Comme convenu lors des échanges préparatoires avec madame la députée Catherine Osson, et dans le courrier du premier président, monsieur Didier Migaud, du 4 septembre 2019, l'enquête de la Cour des comptes a porté sur un périmètre incluant les médecins scolaires, les infirmiers, les assistants de service social et les psychologues de l'éducation nationale. Tous participent au repérage et au suivi des troubles de l'apprentissage susceptibles d'entraver la scolarité des élèves.
Les investigations de la Cour ont été conduites auprès de l'administration centrale des ministères de l'éducation nationale et de la santé et auprès des cinq académies de Bordeaux, Lille, Nancy-Metz, Paris et Toulouse. Au sein de ces dernières, les investigations se sont déployées dans les rectorats, les services départementaux de l'éducation nationale (DSDEN), les écoles et les établissements du second degré. Compte tenu de l'absence, au sein du ministère de l'éducation nationale, de statistiques retraçant l'activité et la performance des services, il nous a fallu procéder à une enquête détaillée sur la base d'un questionnaire diffusé auprès de toutes les académies et dont les résultats sont présentés dans les annexes du rapport auxquelles je vous invite à vous reporter.
La Cour s'est également attachée à présenter un premier bilan, également par enquête et questionnaire, bilan qui n'était jusque-là pas disponible, de la collaboration des services académiques avec les agences régionales de santé (ARS) et nous nous sommes attachés à dresser un état des interventions des 11 000 délégataires de mission de santé scolaire, afin d'établir, pour votre commission, un panorama aussi complet que possible.
Au terme de cette enquête, la Cour dresse un constat sévère de l'état de la médecine scolaire et de sa performance au regard de ses missions de prévention et de dépistage. Je vous présenterai successivement nos constats, l'analyse que nous avons pu en faire et les remèdes qu'il conviendrait d'y apporter.
Les constats principaux sont au nombre de trois. En premier lieu, la médecine scolaire souffre d'une pénurie de médecins, qui représentent moins d'un millier d'équivalents temps plein (ETP). Un tiers des postes, contractuels compris, sont vacants et le nombre de médecins scolaires a chuté de 15 % depuis 2013. Le taux d'encadrement des élèves s'est dégradé de 20 % en 5 ans, pour atteindre une moyenne d'1 médecin pour 12 572 élèves en 2018. Le taux d'encadrement a chuté dans 75 départements, et dans 31 d'entre eux au-delà de 40 %. L'activité des médecins scolaires se concentre sur les bilans de santé individuelle obligatoire et l'adaptation de la scolarité des élèves à besoins éducatifs particuliers, en situation de handicap ou atteints de pathologies chroniques. Face au nombre très important d'élèves à prendre en charge, les médecins de l'éducation nationale exercent principalement au bénéfice des élèves de l'enseignement public. Cependant, même en ne prenant en compte que l'enseignement public, le nombre d'élèves par ETP de médecin demeure supérieur à 10 000.
En deuxième lieu, les difficultés de la santé scolaire ne tiennent pas à un manque de moyens budgétaires. Elle a été dotée à hauteur de 1,260 milliard d'euros en 2019, et sa masse salariale a crû de 12 % depuis 2013. Le ministère dispose des emplois nécessaires pour recruter 30 % de médecins scolaires supplémentaires. Un effort important a été consenti pour mettre à niveau les dotations en personnels infirmiers. Leurs effectifs ont augmenté de 40 % en 20 ans (et de 4 % depuis 2013), alors que le nombre d'élèves est resté stable. De même, depuis 2013, les effectifs d'assistants sociaux ont progressé de 9 %, et ceux des psychologues de 5,2 %, avec un effort particulier pour les psychologues affectés au premier degré de l'enseignement, soit 9 %.
En troisième lieu, la performance en matière de dépistage obligatoire à des âges clés se situe très en deçà des objectifs et a reculé depuis 2015. Entre 2013 et 2018, le taux de réalisation de la visite de la sixième année de l'enfant par les médecins scolaires, déterminante au début des apprentissages scolaires, a chuté de 26 %, taux déjà historiquement bas, à 18 %. Ainsi, moins d'un enfant sur cinq en bénéficie alors qu'elle est, en principe, universelle. En outre, ce taux moyen recouvre de fortes disparités d'un département à l'autre. Sur les 99 départements pour lesquels un taux a pu être calculé, 34 sont en dessous de 10 % de réalisation, tandis que 20 ont un taux de réalisation supérieur à 30 %.
Le bilan infirmier de la douzième année a progressé mais n'est réalisé que pour 62 % de l'ensemble des élèves et, pour ceux des établissements d'enseignement publics, qu'à hauteur de 78 %. La charge moyenne annuelle par personnel infirmier est estimée à 83 bilans, et même à 106 en incluant l'enseignement privé, ce qui constitue un niveau de performance à atteindre dix fois inférieur à la charge des médecins pour la visite de la sixième année, qui est de 803. La charge par département va d'un à trois, illustrant une allocation des ressources infirmières loin d'être optimale. Les départements ruraux sont plutôt relativement bien dotés en raison du nombre plus élevé de collèges de petite taille. En l'état actuel de la législation, les visites médicales d'aptitude, préalables à l'affectation à des travaux réglementés pour les élèves mineurs de l'enseignement professionnel, doivent être toutes réalisées, quitte à mettre en place des solutions complémentaires ou palliatives par des consultations médicales externes, ce que seuls quelques établissements ont fait. Elles ne sont effectives que pour 80 % des lycéens concernés pour les seuls élèves du public et ne sont systématiquement faites que dans 60 départements. Cette situation expose les élèves à de potentiels accidents lors de leur formation et met en jeu la responsabilité des chefs d'établissement d'enseignement professionnel. On compte du reste parmi les élèves des filières de l'enseignement professionnel beaucoup de jeunes en situation de fragilité sociale et familiale pour lesquels l'accès aux soins est réduit, voire inexistant, la santé scolaire représentant alors leur seule chance d'être examinés par un médecin.
Pour la Cour des comptes, ces problèmes s'expliquent avant tout par un défaut d'organisation et par un pilotage déficient de la santé scolaire. Un pilotage déficient tout d'abord : depuis plusieurs années, le recueil des statistiques d'activité et de performance des services est paralysé par un boycott syndical de la transmission des informations – ce qui a obligé la Cour à procéder à une enquête directe et généralisée auprès des services des rectorats et des DSDEN. L'administration a laissé perdurer cette situation, tout en la déplorant. Le pilotage de la santé scolaire se fait donc aujourd'hui à l'aveugle. L'évaluation de l'activité, de l'efficacité et de l'efficience de l'action des personnels de santé scolaire est impossible. L'absence d'informations statistiques continues marque ainsi une décorrélation dans bien des cas entre taux de réalisation des visites et taux d'encadrement des élèves par les médecins et infirmiers. Les taux de réalisation de la visite de sixième année peuvent être équivalents pour des départements dont la charge de dépistage par médecin va du simple au double, voire au triple ; les taux de réalisation des bilans de la douzième année ne sont pas corrélés aux ressources en personnels infirmiers.
En plus de ce problème de pilotage, il existe également un problème d'organisation : il n'existe pas, à l'heure actuelle, de service de santé scolaire organisé au sein des services départementaux de l'éducation nationale ou des rectorats. Les médecins, infirmiers, psychologues et assistants sociaux interviennent de façon segmentée et sont gérés en tuyaux d'orgue par des services séparés. Ce cloisonnement a même été consacré comme un principe d'organisation de la politique de dépistage : alors que la loi de 2013 avait pour objectif de faire progresser le service public de santé scolaire, les modalités d'application retenues par l'arrêté du 3 novembre 2015 ont donné un coup d'arrêt à la collaboration qui s'était, de facto, instaurée entre médecins scolaires et personnels infirmiers. Depuis cet arrêté, la visite médicale de la sixième année relève du seul médecin, tandis que les infirmiers sont chargés du bilan de la douzième année.
Ce choix à contrecourant a contribué à la forte dégradation du service public. Ce cloisonnement dommageable est l'aboutissement insatisfaisant d'une histoire administrative compliquée, marquée par des rattachements successifs aux ministères de l'éducation et de la santé qui ont peiné à articuler leurs priorités. Il est surtout la conséquence d'une réponse excessive à des pressions catégorielles faisant prévaloir des approches par métier, qui prises isolément peuvent avoir leur justification, au détriment d'une vision globale des besoins de la santé scolaire.
Le troisième point de mon exposé concerne les remèdes que propose la Cour. Pour mettre fin à l'opacité qui paralyse le pilotage, la Cour des comptes recommande la publication d'un rapport annuel sur la santé scolaire et la mise en place d'un Conseil de la santé scolaire qui pourrait, entre autres missions, prendre l'initiative de faire réaliser des évaluations externes
Pour remédier au cloisonnement des métiers, la Cour des comptes suggère de structurer des services de santé scolaire dans chaque rectorat et chaque DSDEN. La direction en serait confiée à un inspecteur d'académie pour animer la collaboration des différents métiers. Il ne s'agirait aucunement de créations ex nihilo avec des moyens nouveaux en personnel : les postes sont là. Il s'agit pour le ministère de reprendre en main l'organisation des services et de mettre en place un management global aujourd'hui absent. Les professionnels de santé ont également besoin de se voir offrir, dans ce cadre, des conditions de travail sensiblement améliorées : systèmes d'information performants permettant un travail coordonné et source de véritables gains de productivité, centres médicaux scolaires à rénover en renouant les liens distendus avec les collectivités territoriales, dotations en personnel de secrétariat indispensable, équipements médical et bureautique facilitant le travail en itinérance.
La vocation de tels services est de revoir le partage et l'organisation des tâches entre médecins de l'éducation nationale et personnels infirmiers, principalement afin de créer les modalités de coopération pour la visite médicale de la sixième année et pour la visite médicale préalable à l'affectation des élèves mineurs à des travaux réglementés.
Le travail en équipes pluri-professionnelles serait aussi l'occasion d'allouer plus de moyens au premier degré, mal couvert par les services infirmiers et sociaux. Si ces personnels peuvent être déjà présents dans les écoles, parfois à hauteur de 50 % de leur temps, cette répartition reste sur le plan national très contrastée et aléatoire, et n'est pas organisée selon un plan de service à l'échelle départementale. En revanche, si la loi pour une école de la confiance fait obligation au ministère de l'éducation nationale de pallier les insuffisances de la protection maternelle et infantile (PMI), la Cour des comptes appelle à ne pas réduire l'ambition en matière de dépistage de la sixième année, dans la mesure où des problèmes nouveaux peuvent apparaître au moment où l'enfant va aborder les apprentissages fondamentaux. Les difficultés de certains conseils départementaux à faire face à leurs besoins en matière de PMI ne doivent pas absorber exagérément les moyens de la santé scolaire, qui doit pouvoir continuer à se concentrer sur la détection des troubles des apprentissages.
C'est seulement dans le cadre de la mise en place de ces services unifiés de santé scolaire que la Cour recommanderait une revalorisation de la rémunération des médecins scolaires, susceptible d'améliorer l'attractivité du métier.
Toutefois, même si l'éducation nationale parvenait à pourvoir tous les postes de médecins scolaires vacants, il resterait indispensable pour atteindre les objectifs nationaux de dépistage et pour faire bénéficier tous les enfants d'actions de dépistage et d'éducation à la santé, dont la crise actuelle nous conduit plus que jamais à mesurer l'importance, de développer les collaborations avec les grands acteurs de santé. Les nouveaux services auraient précisément pour rôle de systématiser la contractualisation avec leurs partenaires : agences régionales de santé (ARS), caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), collectivités territoriales, associations de prévention. Ainsi une articulation accrue entre les dépistages obligatoires de la sixième année de l'enfant et les dépistages déjà réalisés par la médecine de ville ou hospitalière, pris en charge par l'assurance maladie et retracés dans le carnet de santé de l'enfant, est indispensable. Cette articulation permettrait de mieux utiliser le résultat des suivis médicaux déjà réalisés hors de l'école.
Du reste, les cadres nationaux propices à de telles collaborations existent d'ores et déjà. Les ARS ont décliné, par des conventions académiques, la convention-cadre de partenariat en santé publique de 2016 ; il reste à traduire de manière systématique cette collaboration dans des partenariats opérationnels entre les délégations départementales des agences et les DSDEN, qui pourraient porter non seulement sur les actions collectives d'éducation à la santé mais également, selon les besoins locaux, sur le soutien aux dépistages et l'accès aux soins dans les territoires où cet accès est restreint. La participation des services de l'éducation nationale aux contrats locaux de santé devrait devenir systématique.
Une convention nationale a récemment été conclue entre l'éducation nationale et l'assurance maladie. Elle apporte un cadre d'une grande richesse pour des actions de prévention pour les écoles et les établissements scolaires. Les services de santé scolaire devraient explorer avec les caisses primaires (CPAM) toutes les possibilités de partenariats locaux, qu'il s'agisse de l'accès des élèves à des examens de dépistage ou à un parcours de soins.
Pour mener à bien cette profonde révision de l'organisation de la santé scolaire, le ministère comme ses services devront s'adosser à un Conseil de la santé scolaire qui apportera son appui éthique, déontologique et scientifique pour asseoir sur des bases solides la collaboration des personnels et la coopération avec la médecine de ville.
Au terme de son enquête, la Cour des comptes se prononce pour le maintien d'un dispositif propre de santé scolaire, à condition qu'il soit profondément rénové. À cette fin, elle formule dix recommandations qui forment un tout solidaire. L'unification et l'identification du service de santé scolaire dans des conditions propices à l'exercice des missions propres qui lui sont dévolues constituent le prérequis d'une mobilisation effective et efficiente des partenariats de l'écosystème plus large de la santé publique.