Intervention de Hervé Pellois

Réunion du mercredi 15 juillet 2020 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Pellois :

Je remercie le bureau de notre commission de m'avoir autorisé à présenter cette communication sur le thème des aléas et des crises agricoles : j'en étais redevable vis-à-vis de la quinzaine d'organisations que j'avais auditionnées en février dernier.

S'agissant du risque climatique, l'offre privée peine à s'articuler avec le régime des calamités agricoles. Je n'ai pas besoin de revenir sur la fréquence et l'ampleur grandissantes des épisodes de sécheresse, de grêle ou d'inondation.

Les leviers public et privé se complètent insuffisamment.

Le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) est un dispositif bien identifié, mais à l'efficience toute relative. Les exploitants connaissent bien l'indemnisation publique au titre des calamités agricoles, mise en place en 1964 et rénovée il y a dix ans, presque jour pour jour.

Le FNGRA a un budget d'environ 150 millions d'euros par an. Ses recettes sont constituées de l'affectation, dans la limite d'un plafond de 60 millions d'euros, du produit de deux taxes assises sur les assurances, ainsi que d'une subvention inscrite sur le programme 149 de la mission Agriculture, qui s'est établie à 87,5 millions d'euros en 2019. La proportion était inversée jusqu'en 2015 : la taxe affectée pouvait représenter jusqu'à 125 millions d'euros et la dotation être inférieure à 20 millions d'euros. J'en conclus que les rebudgétisations ne s'accompagnent pas nécessairement d'une baisse des moyens !

Les soutiens apportés par le FNGRA sont exemptés de notification à la Commission européenne au titre des aides d'État. Pour l'essentiel, ce fonds apporte une compensation partielle aux sinistres qui ne sont pas couverts par le secteur privé : le FNGRA peut donc indemniser tant des pertes de fonds – destruction de l'outil de travail, vignes arrachées, ravinement de terrain – que des pertes de récolte, dans les filières où l'offre concurrentielle est insuffisante.

Mais, de l'avis général, la procédure du FNGRA apparaît lourde et imparfaitement normée. Par exemple, pour un sinistre intervenant à la mi-juin, le dépôt des demandes ne sera ouvert qu'au 31 octobre, à la fin de la campagne de production. Les services déconcentrés du ministère de l'agriculture et de l'alimentation constitueront un comité départemental d'expertise, comprenant notamment, un représentant de la chambre d'agriculture, dont les conclusions seront transmises à l'échelon central par le préfet. Le bureau de la gestion des risques du ministère, après instruction, les adressera alors au Comité national de gestion des risques en agriculture (CNGRA), qui n'est pas une structure permanente et attend donc d'être saisi d'un nombre minimal de situations individuelles avant de siéger. Dans le meilleur des cas, les versements sont effectués en février, soit neuf mois après le sinistre.

Son président reconnaît que « le CNGRA n'a jamais été scientifique », si bien qu'il « empile les approximations », presque toujours au bénéfice des exploitants, et « ruine la crédibilité du ministère ». Des investissements techniques sont indispensables.

Les deux autres types de dépenses du FNGRA sont une participation à la couverture en matière animale et végétale et une aide à l'assurance récolte ; j'y viens.

L'assurance récolte représente une offre encore peu attractive pour les exploitants comme pour les assureurs. Une offre privée s'est mise en place dès le début du XIXème siècle, mais elle concernait surtout le risque de grêle. Depuis une quinzaine d'années, l'État souhaite transférer une part croissante de la charge d'indemnisation du public vers le privé.

En 2018, d'après la Fédération française de l'assurance (FFA), 501 millions d'euros de primes d'assurance récolte avaient été perçus, pour un capital protégé théorique de plus de 16 milliards d'euros.

Un pas a été franchi en 2005 avec la création de l'assurance multirisques climatiques (MRC), qui couvre à la fois la grêle, le gel, l'inondation, la sécheresse et la tempête.

Trois niveaux de garantie existent : un socle dont les primes sont subventionnées à 65 % par la politique agricole commune (PAC), des options subventionnées à 45 % et des options libres, sans subvention publique. Pour les contrats socle, l'indemnisation intervient si les dommages dépassent le seuil de 30 % d'un rendement de référence – soit sur la moyenne des trois derniers exercices, soit sur la moyenne olympique – et cette indemnisation est calculée en fonction d'un barème qui repose sur les prix de production.

Cependant, alors que 60 % des surfaces sont assurées contre la grêle – qui est couverte en monorisque –, la diffusion de l'assurance MRC varie fortement d'une filière à l'autre, avec par exemple 31 % pour les grandes cultures et la viticulture ou 20 à 25 % pour les légumes de plein champ, mais seulement 3 % pour l'arboriculture et 1 % pour les prairies.

Un cercle vicieux freine le développement de ce marché. Souvent, les agriculteurs ne s'y intéressent qu'après un coup dur, pour se désengager à la fin d'une bonne année. Faute d'avoir un nombre suffisant de clients et de pouvoir diluer les risques, les assureurs enregistrent un ratio de sinistres à primes supérieur à 100 % ; or, ils se disent déficitaires dès 75 %. Pour préserver leur rentabilité, ils augmentent donc leurs tarifs, ce qui n'attire pas de nouveaux exploitants.

Au regard de l'efficacité de la réassurance privée et public, il est dommageable que les compagnies ne soient pas plus volontaristes. Un certain nombre d'interlocuteurs m'a indiqué qu'il était possible de mettre en place des systèmes d'assurance performants.

La surface assurée stagne : elle est 4,75 millions d'hectares en 2018 – mais c'était peu ou prou la même chose en 2014 – et le nombre de contrats diminue même : nous sommes passés de 75 000 à 69 000 contrats entre ces deux dates.

Compte tenu de ces imperfections, qui laissent certains agriculteurs sur le bord de la route ou, pire, qui traitent de manière différente deux sinistrés voisins, les voies d'une plus grande complémentarité sont donc à rechercher.

D'abord, il convient de rapprocher les méthodes de mesure de la sinistralité du FNGRA et des assureurs. Si ces derniers ont recours à des outils plus modernes, tels des indices de production ou des vues satellitaires, les bases de données du ministère et de ses opérateurs sont d'une grande richesse et gagneraient à être mieux mobilisées, y compris par le FNGRA.

Ensuite, même si cette idée ne fait pas consensus, il me paraît opportun de réfléchir à une forme de conditionnalité : les indemnisations publiques pourraient n'être versées qu'aux exploitants ayant souscrit une assurance MRC. Après tout, l'assurance habitation est obligatoire. Or, une telle proposition implique que soient développés des contrats adaptés : subventionner ce progrès coûterait moins d'argent public que multiplier la dotation au FNGRA au fil de l'aggravation des risques climatiques.

Au-delà, le modèle espagnol est intéressant, mais difficilement reproductible. Une agence publique y coordonne un pool d'assureurs qui offrent une quarantaine de contrats tous identiques, à l'exception des frais de gestion. Le taux de couverture par l'équivalent de la MRC dépasse les 60 % en arboriculture – je vous rappelle que la France est à 3 % ! Toutefois, ce système a mis une quinzaine d'années à trouver son équilibre financier, soit le temps que l'historique des données permette une tarification efficace. De plus, il n'est que toléré par l'Union européenne, parce qu'antérieur à l'adhésion du pays.

J'en viens à l'indemnisation des exploitants face aux pertes économiques liées à l'apparition d'un foyer de maladie animale ou végétale ou d'un incident environnemental. Une structure originale et globalement efficace existe : il s'agit du fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE), agréé depuis 2013 par l'État.

La France est d'ailleurs le seul pays européen à avoir exploité cette option de la PAC. Le FMSE une association légère – seulement sept salariés –, qui s'appuie sur plusieurs réseaux : les groupements de défense sanitaire (GDS) pour l'élevage, les fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles (FREDON) en matière végétale ou, plus récemment, les intercommunalités au titre de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (GEMAPI) pour les plantes invasives.

Outre les actions prophylactiques de ses partenaires, le FMSE conduit des programmes d'indemnisation : brucellose porcine, tuberculose bovine, fièvre catarrhale ovine (FCO), influenza aviaire, sharka du pêcher, enroulement chlorotique de l'abricotier (ECA), cynips du châtaignier, flavescence dorée de la vigne, etc. L'indemnisation des pertes engendrées par l'incendie de l'usine de Lubrizol à Rouen a été permise par la modification de la loi en 2013.

Pour chaque programme, dont l'enveloppe est fixée par le conseil d'administration, si les dépenses sont avancées à 100 % par le FMSE, la charge finale repose à 35 % sur les professionnels et à 65 % sur les subventions publiques.

Du côté des recettes, le FMSE est organisé en une section commune, à laquelle les exploitants versent annuellement une cotisation forfaitaire obligatoire de 20 euros, appelée par la Mutualité sociale agricole (MSA), et douze sections spécialisées, pour lesquelles la cotisation, appelée par la MSA ou par l'interprofession, varie – par exemple à l'animal abattu ou à l'hectare – en fonction du type d'élevage ou de culture. Ces ressources propres représentent un montant d'environ 16 millions d'euros par an.

En outre, le FMSE peut également emprunter et il bénéficie de remboursements issus de crédits européens ou du FNGRA, qui arrivent parfois avec retard – avec beaucoup de retard, m'a-t-on dit.

Avant le confinement, le FMSE travaillait activement à la création d'une section pour la conchyliculture et d'une pour l'outre-mer. Dans son champ de compétences, il souhaiterait aussi pouvoir consolider ses méthodes scientifiques, par exemple en obtenant un accès à la base de données nationale d'identification des animaux (BDNI).

Faut-il attribuer de nouvelles prérogatives au FMSE, par exemple en matière de surveillance, c'est-à-dire de veille épidémiologique, de suivi des déclarations, ou encore de vérification du blocage des animaux ?

Certes, c'est ce que recommandait un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), publié en 2017.

Mais, d'une part, les GDS et les FREDON ne me paraissent pas dysfonctionner sur ce terrain. D'autre part, lors de son audition, son président a expliqué que « le FMSE ne peut pas tout faire ». Concernant le virus qui a perturbé la production de tomates dans le Finistère au début de l'année, il en appelait plutôt à la vigilance des filières ; en l'occurrence, celle-ci a su se montrer efficace. Je partage son point de vue : quand les marchés sont intégrés, il faut aussi que l'aval contribue financièrement lors des difficultés. Tant le règlement européen « omnibus » que la loi « EGALIM » visent à aller plus loin dans la contractualisation et le renforcement des organisations de producteurs vis-à-vis des distributeurs.

Pour finir, le risque de marché fait apparaître des menaces qui soulignent la nécessité de la transition agro-écologique et de la montée en gamme des produits. Les exploitants agricoles subissent – nous le savons et la période le démontre encore – la forte volatilité de la conjoncture, au niveau tant du coût des intrants, c'est-à-dire des matières premières, de l'énergie, voire du facteur travail, que des débouchés, en ce qui concerne l'ouverture ou la fermeture des marchés en fonction des circonstances sanitaires ou politiques, ainsi que les prix de vente.

Plusieurs leviers d'intervention sont gérés par le ministère. Le programme 149 porte cette année 5,4 millions d'euros au titre de son action Gestion des crises et des aléas de la production agricole, dont 3,5 millions d'euros pour le dispositif d'aide à la relance des exploitations agricoles (AREA) et 1,8 million d'euros pour le fonds d'allègement des charges (FAC), qui en dépit de son nom n'est pas de nature fiscale mais consiste en l'attribution d'une garantie bancaire. Cette action est sous-dimensionnée au regard de la crise actuelle. Depuis 2018, le ministère dispose d'une provision pour aléas, qui a démontré sa pertinence. Elle est dotée en 2020 de 174,8 millions d'euros. En 2019, nous avons transformé les anciennes déductions pour investissements (DPI) et pour aléas (DPA) en une déduction pour épargne de précaution (DEP), qui permet d'exonérer les réserves des années favorables – cela devrait représenter 120 millions d'euros –, et avons simplifié son usage, de manière temporaire, avec la deuxième loi de finances rectificative pour 2020.

Dans le cadre des mesures de droit commun prévues en réaction à l'épidémie de covid‑19, les agriculteurs avaient, au 26 juin dernier, bénéficié de plus de 500 millions d'euros de reports fiscaux et sociaux, 1,1 milliard d'euros de prêts garantis par l'État (PGE) et 102 millions d'euros d'aides au titre du fonds de solidarité.

Même si l'Union européenne s'est beaucoup mobilisée ces derniers mois, la crise conduit à regretter, avec nos collègues du Sénat, qu'aucun État membre n'ait complètement mis en place l'instrument de stabilisation des revenus (ISR) autorisé par la réglementation afférente au fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Une transformation des pratiques est donc indispensable dans l'objectif de rehausser la résilience des entreprises agricoles.

Premièrement, elles doivent s'engager dans une stratégie économique plus intégrée, via la structuration des filières, les circuits courts ou coopératifs, la contractualisation, l'intégration ou bien les marchés à terme.

Deuxièmement, puisque les sinistres ne sont plus, depuis longtemps, un accident désastreux mais ponctuel et sont devenus une norme, la culture du risque doit faire l'objet d'efforts importants : je pense à la formation initiale et continue, mais aussi à des leviers stratégiques comme la diversification et la gestion des stocks.

Troisièmement, le choix de pratiques préventives peut réduire l'exposition aux aléas, mais ces dispositifs comme l'irrigation, les retenues, les filets pare grêle, les serres ou les chaufferettes dans les vignes, dont personne ne remettrait en cause le bon sens, sont des investissements qui devraient a minima être encouragés et mieux assurés, voire pris en compte par une réduction des primes.

Je remercie sincèrement nos collègues du Parlement espagnol pour les réponses qu'ils ont fournies à mon questionnaire : leur traduction est à votre disposition.

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