Intervention de Bertrand Camus

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bertrand Camus, directeur général de Suez :

J'ai été nommé à la direction générale de Suez en mai 2019 après vingt-cinq années de carrière dans le groupe. J'ai passé beaucoup de temps à l'international, en Asie, en Amérique du Sud, en Amérique du Nord et j'ai aussi dirigé l'activité eau de Suez en France. Ce parcours fait que je connais intimement nos métiers, leurs spécificités, leur immense potentiel et leur importance vitale, que ce soit en matière de santé, de qualité de vie ou de protection de l'environnement. Je connais aussi intimement nos clients, que ce soit en France ou à l'international, et la vigilance qu'ils mettent à choisir un partenaire privé pour gérer des services essentiels. Surtout, je connais très bien mes équipes, leur force, leur engagement. Vous avez tous vu le travail admirable qu'elles ont réalisé pendant la crise sanitaire ; personne n'a exercé son droit de retrait. Leur savoir-faire est internationalement reconnu. Avec les équipes de Suez, nous avons toujours su trouver des solutions adaptées aux défis économiques, environnementaux et sociétaux auxquels nous sommes confrontés.

Suez va bien : le groupe se développe, investit, recrute. Quelques chiffres pour l'illustrer : nous sommes aujourd'hui le premier opérateur privé du secteur dans le monde, avec 145 millions d'habitants desservis en eau potable et en assainissement. Nous maîtrisons l'ensemble des technologies nécessaires pour affronter les défis climatiques et environnementaux qui sont devant nous ; l'acquisition en 2017 de GE Water & Process Technologies a été de ce point de vue un tournant pour l'entreprise. Nous sommes un opérateur d'importance vitale en France et à l'étranger. Nous sommes présents à Alger, à Dakar, au Chili. Notre chiffre d'affaires est passé de 12 milliards à 18 milliards d'euros en l'espace de dix ans. Nous employons environ 30 000 personnes en France et recrutons chaque année quelque 5 000 personnes : 2 000 salariés en CDI, 2 000 salariés en CDD et 1 200 apprentis. Nous avons investi plus de 3 milliards d'euros en France au cours des cinq dernières années. Nous investissons chaque année 120 millions d'euros en recherche et développement, soit deux fois plus que notre principal concurrent.

La France est au cœur du plan stratégique Shaping Suez 2030. Elle est au fondement de notre savoir-faire et de notre innovation ; les activités en France sont notre patrimoine commun et c'est grâce à elles que nous obtenons aujourd'hui des succès à l'international. J'ai coutume de dire à nos équipes que Suez n'existe pas sans elles. Notre ambition est de contribuer à accélérer la transition écologique et développer la vitalité de nos territoires. C'est pourquoi notre projet consiste à faire de Suez une entreprise agile, innovante et partenariale.

Je voudrais, en partant de quelques exemples de nos activités sur le territoire national, illustrer le fait que la force du groupe Suez, c'est avant tout l'innovation.

L'innovation technologique et financière, avec l'usine de Thau Maritima à Sète, qui protège l'industrie conchylicole de l'étang de Thau grâce au traitement des micropolluants et des hormones, au moyen de membranes d'ultrafiltration. Un montage financier innovant a permis de limiter l'impact financier de ces innovations sur les redevances des usagers.

L'innovation contractuelle, avec la création des premières sociétés d'économie mixte à opération unique (SEMOP) en France, à Dole, Vendôme, Sète, La Seyne-sur-Mer et Dijon.

L'innovation pour rendre du pouvoir d'achat à nos concitoyens : éliminer le calcaire dans l'eau, c'est utiliser moins de produits chimiques et d'énergie pour chauffer l'eau. Résultat : nous avons restitué l'équivalent d'un tiers de la facture d'eau en pouvoir d'achat direct à nos concitoyens, à Valenciennes ou dans l'Ouest parisien par exemple.

L'innovation digitale, avec les premières smart city à Dijon et Angers : demandez aux élus de Dijon comment cela leur a permis de mieux gérer les services urbains pendant la crise sanitaire !

L'innovation dans la collecte et la propreté urbaine – nous nous occupons de l'hyper-centre de Bordeaux et de Marseille – ainsi que dans le recyclage et la valorisation des déchets : d'ici à 2030, nos usines recycleront six fois plus de plastique.

Suez, c'est encore le traitement de l'air, grâce à l'élimination des particules fines – à Poissy, nous venons d'inaugurer un dispositif innovant pour purifier l'air des cours de récréation – et des projets de recherche en vue de capter le carbone émis par les incinérateurs de déchets ménagers.

Ce que vous savez peut-être moins, c'est que Suez est aussi le premier acteur en outre-mer : nous fournissons plus de la moitié des habitants ultramarins, de Papeete à Cayenne.

Ce qui fait la force des équipes de Suez, c'est de maîtriser les technologies et les solutions de pointe au niveau mondial, puis de les déployer au plus près du terrain dans des projets locaux, irriguant l'ensemble des territoires.

L'opération lancée par notre principal concurrent est clairement hostile – et c'est là une première et fondamentale différence, d'ordre culturel, entre nous. Elle pose un problème stratégique, car, en l'occurrence, 1 + 1 ne feront pas 2. La fusion conduirait immanquablement à démanteler le groupe en France, par la cession de 75 % de nos activités, à savoir l'ensemble de l'activité eau et les deux tiers de l'activité de gestion des déchets. Nos clients dans le monde sont comme nos clients en France : ils veulent pouvoir choisir ; un seul acteur français, c'est deux fois moins de chances de gagner des contrats à l'international. Enfin, un à deux ans d'attente pour obtenir l'ensemble des autorisations anti-trust à un moment où nombre de contrats sur le territoire national sont à renouveler et où il y aura des retours en régie par suite des élections municipales, c'est autant de temps de perdu face à la concurrence internationale, qui aura la possibilité de nous enlever des parts de marché.

D'autre part, des réductions de coûts à hauteur de 500 millions d'euros ne se feront pas sans toucher à l'emploi. Nous estimons que plus de 10 000 emplois dans le monde, dont 4 000 en France, sont menacés par ce projet de fusion. Cela va en outre poser un problème de concurrence en France, avec probablement une augmentation des prix des services essentiels que sont la fourniture en eau et la gestion des déchets. Meridiam est une société de gestion d'actifs qui n'a aucune expérience dans nos domaines et ne semble pas avoir les moyens financiers de ses ambitions. Nos succès en France sont liés à la maîtrise de savoir-faire à rayonnement mondial : la construction d'usines, les technologies que nous a apporté GE Water, le digital, la recherche et le développement. Soit ces activités seront transférées à notre concurrent et celui-ci sera le seul acteur français à maîtriser ces technologies, soit elles seront reprises, en totalité ou en partie, par Meridiam et elles ne seront pas viables, car le marché français n'a pas la taille critique pour qu'on puisse développer ces savoir-faire. Les mêmes problèmes se posent s'agissant de la gestion des déchets, secteur appelé à connaître une transformation très importante si nous voulons atteindre les objectifs fixés par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.

En résumé, cette opération risque tout simplement d'aboutir au démantèlement de l'un des deux fleurons industriels des services à l'environnement. Pour moi, transformer deux champions mondiaux en un seul champion affaibli et endetté, c'est de l'alchimie à l'envers, c'est transformer l'or en plomb.

Comment expliquer une telle urgence, alors que nous avons un projet, une dynamique, un ancrage territorial ? Il n'y en a strictement aucune à décider de l'avenir d'un fleuron industriel mondial comprenant 90 000 collaborateurs, dont près de 30 000 en France, et d'engager, en l'espace de quelques jours, le démantèlement de ses activités en France. Alors que l'épidémie de covid-19 se poursuit, que nous traversons une crise économique majeure et que les défis environnementaux sont plus nombreux que jamais, il serait important de rester fidèle à l'esprit de la loi PACTE. L'avenir de notre entreprise, un fleuron industriel français, doit être envisagé avec sérénité, dans toutes ses composantes.

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