L'histoire de l'ANJ a commencé par la création, en 2010, de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) et s'est poursuivie par une série de modifications. Je suis donc consciente de cet héritage et de ce qu'il implique en termes de connaissances partagées et d'efforts collectifs. L'idée d'une autorité administrative indépendante et unique s'est imposée progressivement.
La tâche qui m'est proposée est passionnante : encadrer une pratique qui intéresse potentiellement près d'un Français sur deux – et de plus en plus de jeunes. Le marché, particulièrement concurrentiel, a subi, avec la crise sanitaire, un coup d'arrêt brutal qui a porté atteinte aux enjeux locaux, d'emploi et de rayonnement de la France, ainsi qu'aux finances publiques.
Que suis-je en capacité d'apporter à cette régulation ? Mes activités, depuis ma sortie de l'École nationale de l'administration se sont toujours déroulées à la confluence du secteur public et du secteur privé. Il convient de rapprocher ces deux univers afin, pour le public, d'adapter ses méthodes et, pour le privé, de construire un développement plus durable.
J'ai acquis mon expérience successivement au Conseil d'État, où j'ai appris le droit et la rigueur, à la société Bull, où j'ai découvert la richesse de l'univers technologique et ses outils, auprès de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) puis du Forum des droits sur l'internet, organisme de co-régulation, créé en 2001. J'ai dirigé cet organisme pendant dix ans ; j'y ai acquis la capacité de co-construire des normes entre le public et le privé et j'y ai découvert la richesse du tissu associatif.
Enfin, j'ai assuré la présidence de la CNIL durant huit ans, celle du G29 réunissant les CNIL européennes pendant quatre ans et celle de la conférence internationale des commissaires à la protection des données pendant dix-huit mois.
De ces expériences, je tire trois atouts pour l'ANJ.
Premièrement, une compétence de régulateur. Il conviendra de développer le dialogue, d'abord avec les acteurs économiques, afin d'ajuster les demandes de l'ANJ aux réalités du terrain et de coproduire des outils de conformité adaptés aux besoins, en vue d'apporter une sécurité juridique aux acteurs.
Il conviendra également de développer le dialogue avec les joueurs, qui ont une science du marché ; leur vigilance sera la première couche de régulation. Puis, avec les autres régulateurs ; je crois beaucoup à l'inter-régulation. Enfin, avec les parlementaires, dans leur mission de contrôle d'une autorité indépendante.
La régulation n'est l'expression ni d'une science abstraite ni d'un règne solitaire. C'est une pratique de terrain visant à construire un réseau d'alliés, à bâtir un écosystème de régulation, y compris à l'international, afin d'animer un secteur, à faire respecter la loi et à apporter de la valeur ajoutée aux actions régulées et une plus grande protection aux joueurs.
Deuxièmement, l'éthique. Il s'agit d'une valeur que je côtoie depuis mes premières années au Conseil d'État, où j'ai travaillé sur la révision des lois bioéthiques. Aujourd'hui, je préside le Comité éthique et scientifique de Parcoursup (CESP).
Il conviendra de concilier la liberté des joueurs et leur protection, notamment par une identification de ces derniers, et de lutter contre l'addiction et le blanchiment d'argent. Les parents et les éducateurs auront également une responsabilité à assurer.
L'éthique, qui va au-delà du droit, permet de réaffirmer des valeurs et un modèle de société. Un modèle qui devra être apprécié dans un contexte de forte évolution des usages.
Troisièmement, ma capacité d'animation d'équipes. Je crois à la force du collectif et du leadership alimenté par une équipe solide. Je souhaite également animer le collège et les commissions permanentes.
Si je suis nommée à ce poste, quels seront mes chantiers prioritaires ?
Réussir la transition entre l'ARJEL et l'ANJ, cette dernière étant non pas une ARJEL élargie mais un projet nouveau qui nécessite un changement d'échelle et une refonte de la régulation. Ce changement est en cours depuis plusieurs mois au sein de l'ARJEL et les chantiers sont presque tous terminés. J'ai par ailleurs constitué une équipe de préfiguration qui a vocation à prendre en charge la nouvelle institution.
Nous devons aller vite pour asseoir la crédibilité de la nouvelle autorité, qui est attendue depuis le 1er janvier 2020. Pour cela, il conviendra d'expliquer le nouveau cadre, complexe, aux acteurs et d'apprivoiser nos nouveaux pouvoirs, notamment à l'égard des acteurs sous monopole.
La protection des joueurs sera au cœur de l'ANJ, dans un marché en croissance et face à l'engouement du pari sportif et du poker chez les jeunes. Les questions de santé des joueurs et de prévention du jeu des mineurs sont centrales. Pour ce faire, deux nouveaux leviers offerts à l'ANJ sont particulièrement intéressants : d'une part, la publicité qui devra être compatible avec une pratique modérée et responsable du jeu, particulièrement auprès des jeunes adultes ; d'autre part, la refonte du fichier des personnes interdites de jeu, qui nous sera transmis par le ministère de l'intérieur.
Enfin, il conviendra de pratiquer une régulation qui marche sur ces deux jambes : faire respecter les obligations de la loi mais aussi accompagner les opérateurs et faciliter un équilibre économique durable de ce marché, qui fait face à de profondes mutations. Un régulateur ne peut pas être uniquement un gendarme, il doit posséder une fonction de contrôle crédible et ouvrir, si nécessaire, des procédures de sanction.
Cependant, la sanction ne peut constituer un outil de régulation au quotidien. Il conviendra donc de développer la conformité des opérateurs. C'est en offrant un marché légal, sain et dynamique que l'offre illégale sera contenue.