Sur l'exécution 2019 des crédits du programme 175 Patrimoines, les dépenses se sont élevées à 946 millions d'euros soit + 5 % par rapport à 2018, avec une consommation effective de crédits très supérieure aux crédits ouverts en loi de finances initiale : c'est l'effet Notre-Dame puisque 76 millions d'euros de la souscription nationale pour la reconstruction et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ont été rattachés au programme par fonds de concours.
Ceci démontre que les financements nécessaires pour Notre-Dame ne pèsent pas sur les crédits budgétaires du patrimoine et ne devraient pas pénaliser les autres opérations.
L'augmentation d'ensemble provient avant tout de quelques grands projets, comme Villers-Cotterêts et, sur 2019, les restes à payer sur investissements, qui étaient déjà très importants en 2018, progressent de 18 % pour atteindre le montant considérable de 752 millions d'euros en restes à payer. Je suis donc très sceptique sur le taux de couverture de crédits de paiement sur autorisations d'engagement nouvelles de 77 % qu'annonce le ministère en 2020.
Nous risquons d'assister à un emballement des demandes de crédits de paiement sur les grands projets et je regrette à nouveau que l'on ne dispose pas d'une programmation pluriannuelle en crédits de paiement sur ces grands projets. Il ne faut pas que les projets plus modestes de restauration patrimoniale portés par exemple par la mission Bern ne se trouvent privés de crédits de paiement de l'État.
Concernant les effets de la crise sanitaire sur les budgets en 2020, c'est tout d'abord l'arrêt pendant trois mois des chantiers de restauration patrimoniale auquel s'ajoute le retard dans la mise en place des exécutifs municipaux, alors que la moitié de nos monuments historiques sont propriété des communes et des départements.
Dans ces conditions, l'année sera très difficile. En outre, les contraintes sanitaires devraient majorer les coûts d'environ 15 %.
Or la rénovation du patrimoine doit être un facteur essentiel de relance de l'activité de centaines d'entreprises spécialisées, avec des dizaines de milliers de salariés et de grandes compétences. Il est donc impératif d'affecter tous les moyens budgétaires qui avaient été votés pour 2020 à la relance de ces chantiers.
D'où ma très grande inquiétude compte tenu de la situation de nos grands établissements publics patrimoniaux, comme le Louvre, Versailles, Orsay, le centre Pompidou ou le Centre des monuments nationaux qui gère cent monuments en France, dont le Mont Saint-Michel ou la Cité de Carcassonne. Le modèle financier de ces établissements se fonde sur la mobilisation de ressources propres, liées à la visite, comme la billetterie, les concessions, la valorisation des sites, les partenariats internationaux.
Ces ressources propres s'effondrent cette année en raison de la crise, en chute de 80 millions d'euros pour le Louvre, de 60 millions d'euros pour le Centre des monuments nationaux, de 40 millions d'euros pour Versailles, dont 80 % des visiteurs sont des étrangers, de 20 millions d'euros pour le Musée d'Orsay…
Ces établissements publics n'ont pas été éligibles au chômage partiel et, conformément aux ordonnances de mars dernier, ils ont suspendu la facturation des concessions et des loyers d'occupation du domaine et ont versé les parts forfaitaires de marchés en cours, comme demandé à l'ensemble du secteur public.
En conséquence, ces établissements sont en train d'épuiser leurs fonds de roulement : Orsay sera tout simplement en faillite en fin d'année. Tous les travaux d'entretien, de restauration, d'achat d'œuvres d'art sont suspendus.
À mes yeux, il est hors de question de chercher à venir au secours à ces grands établissements parisiens en puisant dans les crédits budgétaires 2020 des autres opérations, car cela se ferait aux détriments du patrimoine en général et en particulier de nos territoires. J'ai donc cherché à vous présenter une proposition qui permettrait de pratiquer la relance indispensable tout en sauvegardant la situation de ces établissements, proposition pour laquelle je sollicite le soutien de la commission des finances
En accord avec notre collègue Jacques Savatier, qui préside le Fonds d'épargne de Caisse des dépôts et consignations, où je siège également, je vous propose que ces grands établissements culturels soient autorisés à emprunter, ce qui, jusqu'à présent, leur est interdit, et qu'ils empruntent à partir des ressources du livret A, où l'épargne des Français s'est accumulée ces derniers mois.
Les besoins seraient de 300 à 400 millions d'euros, ce qui représente un millième des fonds du livret A et qui permettrait de continuer les travaux de sécurité incendie à Versailles, de restauration des façades du Louvre, d'amélioration des jardins de Chambord, etc.
Je suis convaincu que les Français accepteraient que leur épargne, tout en étant rémunérée, soit utilisée pour des monuments aussi emblématiques.
Cela nécessite d'adapter la doctrine d'emploi des fonds du livret A et il nous faut convaincre le ministère des finances. Je souhaiterais que notre commission des finances prenne position sur cette proposition : à défaut, de nombreux chantiers seront arrêtés et il faudra transférer des crédits budgétaires de toutes façons insuffisants compte tenu des besoins de ces établissements, et cela se fera au détriment de la sauvegarde du patrimoine sur l'ensemble du territoire.