contrôle n'ont pas été outillés de moyens de management, face à des collègues dont ils devenaient tout à coup les supérieurs. Ils n'ont en outre pas toujours été soutenus par la hiérarchie en cas de conflit. Enfin, ils ne disposent pas d'outils très fins ni très incitatifs pour l'évaluation de l'activité de leurs collègues, notamment pas d'outils indemnitaires.
À l'échelon central, les difficultés ont tenu aux divergences d'appréciation entre la DGT et le secrétariat général. Cela a pu causer quelques ratés et incompréhensions.
Aujourd'hui, des agents continuent à ne pas adhérer pleinement à la réforme, mais les foyers d'opposition frontale sont marginaux. L'administration centrale paraît bien plus déterminée à faire preuve de fermeté. L'opposition à la réforme régresse donc fortement, mais l'une des difficultés est que la prochaine réorganisation territoriale de l'État risque de susciter de nouveaux foyers de tension.
La baisse des contrôles en matière de transports et d'agriculture à la suite de la fusion des services a pu s'expliquer par la réduction des effectifs et une perte en compétences, particulièrement en matière de transports. De ce point de vue, les sections spécialisées ont leur pertinence.
Les amendes administratives sont prononcées par les directeurs des DIRECCTE, sur proposition motivée des agents de contrôle et après instruction complémentaire par les services régionaux – elles ne sont donc pas infligées au hasard. Elles ont augmenté de 2017 à 2018, comme il est normal dans le cadre d'un nouveau système. En 2018, le montant global des amendes s'est élevé à un peu moins de 9 millions d'euros, tandis que celui des amendes infligées par l'inspection du travail espagnole s'élevait à 30 millions d'euros ; ce n'est tout de même pas le même ordre de grandeur. Voyez également les amendes infligées par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) : 20 millions d'euros en 2018. Les sanctions administratives nous paraissent pourtant un outil important, et, si les agents s'appropriaient mieux leurs fonctions, cela permettrait d'atteindre des montants d'amende un peu plus homogènes sur le territoire. Actuellement, les écarts sont très importants – il faut d'ailleurs que la direction générale du travail analyse ces disparités, car les entreprises ne doivent pas être traitées différemment selon qu'elles sont établies dans une région ou une autre.
Il serait important d'ouvrir le corps des inspecteurs du travail ‑ l'un des rares corps d'inspection qui n'accueille personne venant d'un autre corps ‑ à des agents en détachement ; cela requiert une modification législative du code du travail. On pourrait aussi élaborer des passerelles vers d'autres corps pour les inspecteurs du travail.
Quant à la refondation de la formation initiale des inspecteurs du travail à l'INTEFP, nous avons bien souligné qu'ils devraient être formés non pas seulement par des pairs mais aussi par des agents d'autres ministères et par des personnes issues d'autres environnements professionnels et du monde universitaire. Il faudrait plus de partenariats avec des écoles et des universités et une ouverture sur le monde économique ; pour un inspecteur du travail en formation, il n'y a quasiment pas d'immersion en entreprise. Il en va autrement dans la formation des inspecteurs des finances publiques.
En matière d'attractivité, il importe effectivement de redorer l'image de l'inspection du travail. Les inspecteurs ont ressenti un déclassement du fait de la réforme et un appauvrissement de l'intérêt de leur travail, puisque ces généralistes ont été invités à se spécialiser. En outre, l'environnement devient très complexe.
Dans les entreprises, les salariés, pour peu qu'ils soient informés, voient l'inspection du travail comme un recours indispensable en cas de difficulté. Tous ne sont pas dans ce cas, particulièrement dans les services à la personne.
Même si nous en citons une dans notre rapport, nous connaissons très peu d'analyses de l'image de l'inspection auprès des entreprises. Les grandes entreprises, aux services des ressources humaines bien structurés, peuvent avoir des relations parfaitement rodées avec l'inspection du travail. En revanche, dans les très petites entreprises (TPE), l'image de l'inspection diffère sensiblement d'un secteur à un autre : contrainte ou conseil...
Il est nécessaire qu'une action importante de communication interne soit menée pour restaurer la fierté d'être inspecteur et doter d'un sentiment d'appartenance un corps éclaté sur le territoire, dont les membres ont des quotidiens professionnels très différents. Quant aux actions de communication externe, elles doivent viser à améliorer l'attractivité de la fonction et l'information du public, par exemple par une présence plus marquée sur les réseaux sociaux. Une action importante en direction des jeunes et des universitaires permettrait d'augmenter le nombre et la qualité des candidats au concours, ainsi que leur connaissance de la nature réelle du métier
J'en viens à l'exception de compétence dans les trois secteurs de l'industrie électrique, des mines et carrières et des établissements relevant du ministère de la défense. Des agents spécialisés en sont chargés : dans les mines et carrières et les centrales hydroélectriques, ce sont des agents des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ; dans les centrales nucléaires, ce sont des agents de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ; dans les entreprises de défense, ce sont les agents de l'inspection du travail dans les armées. Ces exceptions se justifient par un degré de technicité et de confidentialité extrêmement élevé des champs concernés. Nous sommes tout à fait conscients du fait que, si l'inspection du travail parvenait à mieux se spécialiser et travailler dans des environnements extrêmement pointus, avec des personnels extrêmement compétents, cette exception pourrait ne plus trouver à s'appliquer qu'aux activités couvertes par le secret de la défense nationale. Ce serait d'ailleurs une forme d'ouverture de l'inspection.
Quant aux effectifs, nous ne proposons pas du tout d'accroître les effectifs globaux. Nous proposons seulement d'élever la proportion de ceux affectés au contrôle. Pour y contribuer, la mise en place d'une plateforme téléphonique nationale unique, éventuellement avec des relais régionaux, pour renseigner tous les salariés nous paraît envisageable, et permettrait d'affecter au contrôle une partie des 425 ETP actuellement affectés aux services dédiés au renseignement en région. En outre, la fin de la transformation des emplois se traduira par la fin des formations. Actuellement, le nombre d'inspecteurs stagiaires est chaque année de 250. Ce sont autant d'inspecteurs qui pourront être de nouveau sur le terrain, pour effectuer le contrôle des entreprises. Enfin, les responsables d'unités de contrôle pourraient consacrer 20 % de leur temps au contrôle, par exemple en coordonnant des contrôles un peu lourds et en animant des équipes.
L'application WIKI'T ne coûte pas excessivement cher, contrairement à ces grands projets informatiques de l'État à propos desquels la Cour doit rendre un rapport dans quelques mois. Son coût est de l'ordre d'un à 2 millions d'euros par an – 11 millions d'euros depuis douze ans. Une dizaine d'agents de la DGT sont en outre mobilisés, avec la direction des systèmes informatiques du ministère, sur la conception du prochain outil. La maintenance est assurée par une société privée.
La faible ergonomie de l'outil entraîne un coût d'entrée important. Les infrastructures sont fragiles, le réseau est lent et on ne peut se connecter à WIKI'T sans être raccordé au réseau ministériel. Des connexions trop nombreuses entraînent des coupures – c'est arrivé pendant la crise du covid-19. La faible ergonomie est aussi source d'erreurs de saisie et d'une mauvaise qualité de l'information saisie, et elle contraint à passer un temps additionnel important pour renseigner l'application, pour ne rien dire de la lassitude que suscitent cette forme de contrainte et l'impression d'une sorte de surveillance. La résistance à l'outil est à la fois technique et psychologique. L'outil qui remplacera WIKI'T est en cours de développement. Le cahier des charges n'est pas encore arrêté mais les deux priorités de la DGT sont l'ergonomie et la mobilité.