J'aimerais pouvoir répondre complètement à vos questions, et faire en sorte que le Haut Conseil des finances publiques mérite totalement son nom, autrement dit qu'il soit réellement un conseil des finances publiques à équidistance entre le Gouvernement et le Parlement, ce qui suppose d'en accroître à la fois la compétence et les moyens. Je résiste néanmoins à l'envie que je pourrais avoir, au nom d'un passé désormais révolu, de vous répondre complètement et de m'engager dans le débat.
Nous n'avons pas les moyens de faire des modélisations : nous travaillons sur la base du consensus des prévisions, en lien avec les administrations que nous auditionnons, ce que j'ai fait dès mon arrivée. Pour l'heure, le Haut Conseil n'élabore pas de prévisions et ses moyens sont limités. Il conviendrait que cela change, car cela nous permettait de jouer davantage un rôle de conseil et de le faire en permanence et pas seulement à telle ou telle occasion. Je rencontrerai le président de la commission des finances et le rapporteur général du budget pour aborder cette question, car c'est à la fois l'intérêt du Gouvernement, du Parlement et du pays que d'avoir un tiers de confiance indépendant capable d'élaborer ces notions et contribuer à les formuler.
Ces limitations étant posées, je vais m'efforcer de répondre à vos questions.
Un point de croissance en plus ou en moins représente tout de même 20 milliards d'euros, ce qui est considérable. La plupart des annonces du Gouvernement sont incluses dans le capital des dépenses du PLFR : c'est le cas du plan tourisme pour lequel 3 milliards d'euros d'exonérations de recettes sont prévues. Cela étant, des annonces sectorielles à venir viendront s'y ajouter : c'est le cas d'une partie des mesures de soutien au secteur aéronautique.
M. le président souhaite avoir un exemple de mesures temporaires susceptibles d'être étalées sur deux ans. Je pense aux dépenses de santé qualifiées d'exceptionnelles, qui représentent 8 milliards d'euros, aux exonérations ciblées de cotisations et à l'activité partielle.
Nous avons qualifié de prudente la prévision du Gouvernement. Si l'on examine le consensus forecast, autrement dit l'ensemble des prévisions macroéconomiques, cette fois-ci le Gouvernement est plutôt un peu plus pessimiste. Ce consensus vient d'être brisé par l'OCDE, qui est encore un peu plus pessimiste, en tout cas qui est identique sur le scénario de base, celui d'une amélioration assez durable de la situation et d'une mise sous contrôle du virus. Comme le Gouvernement, l'OCDE prévoit un recul de l'activité de 11 %, et, dans l'hypothèse d'une deuxième vague, de 14 %. Il ressort des débats du Haut Conseil qu'il y avait en effet des aléas à la hausse et à la baisse, mais que les aléas à la hausse étaient relativement plus nombreux que les aléas à la baisse et qu'on ne pouvait exclure une « bonne surprise » compte tenu des niveaux de récession atteints. Nous pensons, au final, sur la base de ce que nous connaissons aujourd'hui, qu'en 2020 la croissance pourrait être un peu plus élevée ou la récession un peu moins marquée que prévu.
Je le répète, nous sommes face à des réalités mouvantes avec des paramètres que nous ne maîtrisons pas, à commencer par la situation sanitaire. C'est ce qui motive les deux hypothèses de l'OCDE.
Le Haut Conseil considère que nous ne pouvons pas penser que le PIB potentiel serait complètement exclu de l'évolution que nous connaissons. Nous pensons qu'il y a clairement là un aléa à la baisse et que la réduction du PIB potentiel pourrait s'imposer à plus ou moins brève échéance. De la même façon, s'agissant du déficit structurel, le Haut Conseil considère que si le scénario du Gouvernement n'est pas à exclure, la dégradation pourrait être plus élevée que prévu.
Permettez-moi enfin de vous faire part d'une opinion un peu personnelle sur les engagements européens. Mon point de vue est connu de longue date : je n'ai pas à me prononcer sur la durée de la suspension éventuelle du pacte de stabilité et de croissance, mais lorsque j'étais commissaire européen, j'étais déjà convaincu que nous avions atteint les limites de ce que nous pouvions faire, y compris en matière de flexibilité. Le système devra être repensé après cette pandémie, compte tenu des traces durables qu'elle laissera sur le paysage des finances publiques : il n'est plus possible de rester accrochés aux ancres de Maastricht, il faut engager dès maintenant le débat sur la révision du pacte de stabilité et de croissance. Je partage pleinement votre avis : nous avons besoin de règles. Même lorsqu'on dépense massivement, il faut être très attaché à la qualité de la dépense publique, à la façon dont les deniers publics sont dépensés. C'est un des rôles de la Cour des comptes, et elle restera à cet égard un auxiliaire du Parlement.
Le pacte de stabilité et de croissance doit d'abord être plus lisible. Or il est terriblement complexe. Ensuite, il doit être intelligent et pas automatique : si l'on est incapable d'apporter des éléments d'intelligence collective ou de jugement, on risque d'aboutir à des décisions parfaitement contre-productives. Enfin, il doit être sérieux tout en étant de nature à soutenir la croissance dans une période où nous en aurons besoin pour nos économies et pour l'emploi. Mais en posant ces trois paramètres, je vous fais part d'un sentiment un peu plus personnel, non de l'avis du Haut Conseil.