Intervention de Antoine Frérot

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 11h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia :

Je vous remercie de me donner l'occasion de présenter devant la Représentation nationale mon ambitieux projet. Celui-ci concerne non seulement trois entreprises, avec Engie, c'est-à-dire leurs salariés, leurs actionnaires et leurs clients, mais aussi la Nation tout entière : il est, pour de nombreuses années à venir, dans l'intérêt du pays.

D'où vient ce projet ? Vous le savez, à la fin du mois de juillet, Engie a annoncé sa décision de céder sa participation dans Suez. Dès lors qu'il était clair que le principal actionnaire de ce groupe allait changer, Veolia a imaginé un projet. Dans un premier temps, il s'agit de se porter acquéreur de cette participation, de manière à rapprocher Veolia de Suez, puis, si nous parvenons à acheter 29 % de son capital, de lancer une OPA, sous réserve de l'obtention des autorisations administratives. La finalité de ce projet, c'est de construire en France le grand champion mondial de la transformation écologique. S'il n'aboutit pas, il y en aura de toute façon un autre, sans retour au statu quo, puisque Suez accueillera un nouvel actionnaire.

Pourquoi un tel projet paraît-il pertinent aujourd'hui ? Tout d'abord, au-delà de l'opportunité offerte par Engie, l'urgence écologique est plus prégnante que jamais. Dans de nombreux pays, les populations attendent des solutions pour réussir la transformation écologique.

Il se trouve qu'en raison du virus, les plans de relance mis en œuvre dans de nombreux pays font une large part à l'écologie. Nos métiers vont donc connaître dans les années à venir, et pour longtemps, un fort développement dû à l'accroissement de la demande. Or ces derniers sont aujourd'hui, comme nos marchés, très morcelés à travers le monde. Veolia, qui en est aujourd'hui le numéro 1, détient ainsi une part de marché inférieure à 3 %, et Suez une part inférieure à 2 % ; la part des deux groupes réunis sera donc inférieure à 5 %.

L'accroissement prévisible de la demande n'a pas échappé à un certain nombre d'acteurs à travers le monde et un mouvement de concentration est en cours dans notre profession. Parmi les grands fonds d'investissement internationaux, l'américain KKR a acquis plusieurs entreprises, notamment, au mois de juillet, une très grande entreprise britannique spécialisée dans les déchets, Viridor, pour 5 milliards de livres. Il y a quelques années, un fonds d'investissement suédois avait acheté la SAUR.

Des entreprises industrielles s'intéressent également à ces marchés, notamment des entreprises chinoises. La Chine a, depuis de nombreuses années, identifié l'environnement comme l'une des clés de la poursuite de son développement économique et urbanistique. C'est d'ailleurs pour cette raison que des entreprises comme la mienne travaillent de plus en plus en Chine, même si, comme dans tous les secteurs, les Chinois se sont dit, un beau jour, qu'ils pouvaient essayer de faire eux-mêmes. Ils ont ainsi construit et regroupé des entreprises dont quatre ou cinq sont de grande taille. Depuis quelques années, ils cherchent également à s'implanter à l'étranger. Qui sait, par exemple, que le numéro 2 des déchets en Allemagne est chinois, tout comme le numéro 2 en Espagne ? Qui sait que celui-là a remporté, d'ailleurs contre des offres de Veolia et de Suez, l'appel d'offres de l'exploitation de l'usine d'incinération d'Issy-les-Moulineaux ?

Ce mouvement de concentration en est à ses débuts et le marché va se développer. C'est le moment, me semble-t-il, de regrouper nos forces afin d'être capable, dans vingt ans, de faire la trace dans ces métiers, d'être un leader français. Sans quoi, il se passera sans doute ce qu'il s'est passé dans de nombreux secteurs : nous serons dépassés.

Nous connaissons aujourd'hui une bonne moitié des solutions permettant de gagner le pari de la transformation écologique. Encore faut-il les dupliquer et les généraliser dans de nombreux territoires. Cela va demander des investissements importants pour construire des installations et des infrastructures. Le regroupement de nos forces permettrait d'accroître notre capacité d'investissement.

L'autre moitié des solutions sera à inventer dans les vingt prochaines années. Là encore, ce regroupement permettrait d'aller plus loin, plus large et plus profond en matière d'innovation, de recherche et de développement.

Telle est l'ambition de ce projet : permettre à notre pays, dans les vingt années qui viennent, de tenir son rang dans le domaine de l'écologie, dans lequel il a déjà politiquement fait entendre une voix particulière, notamment au moment de la COP21. Il doit maintenant disposer d'un outil économique de premier plan pour concrétiser son discours.

Il ne faudrait pas renouveler l'expérience du Minitel, première mondiale que nous avons inventée il y a trente ans, mais qui ne nous a pas empêchés de perdre, dix ans plus tard, la bataille du numérique. Nous avons l'occasion de ne pas perdre celle de l'écologie ; j'ai même bien l'intention de la gagner.

Cet ambitieux projet comporte également des contraintes, liées tout d'abord à la concurrence. Nos experts en la matière estiment que hors de France – hormis peut-être, et de façon marginale, en Australie et en Grande-Bretagne sur un ou deux incinérateurs – très peu d'activités de nos deux groupes se chevauchent. En revanche, en France, les problèmes de chevauchement sont importants, et d'abord dans le secteur de l'eau : les deux groupes y comptent trois entreprises, dont les deux plus grosses qui ne pourraient pas fusionner. J'ai trouvé une solution qui garantirait que trois entreprises, dont deux communes à Veolia et à Suez, puissent développer un projet ambitieux dans un contexte concurrentiel peut-être encore plus fort que celui d'aujourd'hui. L'acteur qui s'imposait pour ce faire était le groupe Meridiam.

Des problèmes similaires, mais moins sérieux, se poseront dans le secteur des déchets, notamment parce qu'y sont présentes, outre ces deux groupes, quatre ou cinq grandes entreprises françaises de tailles équivalentes – Derichebourg, Séché, Ortec, Paprec – et désireuses de se renforcer. Ces entreprises sont prêtes à reprendre les entités que l'Autorité de la concurrence exigera que nous cédions dans le cadre du rapprochement de nos deux groupes. En se musclant, elles assureront une concurrence au moins aussi forte qu'aujourd'hui.

La seconde contrainte est l'emploi. Je répète que je garantis l'ensemble des emplois et des avantages sociaux de tous les salariés qui rejoindront Veolia dans cette affaire.

Nos métiers sont territoriaux, les équipes opérationnelles ne peuvent pas être délocalisées. Ceux qui vont reprendre ces activités, à savoir Veolia, Meridiam et les autres acteurs du secteur des déchets, reprendront entièrement ces mêmes équipes ainsi que leur encadrement de terrain. S'agissant des équipes de structure, et notamment celles du siège, une partie rejoindra certainement Meridiam afin de piloter et de développer l'activité eau en France, et une autre partie rejoindra Veolia. Pour mener à bien mon projet, j'ai besoin de toutes les personnes qui s'occupent d'innovation et de recherche, de tous les acteurs de la direction des achats ainsi que de tous les juristes. Quant aux autres forces de structure, qui représentent quelque 200 ou 300 personnes employées dans la finance ou dans les ressources humaines, je prends l'engagement – et il ne sera pas difficile à tenir dans un groupe qui comptera 250 000 personnes – de leur proposer un emploi et un parcours professionnel passionnant et correspondant exactement à leurs compétences.

Je garantis donc les emplois d'aujourd'hui tout en préparant les emplois et les solutions de l'avenir.

J'imagine, par exemple, parce que nous ne diminuerons pas assez les émissions pour limiter le réchauffement à 1,5 degré, de capturer le carbone à un prix acceptable, mais aussi de l'utiliser, en particulier dans des sols appauvris par trop de cultures, comme nous le faisons déjà avec le phosphore extrait des eaux usées. J'imagine de recycler des plastiques qui ne sont aujourd'hui pas recyclables – le polystyrène, les pots de yaourt, les plastiques durs ou bromés –, mais également de garantir, sans consommer davantage d'énergie, la qualité de l'air, qui forme aujourd'hui le lien le plus fort entre environnement et santé, dans tous les bâtiments publics. J'imagine d'extraire des appareils électriques et électroniques usagés, non seulement le verre et le plastique, mais également les métaux rares. Voilà ce que sont les emplois d'avenir !

Il y a quelques années, Veolia a conçu, dans l'est de la France, la première usine de recyclage de batteries électriques de véhicules. Nous savons désormais extraire le lithium en vue de son recyclage ; nous devons maintenant apprendre à recycler le cobalt. Ce sont là des métiers dans lesquels nous devons conserver notre avance.

Notre concurrent qu'est la Chine n'est pas seulement la première usine du monde, elle en est également devenue le premier laboratoire. Il nous faut donc rassembler nos forces dans ce projet pour pouvoir faire la course en tête.

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