Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 10 juin 2020 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je vais vous frustrer – je le suis moi-même : le Haut Conseil n'est pas là pour construire les prévisions macroéconomiques. C'est le rôle du Gouvernement qui s'appuie sur la direction générale du Trésor. Le Haut Conseil n'est pas non plus là pour porter des jugements sur les politiques, ni pour faire des propositions ; il est là pour juger du réalisme des prévisions macroéconomiques et de la trajectoire des finances publiques.

Cela étant, c'est moi qui l'ai porté sur les fonts baptismaux et je peux témoigner que Charles de Courson a toujours été favorable à une extension de son rôle. En ayant changé de casquette, je ne veux pas donner l'impression de changer d'avis ! Le Haut Conseil a été créé il y a huit ans ; des institutions similaires montent en puissance ailleurs en Europe ; compte tenu de ces évolutions et de la place de plus en plus importante de l'Europe dans le débat, vous avez raison, il est temps d'élargir le champ de compétence, les missions et les moyens du Haut Conseil – ce serait d'intérêt général. J'en discuterai avec le rapporteur général et je reviendrai devant vous pour en débattre. Cela permettrait au Gouvernement, au Parlement et, in fine, aux citoyens, de disposer de moyens supplémentaires d'analyse.

En Italie ou en Espagne, les institutions similaires ont des moyens bien supérieurs aux nôtres : nous travaillons avec seulement deux équivalents temps plein, ce n'est pas raisonnable. Il faudrait également que nous puissions nous autosaisir afin de vous apporter des éléments d'analyse en temps réel ou de répondre à vos demandes. L'une d'entre vous s'étonnait d'avoir reçu l'avis tardivement, mais sachez que le Conseil n'a été saisi que jeudi matin. Vous mesurerez d'autant mieux la qualité du travail réalisé, avec des auditions et plusieurs projets successifs actualisés après des débats extrêmement vivants en moins d'une semaine.

Je partage le constat de Mme Motin : le moment est préoccupant car nous vivons une période extrêmement dramatique de l'histoire du monde, de l'Europe et de notre pays, mais il est également rassurant car la France, et plus largement l'Union européenne et la plupart des pays dans le monde ont su apporter des réponses massives et rapides à la crise, par comparaison avec d'autres périodes au cours desquelles nous avions, M. le président Woerth et moi-même, exercé des fonctions gouvernementales. Nous avons donc su tirer quelques enseignements des crises précédentes.

Ce troisième PLFR est également rassurant en ce qu'il constitue un exercice de transparence – ce que j'ai appelé la « vérité des prix ». Effectivement, les prévisions de la Banque de France ne sont pas tout à fait les mêmes que celles du Gouvernement – contrairement à ce que vous avez indiqué, M. Bricout, elles sont un peu plus optimistes. Mais les approches sont convergentes et les prévisions consensuelles.

Il n'est pas sérieux de considérer que la politique actuelle serait une politique d'austérité – y en a-t-il seulement eu dans ce pays ? Je n'en suis pas certain… Je plaide moi‑même coupable, et d'autres l'ont été avant et après moi… Le fait est que les politiques de gestion des finances publiques françaises n'ont jamais été austéritaires.

Le Gouvernement estime que les Français ont accumulé 100 milliards d'euros d'épargne contrainte au cours des dernières semaines. C'est considérable. Si elle était, fût-ce partiellement, consommée, l'activité économique française pourrait en bénéficier. Cela fait partie des aléas à la hausse. C'est pourquoi nous qualifions la prévision de « prudente ». En revanche, il ne m'appartient pas d'évoquer les modalités selon lesquelles cette épargne pourrait être utilisée.

En 2020, nous prévoyons une baisse de l'inflation, peut-être encore plus forte que celle estimée par le Gouvernement. Au-delà, les évolutions sont très incertaines. On ne peut vraiment rien exclure, ni le prolongement d'un niveau extrêmement bas d'inflation, ni une reprise. Nous ne nous sommes pas penchés sur 2021 ; cela ne fait pas partie de nos missions.

Concernant l'emploi, l'activité partielle n'empêche pas les pertes d'emploi, elle les limite seulement. La baisse du nombre d'emplois prévue par le Gouvernement dans ce troisième PLFR est très importante – presque autant que celle de l'activité. C'est la raison pour laquelle nous avons estimé, toujours avec la même prudence, que nous pourrions espérer une dégradation moins dramatique.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur les plans sectoriels. M. de Courson lit dans notre avis qu'ils ne sont pas budgétés. Nous ne l'avons pas formulé ainsi, d'autant que le projet de loi, préparé à un instant T, ne peut prendre en compte certains plans annoncés tout récemment – comme celui pour l'aéronautique – ou qui vont l'être dans les mois à venir. Ils n'y sont donc pas ou pas totalement traduits – telle est notre formulation. Ainsi, pour le plan aéronautique, la garantie de l'État figure dans le PLFR. Il n'appartient pas au Haut Conseil de prévoir les plans à venir. Le Gouvernement a annoncé qu'il les présenterait au plus tard à l'automne – cette échéance pourrait aussi être celle d'un plan de relance, mais il ne m'appartient pas de le dire. Les débats les plus importants, et la consolidation, auront donc lieu lors de la présentation du projet de loi de finances initiale pour 2021 – a priori, il ne devrait pas y avoir de quatrième PLFR avant le traditionnel PLFR de fin d'année.

Nous pourrions connaître des aléas à la hausse ou à la baisse pour ce qui concerne les recettes. Ainsi, une meilleure situation macroéconomique pourrait se traduire par une hausse des recettes, mais les prévisions de rentrées d'impôts, notamment sur le revenu, pourraient également se dégrader. C'est ce qui colore notre jugement.

Vous m'avez interrogé sur les notions de croissance potentielle et de déficit structurel. Le débat soulevé par M. Labaronne est intéressant : lorsque j'étais commissaire européen, j'avais moi-même été frappé des erreurs sur la croissance potentielle et le déficit structurel. Néanmoins, en l'absence de révision du pacte – même si nous devons y réfléchir, en nous focalisant surtout sur la dette –, ces notions conservent un sens : la croissance potentielle est celle qui dérive des facteurs de production, de l'état de l'appareil productif. Il nous semble qu'elle pourrait subir davantage que les prévisions du Gouvernement ne l'estiment la dégradation de la situation économique. Alors qu'une proportion significative de la main-d'œuvre est toujours hors du marché du travail et que la productivité a tout lieu de baisser – c'est déjà le cas –, il est difficile de croire que la croissance potentielle, théorique, de long terme, ne sera pas touchée. Et c'est bien ce qu'a formulé le Haut Conseil.

De même, concernant le déficit structurel, le Haut Conseil a mentionné que, si les prévisions se vérifient, certains critères justifieraient des procédures au niveau européen : c'est son rôle de se cantonner aux faits. Cela étant, permettez-moi de sortir de ma fonction : si j'étais commissaire européen, dans les circonstances présentes, je tiendrai compte de la situation d'ensemble… Je suis persuadé que mon successeur, Paolo Gentiloni, que je connais bien, fera preuve de la même sagesse. Cela nous renvoie à nouveau aux discussions autour du pacte.

S'agissant de la dette et de sa soutenabilité, nous avons parlé de « vigilance » et d'« intelligence ». Ce sera le sujet central des années à venir, qui colorera mon mandat de président du Haut Conseil et de Premier président de la Cour des comptes. Nous allons vivre durablement avec une dette publique élevée ; il faudra l'apprécier au regard de la situation des marchés. Même si ce n'est pas le rôle du Haut Conseil, monsieur le rapporteur général, je constate que la dette française se finance correctement, depuis longtemps – quasiment depuis le début de la crise précédente. Le jugement porté sur le pays, ses atouts et sa capacité à faire face à sa dette, est donc favorable.

Mais, vous avez raison, cela ne suffit pas : il est important de considérer qu'une dette n'est remboursée qu' in fine et de ne pas succomber à la théorie selon laquelle la dette ne pèse jamais sur personne : elle finit toujours par se venger à un moment donné… Nous devons donc être attentifs à sa soutenabilité à moyen terme. En ma qualité de Premier président de la Cour des comptes, je reviendrai vers vous fin juin avec le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui proposera quelques pistes. En tant que président du Haut Conseil des finances publiques, j'estime qu'il ne faut ni succomber au catastrophisme, ni tomber dans le laxisme ou le déni. Nous devrons naviguer entre ces deux bornes : la Cour des comptes, une fois son rapport finalisé, y reviendra plus en détail.

Le Haut Conseil et moi-même sommes à la disposition des parlementaires. La Cour des comptes et le Haut Conseil seront des interlocuteurs loyaux et flexibles à l'égard du Parlement.

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