Intervention de Gilles Andréani

Réunion du mercredi 15 juillet 2020 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes :

Le champ de notre enquête a été défini en accord avec votre commission, et c'est délibérément qu'ont été laissées de côté les actions portées par l'éducation nationale, la jeunesse et les sports, ou d'autres départements ministériels et ce, malgré leur implication. L'accent a été mis, outre les ministères évoqués, sur les services de renseignement dépendant du ministère de l'économie et des finances : Tracfin, et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).

A été exclu en revanche le dispositif interministériel relevant à la fois du SGDSN – et donc du Premier ministre – et du Coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, placé sous l'autorité du Président de la République, que nous n'avons pas regardé en détail, sinon pour la réponse qu'il apporte à certains problèmes spécifiques comme le retour de la zone irako-syrienne.

Quant à désigner la justice comme le parent pauvre de la lutte contre le terrorisme, je n'irai pas jusque-là. Il est indéniable que l'administration pénitentiaire dispose de moyens budgétaires réduits et que le plan de construction de nouvelles prisons a pris du retard ; cela étant, les moyens alloués au ministère de la justice dans le cadre des plans de lutte antiterroriste pour la constitution, quasiment ex nihilo, d'un service du renseignement pénitentiaire et la mise en place des différents dispositifs d'accueil que sont les QER et les QPR nous ont paru raisonnables.

Par ailleurs, les ratios d'affaires par magistrat, qu'il s'agisse de l'instruction, de l'application des peines ou du parquet, sont beaucoup plus confortables en matière de terrorisme que dans d'autres domaines.

Monsieur Duvergé, vous avez raison : il faut certainement évaluer les QER et les QPR et, avant eux, d'autres dispositifs de déradicalisation en milieu ouvert, mentionnés dans le rapport, et dont un au moins nous a semblé un échec patent, pour des raisons qu'il serait intéressant d'analyser. Cela nécessite un protocole d'évaluation qui prenne notamment en compte le sort des détenus que l'on cherche à « déradicaliser », puisque tel est l'objectif.

En ce qui concerne ensuite les places destinées aux femmes, il n'y en a ni en QER ni en QPR, alors qu'il y a actuellement, dans les prisons françaises, 62 femmes condamnées pour faits de terrorisme et que l'on estime à 150 celles qui sont poursuivies pour être parties en zone irako-syrienne. C'est incontestablement un manque.

On constate le même manque, qui peut s'apparenter à un défaut d'attention, pour les mineurs. Ces derniers sont actuellement 30 à avoir été condamnés pour faits de terrorisme, 463 à être considérés comme radicalisés et suivis ; il y aurait en outre 350 « revenants » dont on ignore l'âge, où ils se trouvent et quand ils pourraient rentrer.

L'administration pénitentiaire et la justice sont conscientes du problème, mais il est exact que nous manquons d'instruments spécifiques pour la prise en charge de ces mineurs, du fait notamment du conflit de compétences entre la justice des mineurs et la justice antiterroriste – c'est une des raisons, mais non la seule, des difficultés que nous éprouvons à traiter cette question, intrinsèquement complexe.

Reste qu'une meilleure évaluation de ces dispositifs de déradicalisation, qui procèdent, selon moi, d'un choix sous contrainte, est nécessaire – à moins qu'il ne soit encore trop tôt –, même si la politique graduée consistant à adopter, entre concentration et dispersion, un moyen terme distinguant le triage en QER, la mise à l'épreuve en QPR et la mise à l'isolement des plus dangereux a un certain sens.

Le nombre de places manquantes a été évalué à une centaine par le ministère de la justice, mais les structures supplémentaires dont l'administration pénitentiaire est en train de se doter devraient apporter la solution. Nous n'avons pas opéré notre propre expertise en la matière, mais ces chiffres me paraissent compatibles avec la réalité du traitement des détenus radicalisés, qui, entre les QER et les QPR, se veut plus sélectif qu'exhaustif et correspond en tout cas à un choix relativement économe en moyens. Quoi qu'il en soit, il importe que l'administration pénitentiaire mette en œuvre un dispositif de suivi, d'autant que l'inquiétude de nos concitoyens se focalise, à juste titre, sur ce qu'il advient de ces détenus radicalisés lorsqu'ils sortent de prison.

Monsieur Jolivet, vous avez mis le doigt sur l'essentiel, à savoir la cartographie des risques. L'analyse par les risques est de plus en plus fondamentale, dans tous les domaines de l'action publique, qu'il s'agisse du risque de maladie infectieuse que nous subissons actuellement, du risque terroriste, du risque d'attaque cyber de grande ampleur ou du risque de dysfonctionnement d'infrastructures numériques ou physiques indispensables à la vie collective du pays.

Ainsi que je l'ai mentionné, cette approche a déjà cours sans être absolument systématique dans bien des domaines. Tout ce qui a trait aux centrales nucléaires fait l'objet d'un criblage et d'un examen de sécurité, non pas par le SNEAS mais par un organisme spécialisé rattaché à la filière de décision de la sécurité nucléaire. De même, les employés des aéroports sont soumis à des vérifications de sécurité, d'autant plus strictes qu'ils ont accès aux bagages, ce type de procédures étant par ailleurs applicable à diverses populations particulièrement ciblées.

Il est clair, quoi qu'il en soit, qu'en systématisant cette analyse des risques et en ciblant davantage le champ des vérifications, nous gagnerons en efficacité car, si le SNEAS peut assumer les vérifications concernant les nouveaux recrutés, contrôler l'ensemble des effectifs en place – soit un volume d'1,9 millions de personnes – n'est pas à sa portée, compte tenu de ses moyens limités. Je ne peux donc qu'abonder dans votre sens et pense que, de plus en plus, l'action de l'État devra s'orienter en ce sens.

Des moyens disciplinaires et judiciaires existent pour écarter des agents susceptibles de représenter un risque, dans tous les métiers dont l'exercice est conditionné à la détention d'une habilitation de sécurité. Le retrait de l'habilitation de sécurité vaut interdiction d'exercer les fonctions dans un très grand nombre de domaines, et je ne saurais vous dire, pour ne m'être pas penché sur la question, s'il existe un champ qui devrait être couvert par ce type de procédure mais ne l'est pas.

Là encore, il faut mener à terme, comme, d'ailleurs, pour les documents classifiés, la rationalisation des méthodes de contrôle à partir d'une analyse systématique des risques.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.